L’homme défié par le transhumanisme

14 Août, 2017 | SCIENCES & TECHNOLOGIES

Tanneguy Ramière de Fortanier est dirigeant d’ITPlus Conseil Technologie, cabinet de conseil et fournisseur de solutions mobiles d’entreprises. Passionné par la relation homme / technique, il nous propose ici une réflexion sur le transhumanisme.
Cet article est issu du livre “Société de Bien Commun, pour changer la donne à hauteur d’homme”.

Transhumanisme2

RÉPARER PUIS AUGMENTER L’HOMME

La question du bien commun se pose dans un champ de plus en plus médiatisé : le transhumanisme. Il s’agit d’un courant de pensée né dans les années 1960 dans la Silicon Valley qui envisage « la possibilité d’élargir le potentiel humain en surmontant le vieillissement, les lacunes cognitives, la souffrance involontaire » ; il promeut « la liberté morphologique, le droit de modifier et d’améliorer son corps, sa cognition et ses émotions. Cette liberté inclut le droit d’utiliser ou de ne pas utiliser des techniques et technologies pour prolonger la vie, la préservation de soi-même grâce à la cryogénisation, le téléchargement ou d’autres moyens, et de pouvoir choisir de futurs modifications et améliorations ». Que sont ces « modifications et améliorations » attendues pour l’homme ? Quels impacts sur la nature humaine ? Quel lien avec le bien commun ?

Le transhumanisme a d’abord le souhait de réparer l’homme, de s’attaquer aux maladies. Il entre donc dans le domaine de la médecine mais glisse ensuite vers l’augmentation de l’homme et, en particulier, de son intelligence : les progrès actuels de l’informatique et de l’intelligence artificielle rendent ce désir atteignable. Pour le moment, cette puissance est à l’extérieur de l’homme. Pour la capter, il faudrait hybrider l’homme et les machines ; « connecter » son cerveau, voire transférer l’intégralité du « contenu » de son cerveau : « l’uploading ».  Avec l’amélioration ou le remplacement de membres « bioniques » (rétine, main, bras, jambes, cœur artificiels), il entre dans l’ère du cyborg (hybride entre l’être humain et le robot). Mais que sera l’homme quand une partie de ses centres de mémorisation, de réflexion et de décision seront en dehors de lui ou dépendront de calculateurs extérieurs ? Des risques de sécurité avec le bio-hacking sont déjà évoqués. Quels impacts auront sur la nature humaine ces changements, pièce par pièce, d’organes de plus en plus « personnels » ? Dans cette course à la réparation, à l’amélioration puis à la perfection, quelle place restera-t-il pour le plus faible, le plus fragile, que chacun de nous sera, tôt ou tard ?
Notre « sauvegarde » ou notre « duplication » va entamer une autre de nos caractéristiques importantes : l’unicité. L’existence de nos différents « avatars » sur les réseaux sociaux et la réalité virtuelle ont déjà commencé à nous « éclater ». N’y a-t-il pas ici le risque de quitter la dimension vitale, c’est-à-dire corporelle, de notre être ?

Transhumanisme

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET ROBOTS

L’intelligence artificielle poussée à son plus haut point et embarquée dans une entité autonome, le robot, est aussi un objectif pour les transhumanistes. Ceci est d’autant plus vrai qu’il n’y a pas pour eux de frontière nette entre l’animal, l’humain et les intelligences artificielles. La place de ces nouvelles entités est une vraie question.
En parallèle, l’informatique permet l’émergence de la réalité virtuelle.
L’évacuation de l’homme de nombreuses sphères économiques aura un impact énorme sur l’emploi et la notion même de travail. Or le travail est un des moyens pour l’homme de se socialiser et d’apporter sa contribution à la société. Que serons-nous sans ce biais de sociabilisation ? Va-t-on trouver une activité de remplacement ?  Les transhumanistes ont une position tranchée : ou l’homme s’adapte, quitte à s’hybrider à la machine, comme l’affirme Eon Musk, ou il disparaît.
Le flou qui entoure la notion de nature humaine versus l’« intelligence artificielle » est aussi un point inquiétant : la communauté européenne ne discute-t-elle pas actuellement des droits des robots ? Ce risque de « remplacement » de l’homme dans une « post-humanité » fait se poser la question à Jean-Marie Besnier : « le futur a-t-il encore besoin de nous ? ». Le transhumanisme est une vison scientiste, mécaniste, matérialiste de l’homme, qui gomme sa dimension spirituelle et qui considère que l’homme est une machine perfectionnée mais une machine quand même ; machine qui pourrait être supplantée, sinon imitée.

