Bioéthique : tout est lié !

16 Oct, 2018 | Non classé

Tribune de Blanche Streb, auteur de Bébés sur mesure : le monde des meilleurs, paru en juin 2018 aux éditions Artège. Ce propos est issu d’une conférence tenue le 3 octobre 2018 à Sainte Foy-Lès-Lyon.

« Chers tous,

Certains enfants sont déjà en âge de prononcer ces quatre mots : « Je suis un OGM », un organisme génétiquement modifié…

Ils sont nés d’une technique de procréation artificielle qu’on appelle la Fécondation In Vitro à trois parents, ou FIV 3 parents. Pour se faire, on utilise deux ovules – l’un de la femme souhaitant être mère biologique, l’autre d’une donneuse – et un spermatozoïde. Trois personnes sont donc intervenues dans la conception de ces enfants.

On peut dire que ce sont des bébés génétiquement modifiés car ils sont créés dès leur première cellule, avec l’ADN de trois personnes. Ils sont nés en Ukraine, au Mexique : où ce n’est pas autorisé mais tout simplement pas interdit. C’est déjà légalisé au Royaume-Uni et le sera peut-être un jour en France.

Cette FIV 3 parents a pour objectif affiché d’éviter des maladies graves et rares. Mais cette technique ne guérit personne ; elle fabrique quelqu’un…

La FIV 3 parents fait de l’enfant ainsi né un cobaye, le cobaye de la technique qui a contribué à le faire naitre. Ni sûre ni efficace. Ce n’est même plus un essai sur l’homme, c’est un essai d’homme.

Derrière cet objectif affiché se cache une autre réalité : un prétendu rajeunissement des ovules. Qui constitue un grand marché que certains entendent bien exploiter pour leur propre profit.

Et voilà comment en quelques lignes, vous venez de plonger dans des problématiques bien réelles de bioéthique

La bioéthique rassemble les questions qui touchent à l’éthique et à la vie ; questions morales qui concernent la recherche, la biologie, la génétique, la santé…

Vous sentez-vous concerné par la bioéthique ?

Peut-être pas. Peut-être pas encore. Pourtant les biotechnologies s’intéressent tant à l’homme…. nous devrions aussi nous y intéresser !

Les mauvaises décisions prises en matière de bioéthique ont un impact concret sur notre société.

« Rien de ce monde ne nous est indifférent ». Voilà une phrase du Pape François qui bouscule. Laudato Si’ est une encyclique éclairante qui nous invite à changer le monde. Changer le monde ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Peut-être d’abord essayer de changer soi-même, pour commencer…

Voici trois prises de conscience majeures auxquelles nous invite Laudato Si’.

 1/ Réaliser que tout est lié

Le réaliser vraiment. Nos décisions, notre loi civile, la technique, les biotechnologies, nos comportements : tout cela a un impact sur le monde, sur les autres.

Tout est lié. Le savoir, le réaliser, c’est l’antidote à l’individualisme intégral dont souffrent nos sociétés.

Nous sommes responsables de ce monde, de la biodiversité, des espèces en voie de disparition. Ainsi que de notre consommation, de notre pollution. Nous sommes responsables de l’être humain, dont le plus petit d’entre nous : l’embryon congelé, le pauvre, le vieillard à qui le monde fait parfois croire qu’il est de trop.

Pensons ensemble le « tout est lié » à l’échelle de la planète. Aujourd’hui, on peut modifier l’ADN de n’importe quelle cellule, qu’elle soit végétale ou animale. Ces techniques sont déjà utilisées chez les animaux. Citons, par exemple, les travaux lancés pour créer des vaches laitières sans cornes, pour éviter qu’elles ne se blessent dans les étables. Ou encore les travaux effectués sur les moutons pour que leur laine pousse plus longtemps, sur les poules pour pondre des œufs hypoallergéniques ou encore sur des abeilles « hygié­niques », génétiquement programmées pour nettoyer obsessionnellement leurs ruches…

Depuis son origine, le monde est marqué par des évo­lutions génétiques, naturelles, spontanées ou même favo­risées par l’homme, par la domestication des animaux ou le croisement des espèces. La différence avec ce que l’on vit actuellement, c’est le rythme imposé : avec la nature, ces processus ont toujours eu un rythme lent… la technologie, au contraire, impose une cadence d’une rapidité insoutenable et insensée.

