Entretien avec Pierre-Yves Gomez : la Bienveillance

29 Juin, 2014 | L'ECOLOGIE HUMAINE

Qu’est-ce que la bienveillance et pourquoi serait-elle à la fois le cœur, le déclencheur et le résultat d’un changement de société ?

 pierre yves gomez« Etre bien – veillant, c’est “veiller au bien“, être un gardien, un veilleur du bien ».

Voilà une affirmation qui n’est certes pas politiquement correcte. L’idéologie libérale-libertaire, qui est dominante, prétend qu’il n’y a pas de bien commun, et donc il n’y a pas de bien sur lequel chacun pourrait veiller. Pire : prétendre « veiller au bien », c’est imposer sa vision personnelle du bien, au risque du fanatisme. Comment peut-on affirmer que l’on est « veilleur du bien », s’il n’existe aucun bien en dehors de nos opinions et de nos croyances personnelles ?

 

Nous sommes tellement formatés par ce discours que je l’ai même entendu durant le Tour de France de l’Ecologie humaine, dans la bouche de personnes dont les valeurs étaient clairement loin de celles de l’idéologie libérale-libertaire… C’est dire qu’il est difficile d’assumer que

le bien commun est, qu’il est nécessaire et que nous sommes appelés à veiller à sa réalisation.

 

Big Brother vs Bien commun

Car chacun, y compris les plus libertaires de nos amis, s’accordent à considérer qu’il faut défendre les « valeurs de la République », ou qu’il faut être tolérant, respectueux des autres ou de la planète… L’école publique, comme les médias, les discours politiques ou économiques sont pétris de « bons sentiments » sur le « vivre ensemble ».

C’est la grande hypocrisie de notre société libertaire : affirmer la relativité des opinions personnelles sur ce qu’est le bien, mais imposer à tous les mêmes valeurs, les mêmes exigences de conduites et les mêmes registres de pensée politiquement correcte.

Plus qu’une hypocrisie c’est aussi un mécanisme de domination dont nous souffrons et qui explique, à mon sens, le mouvement de contestation qui a débuté en 2012.

En effet, plus on prive l’individu de la possibilité de se référer au bien dans ses actes et dans ses choix, à affirmer et à défendre un bien commun, plus on l’oblige à céder aux gouvernants le pouvoir de créer les règles du vivre ensemble. « Jouissez, faites ce qui vous plaît, soyez même égoïstes, occupez-vous de vous ! disent les cyniques, nous nous chargerons de créer les lois, les règles et les normes qui nous obligerons à vivre ensemble ». Le cynisme, l’égoïsme sont présentés comme des postures hautement intelligentes, libérées des « croyances ». Mais c’est pour donner plus de pouvoir à ceux qui imposent les normes et qui fixent les standards de notre vie.

Ce mécanisme fondamental est à l’œuvre dans la société libérale : plus on nie que l’homme peut être fraternel, plus on nourrit le pouvoir de Big Brother, qu’il prenne la forme de systèmes d’information sophistiqués, de pensées politiquement correctes ou de codes de comportements toujours plus exigeants. Comme chacun est censé être individualiste, il faut bien que les gouvernants se chargent de veiller à notre place, au bien de la société.

Faute de bienveillants, on produit des surveillants. L’individualisme est-il finalement si intelligent ?

 

« Faire le bien est naturel, et personnel »

Or, dans la vraie vie, faire le bien est une chose naturelle et personnelle. Des milliers de gens, à leur niveau, agissent au nom du bien commun : ils aiment, donnent, écoutent, respectent, encouragent, aident, inventent, produisent pour les autres, sans qu’aucun pouvoir ne les y oblige.

Ils y trouvent du plaisir et de la dignité, car ils sont libres de participer au bien qu’ils jugent nécessaires. Ils sont tout sauf individualistes, même si leurs intérêts ne leur sont pas indifférents.

Mais ils sont plus grands que leurs intérêts. Et ce sont eux, davantage que les règles, qui font marcher les entreprises, les cités ou la société. Cela c’est la vraie vie.

Et c’est elle qu’il faut manifester. Faire le bien est dans la nature de l’homme. Certes, il ne fait pas toujours le bien. Mais il le fait aussi, et spontanément. C’est cela qu’une société doit encourager. Ce n’est pas être « bisounours » que de dire que l’humain aspire à faire le bien, sans qu’on le lui impose. Ce n’est pas un vœu beau mais vague, c’est un constat réaliste. Regardons le monde tel qu’il est vraiment, et misons sur le réel plutôt que sur des idéologues cyniques. Nous avons besoin de veilleurs qui le disent. De bien-veilleurs, de veilleurs du bien.

 

Qu’est-ce donc que s’affirmer bien-veillant ? C’est dire que le bien, qui consiste à faire grandir les capacités de vie d’une ou plusieurs personnes, faire grandir ce bien nous est commun. Chaque homme peut y contribuer à sa manière.

En nous affirmant bien-veillants, nous reprenons en main notre destin d’homme, de citoyen. Contre l’idéologie qui nourrit Big Brother, nous affirmons que chacun de nous participe au bien commun, qu’il le produit, et qu’il veut en être le gardien. Et qu’une société libre est une société qui se fonde et affirme la bienveillance entre ses membres.

 Lorsque nous serons assez nombreux, la société se transformera dans un mouvement tranquille. La responsabilité de tous passera dans les mains de chacun. C’est pourquoi faire de la bienveillance notre exigence, ce n’est pas une posture éthique, c’est aussi un acte politique.

Je soutiens le Courant pour une écologie humaine

 Générateur d’espérance