Transhumanisme3

MODIFIER PROFONDÉMENT LA GENÈSE ET LE GÉNOME DE L’HOMME 

Ce mouvement veut aussi modifier le fonctionnement « naturel » de l’homme, puisque ce dernier est vu comme imparfait, et porte notamment des maladies. Il préconise alors de « maîtriser » son processus de fabrication, par la procréation et la gestation artificielle (Procréation médicalement assistée qui est déjà là. Utérus artificiel en projet), ceci pourrait révolutionner notre manière d’avoir et de (ne plus) porter d’enfants. Le tri embryonnaire et le diagnostic préimplantatoire (DPI) permettent de sélectionner les embryons les plus sains et de le séparer des autres. Avant ou après la naissance, il y a aussi l’ingénierie génétique (avec la dernière découverte du ciseau génétique CRISPR-Cas9) qui peut toucher et modifier le patrimoine génétique de l’homme. Le risque est l’effacement du lien de la naissance avec l’intimité du couple, puis avec la mère. Poussé à l’extrême, nous retrouvons l’image d’enfants élevés en batterie du film Matrix. C’est aussi la maîtrise de plus en plus grande de son génome et de son origine ‒ avec des bouleversements dont les effets n’ont pas été pensés, et qui ne peuvent pas être décelés immédiatement. Quels risques prend-on pour les générations à venir en touchant au patrimoine génétique des embryons et des cellules séminales avec les manipulations génétiques ? C’est finalement refuser cette expérience humaine du « donné » (on se reçoit d’autres) pour choisir le « construit », c’est se fermer à l’altérité et à la transcendance.

 Transhumanisme4
L’INDIVIDU ET SES DÉSIRS AU CENTRE

Le transhumanisme est d’inspiration libérale. Né en plein cœur de la Silicon Valley, il s’appuie sur les progrès technologiques et est financé en grande partie par les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) dont une partie des hauts dirigeants est acquise à ce courant de pensée (en particulier Ray Kurzweil, CTO (Chief Technology Officer) de Google et co-dirigeant du centre de formation proche du transhumanisme : l’Université de la Singularité). Qui dit libéral, dit aussi individualiste : ce qui importe à ce courant est de satisfaire tous les désirs individuels de l’homme, sans nécessairement réfléchir à ceux des groupes dont il fait partie, et in fine de l’humanité. Pour Ray Kurzweil, la question n’est pas « qu’est-ce que l’homme ? » (vue essentialiste) mais « quel type d’homme allons-nous construire ? »

Transhumanisme5

UN RISQUE SUR LA NATURE HUMAINE, MAIS LAQUELLE ?