Évidemment, ces techniques peuvent aussi être utilisées sur des gamètes ou des embryons humains. Une voie rêvée pour créer le bébé à la carte… Modifications transmissibles aux générations suivantes puisque touchant le code génétique.

Ces projets suscitent des enjeux éthiques et écologiques colossaux.

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) est favorable à la recherche sur les embryons transgéniques et sur les embryons chimères ; des mix d’embryons animaux dans lequel on injecte des cellules embryonnaires humaines dans l’optique de créer des organes humains dans des animaux. Pour l’instant ce ne serait que de l’ordre de la recherche. Mais la transgression est dans l’œuf. La tentation pourrait être forte, ultérieurement d’aller toujours plus loin….

Peut-on toucher ainsi au génome des espèces vivantes en espérant qu’il n’y ait aucun dégât collatéral ?

Le vivant ne se laisse pas si facilement maîtriser… Toutes les espèces, la faune et la flore, l’ensemble du vivant de la planète – notre maison commune – interagissent, au-delà même de la chaîne alimen­taire. Nous sommes reliés… La prudence serait donc une qualité à déve­lopper en même temps que la puissance technologique per­mise par ces nouvelles biotechnologies.­

Réfléchissons à cela : de quoi est constitué notre corps ? De cellules vivantes. Grâce à notre ADN, cette prodigieuse molécule unique, nos cellules se multiplient et accomplissent leurs fonctions, chacune la sienne : une cellule de foie, de rein, d’intestin, chacun son rôle. Les cellules jouent leur partition en lisant l’ADN et fabriquent ainsi les protéines, tout ce qui nous constitue.

Parenthèse importante : nous ne résumons pas à notre code génétique. L’épigénétique est la manière dont notre environnement, notre mode de vie, notre humeur, notre état psychique, influent sur cette partition de notes que sont les lettres de notre ADN. Ce sont tous ces mystérieux dièses et bémols placés çà et là qui font de chacun de nous un mystère à part entière. Nous sommes bien plus qu’un code barre génétique.

Tout est lié, voyons-le comme une bonne nouvelle ! C’est une injection de bon sens, une invitation à la responsabilité personnelle et collective.

Tout est lié : le secret pour percevoir la vie et le monde avec un nouveau regard d’émerveillement.


2/ Tout est fragile, vulnérable

Notre maison commune est fragile. Nos écosystèmes sont fragiles. Notre planète est fragile. Et souffrante.

L’humanité est fragile, chacun de nous est fragile. Nous sommes vulnérables. En particulier à différents moments de notre vie, comme lors de notre petite enfance où nous étions d’une absolue dépendance aux autres. Notre survie dépendait des autres. De notre mère, d’abord. Nous portons tous la cicatrice de cette dépendance intégrale : le nombril. La preuve gravée dans notre corps que nous ne nous sommes pas fait tous seuls.

Notre corps est vulnérable. Certains le vivent douloureusement au quotidien. La maladie, le handicap, la souffrance physique et la vieillesse guettent nombre d’entre nous.

Vous savez quoi ? Vulnérable, certes, mais notre corps est une merveille. Notre corps biologique est une « machine » extraordinaire. Si on voulait l’inventer de toutes pièces, on n’y arriverait pas !

Regardons notre foie. 1.5 kg. 300 trillions de cellules spécialisées. Il est l’organe principal qui intervient dans la dégradation de toute substance toxique que rencontre notre corps, qu’elle soit ingérée, injectée, touchée ou inhalée afin de prévenir l’accumulation de déchets. C’est notre tri sélectif personnel. 500 fonctions essentielles se déroulent dans le foie ; il filtre environ 1,7 litre de sang par minute. Quelle merveille ! Quelle merveille également que la peau ! Quelle merveille que le cerveau !

La question des neurosciences est majeure. C’est une question bioéthique très importante, au-delà même de la question des intelligences artificielles.

Des travaux sont menés pour agir sur le cerveau. Certains médicaments le font déjà bien qu’il soit compliqué de tracer une ligne nette entre le normal et le pathologique. Entre la restauration et l’amélioration…

Augmenter notre cervelle… l’intelligence humaine ne se réduit pas à la puissance de son quotient intellectuel (QI) ! Or, des recherches sont menées pour sélectionner les embryons selon leur « potentiel QI ». Le fameux « monde des meilleurs » est-il en train d’émerger ?

