L’esprit malin du capitalisme – Pierre-Yves Gomez

23 Oct, 2019 | ECONOMIE

Esprit malin rusé ou esprit malin empreint de malignité ? Si Pierre-Yves Gomez, économiste et co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, laisse le lecteur faire son choix, il propose une solide réflexion sur les mirages de l’économie spéculative : L’esprit malin du capitalisme est paru aux éditions Desclée de Brouwer le 23 octobre 2019.
Ce qu'on appelle avec emphase l'économie de marché 
est avant tout une économie de marchands qui ont, avec les économistes, 
remplacé les théologiens et les moralistes pour déterminer la valeur des choses.

EN QUELQUES MOTS

Même si la thèse de Capital et idéologie, le dernier essai de Thomas Piketty, est forte et étayée, la critique du capitalisme contemporain ne peut pas se réduire à déplorer les inégalités croissantes. Il faut comprendre comment ces inégalités ont pu se creuser alors que depuis trois décennies, nous avons traversé une période de paix sociale exceptionnelle : effondrement du nombre de jours de grèves, des revendications sociales collectives, des syndicats, etc. Inégalités accrues d’un côté, paix sociale de l’autre : comment expliquer ce paradoxe ? Pierre-Yves Gomez montre que, depuis près d’un demi-siècle, on a vu se déployer une nouvelle forme de capitalisme, le capitalisme spéculatif.
Il ne s’agit pas là d’un dévoiement du « capitalisme vertueux », mais d’une façon originale d’assurer la croissance économique par la surenchère permanente sur la valeur future du capital. Tout le monde croit que tout le monde croit que la valeur des biens et des choses va continuer d’augmenter : non seulement celle des titres en bourse, mais aussi celle des biens immobiliers, des technologies, des startups, des compétences individuelles, du bien-être… et de l’homme lui-même qui sera bientôt « augmenté ».
L’esprit spéculatif a ainsi gagné toute la société. Nous sommes tirés vers un avenir qui semble radieux parce qu’il est « disruptif ». Il sera à ce point radieux que les dettes consenties aujourd’hui pour le réaliser n’ont aucune importance, car le capital sera à terme tellement valorisé que leur remboursement sera évident. Telle est la grande promesse de gain du capitalisme spéculatif à laquelle souscrit le trader comme le micro-capitaliste qui loue son appartement sur AirBnb ou qui spécule sur le bitcoin. La spéculation a pu creuser les inégalités sociales sans résistances parce que nous avons tous, à notre échelle individuelle, parié sur notre possible enrichissement. En attendant, les dettes financières, sociales et écologiques s’accumulent à la mesure de ces promesses absurdes sur l’avenir. Et il faut sans cesse renouveler les unes et les autres pour éviter que la machine à spéculer se bloque et qu’apparaisse la réalité crue : nous ne pourrons jamais payer nos dettes.

CE QU’EN DIT PIERRE-YVES GOMEZ

Ce qu'on appelle l'ubérisation est moins la fin du salariat que celle d'une certaine économie de la gratuité.

Nous sommes tous devenus des micro-capitalistes : plutôt que d’avoir une chambre d’amis, je vais louer mon hébergement via Airbnb, plutôt que de prendre un auto-stoppeur, je vais louer ma place supplémentaire sur blablacar…
Je crois que c’est le thème central du livre : comment la transformation matérielle des structures économiques (sans que personne ne l’ait voulu ou planifié) et la façon de produire a aussi transformé la façon de consommer, notre relation aux autres et notre relation au monde. C’est ce que l’on a appelé l’individualisme ; c’est un individualisme micro-capitaliste, c’est à dire qu’il est fondé sur le principe suivant : je peux me réaliser moi-même parce que je peux me valoriser moi-même. J’ai une valeur marchande.”

La honte d'être un homme a une fonction : elle déplace l'objet des doutes ; au lieu de s'interroger sur les dettes qui s'accumulent et sur les capacités des promesses spéculatives à les absorber, l'homme est invité à douter de lui-même (et pas de l'avenir).

“L’autre grand thème du livre est l‘impact de la financiarisation sur le capitalisme, qui, d’accumulatif est devenu spéculatif. Pour que ce nouveau capitalisme fonctionne, avec les milliards issus de l’épargne des ménages, il faut faire toujours plus de profit. Or, ça n’est pas possible d’en faire toujours plus ! L’autre manière de rémunérer l’épargne est alors de faire croire que la valeur du capital va augmenter. Un exemple très simple : je peux acheter un appartement, m’endetter sur des années, mais miser sur le fait que dans 5 ans, je vais pouvoir le revendre à une valeur plus importante parce que le prix de l’immobilier va augmenter. Ce qui est le cas depuis plusieurs années.
Depuis 1974, on est entré dans une période spéculative. Comme on ne peut plus faire assez de profits pour rémunérer ces masses de capitaux, on spécule donc sur l’augmentation de la valeur du capital.”

Pour aller plus loin :

Interview de Pierre-Yve Gomez sur RCF, Spéculation financière : “si on n’y croit plus, le système s’effondre”, le 16 octobre 2019

La solution au fatalisme anti-humaniste est sous nos yeux, Le Monde, 16 octobre 2019

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