DRH : sortir le travail de l’absurde

7 Fév, 2018 | Non classé

Benoît Bréchignac, Directeur des Ressources Humaines (DRH) d’un groupe de distribution en région Rhône-Alpes, s’interroge : comment impacter positivement l’entreprise dans le contexte de changement permanent et de forte complexité actuel ?
Cet article est issu du livre « Société de Bien Commun, pour changer la donne à hauteur d’homme ».

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“Les entreprises sont confrontées à des changements permanents qui ont des impacts immédiats sur leurs organisations, leurs interactions et sur le travail de leurs collaborateurs. Dans ce contexte, le DRH que je suis se pose chaque jour la question de sa mission quotidienne et donc de son impact au sein de l’entreprise.

Quand j’ai commencé à travailler, une fois les fondamentaux de la fonction mis en place (paie, administration, formation, recrutement, carrières), le DRH se devait de les faire évoluer au rythme des changements de l’environnement et de l’entreprise. Un exemple récent : l’émergence des réseaux sociaux a bouleversé la manière de recruter, mais la finalité du recrutement est restée la même. La question du sens ne se posait pas avec la même acuité qu’aujourd’hui.

Le DRH aujourd’hui est confronté à des réalités d’une complexité bien plus élevée. Son quotidien est constitué de globalisation, mondialisation, organisations matricielles, centres de services partagés, reporting, business services, centralisation, clusterisation, gouvernances croisées, externalisation, KPI’s…. Les entreprises s’emballent pour rester on board, efficientes, rentables. Partout, il est question de transformation, de digitalisation, d’innovation, d’agilité, de conduite du changement. Tout cela dans une accélération du temps et une concurrence toujours plus élevée.

La mondialisation accentue la pression économique, les stratégies deviennent globales, les méthodes de travail s’éloignent de la réalité locale et des besoins anthropologiques de la personne humaine.
Le salarié incarné est progressivement oublié ; la valeur de son expérience également. Le travail perd de son sens et frôle souvent l’absurde. Le désengagement des salariés est le symptôme le plus fréquemment observé après celui des risques psycho-sociaux et des burn out parce qu’il est devenu le premier facteur de protection.

En un mot : les entreprises se dévitalisent et le seul remède à cela est de remettre du sens au sein de l’entreprise. L’entreprise est un corps vivant, organique : le rôle du DRH est d’inciter chacun à se poser la question : “à quel moment me suis-je senti pleinement vivant dans mon travail et pourquoi ?” Répondre à cette question, c’est trouver pour soi-même les clés pour conserver son niveau d’énergie et d’engagement. À cette question, les réponses les plus fréquentes sont : « je me suis senti reconnu, on m’a fait confiance, j’ai été encouragé, j’étais fier de ce que j’ai fait, je suis allé au bout de mon projet, j’ai pu exercer ma créativité, nous avons réussi ensemble. ».

Tout réside dans le lien, la relation avec les autres, l’émotion positive, la considération bienveillante, la qualité humaine dans la relation de travail…

Pour le DRH, il s’agit de créer au sein de l’entreprise les conditions de cette énergie positive et d’embarquer avec lui le management et les dirigeants.
Cela peut se traduire par différentes démarches qui semblent anodines prises séparément mais leur addition provoque des effets très positifs :

• évaluer régulièrement l’expérience et la satisfaction des collaborateurs comme on le fait pour ses clients par des enquêtes internes et en déduire des plans d’actions annuels,

• donner du temps dans l’accompagnement du changement et la conduite des projets à l’appropriation : prendre le temps de qualifier les changements, identifier les impacts, dépasser les peurs  et identifier les attraits, engager les équipes par l’intelligence émotionnelle,

• changer la posture du management pour plus de proximité et d’humilité, développer les attitudes positives qui créent la confiance,

• développer la culture du feed back, se former aux méthodes collaboratives de conduite de projet,

• ritualiser les modes d’animation de réunions pour inviter chacun  à s’exprimer dans un climat favorable en bannissant le cynisme  et la critique négative,

• initier le co-développement entre pairs,

• organiser des moments gratuits de convivialité,

• retravailler les entretiens annuels d’évaluation pour en faire une vraie opportunité de progrès et de développement par des démarches appréciatives centrées sur les forces et non les points faibles,

• donner du temps aux équipes pour s’ouvrir, se nourrir, mieux comprendre les évolutions du monde et se préparer aux changements, inviter des témoins dans l’entreprise sur des thématiques diverses, laisser les collaborateurs inviter leur réseau personnel et choisir le sujet de la rencontre…

Les transformations culturelles et managériales sont au cœur des enjeux actuels des entreprises et les DRH le savent bien : pas un club, une rencontre entre pairs, une conférence échappe à ces échanges aujourd’hui. Les cabinets de conseil développent des offres d’accompagnement de plus en plus élaborées et pertinentes.