Si la technologie permet de grands progrès, elle nous vole parfois certaines capacités et certaines libertés. On a l’impression que nos connaissances augmentent mais c’est faux. Collectivement, c’est vrai, mais nous confions nos connaissances à Google. Les jeunes ne lisent plus, n’apprennent plus les grands auteurs, la musique, l’histoire. (Pour quoi faire ? Google est là !)

Notre intelligence est multiple et complexe. Elle est rationnelle, par notre capacité à analyser. Elle est émotionnelle en ce qu’elle nous offre de comprendre les autres et d’apprendre à nous comporter avec eux. Elle est infiniment spirituelle : elle donne du sens aux choses, aux événements, à notre vie. Comme nous sommes plus qu’un code barre génétique, notre cerveau est plus qu’un ordinateur en viande.


3/ Tout est donné

Réalisons-nous vraiment que tout nous est donné ? La planète est un don. Comme le jour qui se lève, l’eau, l’air, le temps qui passe. Et la vie, aussi.

Laudato Si’ nous invite à prendre la mesure que tout est don. Cette posture compte dans les problématiques du vivant. De l’éthique de la vie. Regardons, d’abord, l’enfant comme un don. Ceux qui l’espèrent tant nous le démontrent infiniment.

La Technologie qui rend l’embryon disponible sous le microscope ou dans la machine à séquencer l’ADN se transforme en tamis qui aurait peut-être mis la plupart d’entre nous au tapis.

Les biotechnologies sélectionnent, trient, jettent ceux qu’elles considèrent comme indignes de vivre et nous emmènent dans une nouvelle forme d’eugénisme : consensuelle, technique, démocratique, et bientôt chronique si notre société continue de s’y acclimater.

Et pourtant, nous qui vivons aujourd’hui sommes génétiquement imparfaits. Et tous génétiquement uniques. C’est cela qui compte le plus !

Éthique ou pathétique ? 

Il est temps de nous réveiller. Quel monde voulons-nous pour demain ? Telle était la question des États généraux de la bioéthique de 2018.

Une vraie bonne question qui implique de savoir quel homme nous voulons pour demain.

La vie a-t-elle cessé d’être un don ? Elle semble pouvoir s’acheter selon le modèle de la Gestation pour Autrui (GPA) : la grossesse en vue d’un abandon délibéré du bébé. Pour 18 000 dollars, somme que Monsieur Fogiel a déboursé pour ses filles, par exemple. Une pratique interdite dans notre pays au nom de la dignité humaine et qui pourtant fait l’objet de reportages complaisants dans nos médias, dans le silence assourdissant de nos politiques.

Nous devons convertir notre regard : tout est don. Notre corps est un don. Il n’est pas un droit hors de nous. « Mon corps m’appartient », « le droit à disposer de son corps »… domination abusive ? Mon corps, c’est moi. Je suis mon corps. Prenons-en soin…

Voir la vie comme un don, c’est avoir la chance de voir les enfants comme un don et se donner les meilleures chances de les accueillir tels qu’ils sont – non pas comme des objets que nous façonnons, le produit de notre volonté, l’instrument de nos ambitions.

Et puis, recevoir l’autre comme un don favorise la capacité de se recevoir soi-même tel que l’on est, avec nos fragilités et nos talents. C’est garder à l’esprit que tout cela ne nous était pas dû, ce qui produit une posture intérieure de gratitude, l’un des secrets les plus utiles au bonheur.

Tout est donné, fragile, lié : l’exemple de la maternité

Le lieu par excellence de ces trois piliers, c’est la maternité.

La période « aquatique » de notre vie : quand nous sommes intégralement vulnérables, reliés, donnés et donc reçus.  C’est le lieu de communion humaine le plus fort, puisqu’en un corps prend vie un autre corps. Tout est donné, fragile, lié.

Je crois que ces piliers doivent animer notre réflexion quotidienne et notre vision du monde, si on veut construire un monde meilleur.

La bioéthique c’est la vie : le cœur de l’écologie humaine. Si nous avons des sensibilités différentes et des vocations propres, nous sommes de la même pâte humaine et collectivement responsables les uns des autres.

Cultivons une sagesse éthique spéciale et une résistance morale courageuse. Parce que nous le valons bien !

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