Les impacts des « progrès » transhumanistes et leur irréversibilité éventuelle sont difficiles à prévoir. Dès lors que notre nature humaine peut être durablement modifiée, il faut prendre le temps de réfléchir à la destination de ces chemins, avant de s’y engager. Et commencer par poser les bases de ce que l’on entend par « nature humaine ». Même si elle reste toujours à redéfinir, la nature humaine est ce que les hommes ont en commun, du plus petit au plus grand, du plus humble au plus riche, du plus malade au mieux portant. Il serait trop long de traiter ici ce sujet de façon exhaustive. On peut cependant citer quelques unes des composantes humaines : la dimension vitale (un corps vivant), la dimension sociale (l’homme est un être de relation), la dimension affective, la dimension spirituelle (avec notamment la conscience de la mort), la dimension unique de la personne (appuyée par la biologie).  Il y a aussi des comportements plus élaborés : la capacité de se sacrifier par amour, la capacité de protéger le plus faible (d’où notamment la naissance des sociétés), le désir de justice… Il y a d’autres caractéristiques intrinsèques à l’homme, qu’il ne choisit pas, qu’il n’élabore pas et qui pourtant le modèlent fortement : un être né de deux autres qui commence son existence dans le corps d’une femme, un corps sexué et un temps compté (jusqu’à la mort). Ce sont ces caractéristiques qui sont justement remises en causes par ces « avancées » transhumanistes. Est-ce vraiment ce que nous souhaitons modifier dans les prochaines décennies, les prochains siècles ?

transhumanisme_nature

LE BIEN COMMUN DE L’HOMME : LA NATURE HUMAINE

Quel que soit le degré d’illusion, voire de fantasme, contenu dans la promesse transhumaniste, eu égard à la complexité encore ignorée du corps humain et de la personne humaine, la nature humaine n’est pas « seulement » l’affaire de chacun, qui pourrait en décider à sa guise, comme semble sous-entendre le transhumanisme, mais l’affaire de tous. Nous expérimentons que cette nature humaine découle d’une expérience à la fois individuelle et collective, qu’elle soit sociale, spirituelle, ou religieuse. Ce n’est pas nous qui décidons seul ce qu’est le « bien commun » car nous partageons notre nature humaine avec les autres, c’est ensemble que nous le découvrons et le construisons.
La nature humaine est un bien commun – comme la nature dont on a redécouvert il y a quelques décennies qu’il fallait la protéger collectivement par l’écologie. C’est un bien commun car c’est le bien de tous et de chacun. On ne peut défendre, parler de la nature  humaine sans prendre en compte celle de chaque personne qui la compose, jusqu’au plus petit, au plus faible ‒ c’est même parfois ce qui nous fait plus humain. Le bien commun est ainsi à distinguer de l’intérêt général qui peut sacrifier certains (le plus malade et le plus faible parfois) à l’intérêt du plus grand nombre. C’est d’ailleurs l’attitude des courants transhumanistes qui vont pousser des découvertes à partir du moment où quelques uns les jugent souhaitables. Le bien  commun nécessite donc que les citoyens et, avec eux, les politiques, les associations, les grandes familles religieuses, investissent ce champ de réflexion et apportent collégialement des réponses et des orientations qui permettront de faire des choix. Cela pourra partir d’initiatives de petits groupes pour revisiter notre rapport avec la technologie jusqu’à des réflexions nationales ou internationales sur la place de
l’intelligence artificielle dans nos vies et nos institutions. Cette concertation prendra du temps, de même que l’adaptation de l’homme à des environnements nouveaux. La liberté véritable de l’homme fragile est à préserver de la « libération » à marche forcée que prône le transhumanisme qui estime que l’idée même de nature humaine est source d’aliénation. C’est l’intérêt de l’homme et de tous les hommes qui doit guider la vitesse et le contenu des changements technologiques et non l’inverse. Ne faut-il pas enfin qu’advienne le « temps de l’homme »?

 

>> Pour approfondir cette réflexion sur la Société de Bien Commun, cliquer ici. <<

SBC_Slider

Comment faire advenir une Société de Bien Commun ? Cette question passionne le Courant pour une écologie humaine, qui lance le premier volume d’une collection dédiée à la recherche des conditions et des moyens nécessaires pour faire émerger cette société. Pour changer la donne, à hauteur d’homme.

Je soutiens le Courant pour une écologie humaine

 Générateur d’espérance