Les grandes entreprises ont déjà amorcé ce virage, renforcées en cela par l’émergence des start up qui se développent volontairement en dehors du cadre classique de l’entreprise traditionnelle. Ces dernières sont des labos efficaces de quantités de nouvelles pratiques très instructives parce qu’à hauteur d’homme.

Il me paraît vital aujourd’hui que les dirigeants, avec l’aide de leur DRH, travaillent à remettre la personne humaine au cœur de l’entreprise et des organisations.
Cette orientation est nécessaire à l’unification de la communauté humaine qu’est l’entreprise. Le travail pourra ainsi (re)devenir le lieu de l’expression de la dignité  de la personne humaine, de sa créativité et de son développement.

Il existe aujourd’hui une opportunité extraordinaire au sein des entreprises : la génération Millenium arrive sur le marché de la consommation et bouscule tous les codes au point d’impacter fortement les stratégies marketing, relations clients, offres produits et services, open source et transparence des datas. À cela s’ajoute une aspiration forte à la responsabilité sociétale ainsi qu’à la consommation bio et d’une manière plus large à l’écologie humaine.
Les Milleniums sont aussi nos collaborateurs : en ce sens, ils apportent au sein de leurs entreprises toutes les raisons de se remettre en question et de se transformer en profondeur. L’accélération du digital rend ce mouvement d’autant plus nécessaire. Les Milleniums rejoignent également les aspirations des autres générations à remettre du sens dans leur travail.
Nous assistons actuellement à un mouvement général de double transformation des entreprises qui passe par une transformation métier / business d’une part  et une transformation managériale / culturelle d’autre part. Cette dernière amène les entreprises à revisiter en profondeur les thématiques suivantes pour davantage d’unification et d’humanisation des organisations. Ces mouvements revitalisent les entreprises et les équipes et développement l’engagement et l’attachement à une maison commune, une communauté.

• Une gouvernance transparente, régulière et une communication de proximité avec tous les acteurs de l’entreprise dans le respect de leurs rôles et prérogatives.

• Le développement d’un management authentique, bienveillant, et l’évolution des modèles de leadership sont en pleine mutation : le leader de demain est un développeur d’hommes, au service de son équipe, supporter et encourageant, transmetteur de confiance et d’énergie …

• Les enjeux internes et externes de collaboration, de co-construction des politiques et des projets, les méthodes d’animation en intelligence collective sont des leviers de création de valeur, d’innovation, d’engagement et de convivialité et créateurs de liens. Il est urgent de développer et de promouvoir ces nouvelles méthodologies voire d’inciter fiscalement les entreprises (crédit impôt formation, reconnaissance valeur de prévention de la santé au travail et réduction cotisation AT/MP…).

• L’évolution des organisations amène les entreprises à développer des programmes ambitieux de conduite du changement et d’accompagnement des collaborateurs. La fonction du manager évolue et le rôle des ressources humaines également. La formation et le développement des responsables RH est nécessaire pour aborder ces transformations.

• L’engagement social et solidaire, le développement de l’entreprenariat social et de l’intrapreneuriat est en pleine effervescence. De nombreux projets de création d’entreprises existent. Tous les dispositifs permettant de faciliter ces initiatives seront les bienvenus (simplification administrative, exonération fiscale, allongement des congés pour création d’entreprise, organisation du retour à l’emploi, protection sociale, statut du créateur d’entreprise…).

• Des projets internes menés par des collaborateurs de l’entreprise peuvent aussi être développés avec l’appui et le soutien de structures externes (Ticket for change, Enactus …) très actives aujourd’hui. La promotion de ces dispositifs par l’État pourrait être facilitante et incitative pour les entreprises.

• Les dispositifs d’essaimage, d’aide à la création d’entreprise, les nouvelles formes de collaborations pourraient également être facilitées par une simplification de la législation ou une meilleure sécurisation (condition de la dépendance des prestataires, mise à disposition de personnel, prêt de main d’œuvre, délit de marchandage, portabilité des droits assurance chômage, conflits d’intérêts…)

• Les fondations d’entreprise, le développement du mécénat de compétences sont également en plein développement.

Finalement, redonner du sens au travail, c’est redonner vie à l’entreprise. C’est partir du principe que l’entreprise est un organisme vivant et incarné, avec des métabolismes propres qui a besoin de nourriture et d’interactions.
Se sentir pleinement vivant dans son travail, c’est ressentir de la joie dans l’expression de ses talents au service d’un projet commun, se sentir utile et membre du groupe.
Les entreprises qui réussissent durablement sont les entreprises qui ont compris cette dimension anthropologique et qui intègrent dans leurs politiques RH ces ingrédients d’écologie humaine.”

 

 

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Comment faire advenir une Société de Bien Commun ? Cette question passionne le Courant pour une écologie humaine, qui lance le premier volume d’une collection dédiée à la recherche des conditions et des moyens nécessaires pour faire émerger cette société. Pour changer la donne, à hauteur d’homme.

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