Pourquoi philosopher en école de commerce ?

24 Oct, 2017 | Non classé

Bernard Guéry, Enseignant-Chercheur à l’IPC, intervenant en entreprise et enseignant de philosophie en école de commerce et master de management. Il explique pourquoi il est crucial, selon lui, d’introduire une réflexion philosophiques en école de commerce. Cet article est issu du livre Société de Bien Commun, pour changer la donne à hauteur d’homme”.

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TROIS AVANTAGES MAJEURS DE L’ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE

Certaines écoles de commerce et masters publics de management intègrent à leur programme des heures de philosophie.

Cet enseignement de la philosophie porte sur le management et sur le monde du travail en général. Or, cette pratique se révèle d’un intérêt croissant, pour trois raisons :

* La première, c’est le besoin qu’ont les entreprises d’innover sans cesse pour se démarquer de leurs concurrents. Or, la philosophie permet de jouer un rôle clé dans l’innovation car elle apporte une culture générale et une hauteur de vue qui vont permettre aux futurs managers de trouver de l’inspiration dans d’autres domaines.

La philosophie permet aussi de porter un regard critique sur les innovations, notamment managériales, qui sont charriées par les modes successives, et de porter un regard éclairé et vigilant sur les dangers de certaines conceptions managériales. Par exemple, un regard philosophique sur les manipulations totalitaires à l’aune de la pensée d’Arendt permet de garder la tête froide par rapport à certaines dérives enthousiasmantes du mouvement que l’on appelle « l’entreprise libérée ».

* La seconde raison de porter un regard philosophique sur le monde du travail quand on s’apprête à y exercer des responsabilités, tient au besoin de sens au travail qui se fait sentir, notamment chez les cadres et dans les grands groupes. L’école de commerce apporte des outils et des façons de s’en servir. La philosophie fournit les raisons de s’en servir. La question de la finalité émerge sans cesse dans les réflexions des étudiants.  Par exemple, ils conçoivent l’enrichissement personnel pour se libérer du travail, mais quand on leur demande ce qu’ils feraient une fois libérés du travail, on retrouve dans leur réponse une forme de travail.

* La troisième raison pour laquelle il est nécessaire de faire de la philosophie en école de commerce est le besoin de penser la spécificité de l’être humain parmi l’appareillage technique, au moment où la frontière entre un cerveau et un ordinateur tend à s’estomper. La différence entre piloter des indicateurs et gérer une équipe apparaît quand l’étudiant doit, au cours d’une mise en situation, dire à sa collaboratrice que sa tenue n’est pas adaptée, ou bien quand son collaborateur vient lui annoncer un cancer.

Je peux donc dire que dans une période ou le besoin d’innover, le besoin de sens, et le besoin de redéfinir la spécificité de l’homme se fait sentir,  il est intéressant d’enseigner la philosophie en école de commerce.

ALORS ? QU’EST-CE QU’ON ATTEND ?

De plus en plus d’écoles de commerce ont saisi cet enjeu et cherchent à développer ce type d’enseignement dans leurs programmes.

Pourtant, cette démarche se heurte à des difficultés. La première difficulté se trouve dans l’esprit de certains concepteurs de programme pédagogiques, qui conçoivent la philosophie au mieux comme un élément de packaging un peu vendeur, au pire comme une élucubration inutile.

La seconde difficulté regarde les capacités de l’enseignant. Le monde universitaire regorge d’excellents professeurs de philosophie. On trouve aussi bien d’excellents connaisseurs du monde du travail. Mais la double casquette est plutôt rare. On trouve des enseignements de qualité sur le travail dans la pensée grecque, mais qui n’éveillent pas les étudiants faute de savoir faire le pont entre la cité grecque et l’entreprise,  par méconnaissance de cette dernière. On trouve aussi des enseignements de management qui se réclament de la philosophie, mais qui, faute de creuser les textes selon la méthode proprement philosophique, passent à côté de la spécificité du texte et l’empêchent de venir apporter au monde de l’entreprise un éclairage vraiment nouveau.

Si l’on en vient aux préconisations, il ne faudrait pas tomber dans l’erreur de souhaiter une hybridation des compétences qui ferait perdre au philosophe sa spécificité. Il faudrait développer une démarche spécifiquement philosophique qui réinvestisse la question du monde du travail et de l’entreprise, ce qui suppose que le philosophe mette les mains dans le cambouis, telle Simone Weil en son temps.

Pourquoi ne pas imaginer un master de philosophie avec un contenu d’enseignement axé sur le monde du travail et des stages en entreprise pour que le philosophe sache mieux de quoi il parle ? Certaines démarches existent déjà dans ce sens, à destination de futurs managers. Il faudrait développer cette approche à destination des enseignants.

Pour permettre cela, comme d’autres réponses à des besoins émergents, il me semble pertinent de mettre en œuvre un enseignement supérieur réellement libre, pour favoriser l’éclosion, depuis le terrain, d’initiatives qui répondent aux besoins du monde en mouvement. L’édiction institutionnelle et nationale de programmes rend la mise en place de démarches spontanées plus lente et moins ajustée aux spécificités de chaque situation. La liberté de l’enseignement supérieur crée les conditions de réponse adaptée à des besoins comme celui du développement de la philosophie en école de commerce.

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