Solitude et vieillissement : place aux initiatives locales

25 Sep, 2017 | Non classé

Tristan Robet, développeur du « Béguinage Solidaire » en France, a décidé de se consacrer au secteur médico-social et en particulier au service des personnes âgées et des personnes ayant un handicap.  C’est dans ce cadre qu’il découvre le béguinage, formule alternative au maintien à domicile et aux établissements qui s’est répandue dans plusieurs pays d’Europe du Nord. Il développe alors le concept du « Béguinage Solidaire », dans lequel habitants, retraités et personnes âgées sont acteurs de leur propre vie et de la vie de la cité. Cet article est issu du livre “Société de Bien Commun, pour changer la donne à hauteur d’homme“.

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LES ENJEUX SOCIÉTAUX DU VIEILLISSEMENT

Le vieillissement est un enjeu sociétal majeur et l’objet de communications pléthoriques depuis de nombreuses années. Bien qu’il soit toujours difficile de prévoir l’avenir, les effets de ce phénomène impacteront les équilibres financiers, économiques et sociaux du pays avec des conséquences fortes dans les domaines de la santé et de l’habitat, de la vie politique et de la solidarité intergénérationnelle au sens large.

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault y a trouvé une opportunité de croissance économique et a favorisé la création de la Silver économie. La Loi d’adaptation de la société au vieillissement est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. L’approche développée dans ces démarches est plutôt fataliste : le vieillissement est un fait acquis, organisons-nous au mieux afin d’en limiter les conséquences et trouvons-y un axe de croissance économique par le développement de nouvelles technologies et de nouveaux services créateurs d’emplois. Les champs d’approches du vieillissement sont trop considérables pour être abordés ici. Gardons simplement deux aspects touchant au bien commun :

  • le regard que portent les personnes âgées sur elles-mêmes,
  • le regard porté par la société sur les retraités et les personnes âgées, particulièrement au travers de l’habitat et de la prise en compte de la dépendance.

Les personnes âgées portent un regard trop souvent négatif sur elles : sentiment d’inutilité sociale (« je ne sers plus à rien ») et acceptation d’une solitude profonde parfois masquée par la consommation d’engagements associatifs ou culturels. C’est l’effet conjugué du « jeunisme » induit par le marketing incessant nous invitant à faire « 10 ans de moins et à masquer nos rides » et par l’effet de Mai 68 qui a conduit à faire de nous des individus et des consommateurs. Édouard et Marie de Hennezel ont parfaitement traduit cette fracture, barrage à une solidarité autrefois naturelle. Ce phénomène trop souvent occulté et malgré des réserves de pudeur, nous l’entendons lors de nos rencontres avec des ainés nous posant ces questions « puis-je encore être utile ? » et « puis-je encore être aimé ? » Le chantier est immense. Malgré les mots écrans, EHPAD pour maison de retraite par exemple, ou « seniors » plutôt que « âgés », la société a une fâcheuse tendance à éloigner les personnes âgées vers des lieux dédiés où elles sont prises en charge. Combien de fois entendons-nous l’expression « je voudrais placer mes parents » plutôt que « mes parents recherchent une solution pour vivre leur grand âge ». Dans ce domaine comme dans de trop nombreux autres, la collectivité a développé des solutions, bien arrangeantes, de prise en charge plutôt que de prise en compte des personnes. Et ces solutions les privent, malgré de louables intentions, de leurs responsabilités. Le philosophe Pierre-Henri Tavoillot a bien traduit l’enjeu en soulignant qu’il s’agissait pour les personnes âgées de rester adultes. C’est exactement la question : comment rester acteur de sa vie et de la vie de la cité ?

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ADÉQUATION DES INSTITUTIONS

Depuis la création de la Sécurité sociale, l’État s’est emparé radicalement de la prise en charge des personnes âgées en établissement et, plus généralement, de la solidarité. Cette responsabilité a été largement partagée avec les départements depuis les lois de décentralisation. L’épais rapport « Société et Vieillissement » soulignait l’approche fataliste développée en France et, tout en ouvrant des pistes intéressantes, préconisait une réorganisation plutôt descendante avec une forte centralisation. Par ailleurs, les professionnels reconnaissent aujourd’hui que malgré les meilleures intentions du monde, la judiciarisation des relations et la tentation du « risque zéro » paralysent les initiatives. Les professionnels, en particulier les directeurs d’établissements, sont de plus en plus comptables de statistiques et de rapports qui les écartent de leur cœur de mission : accompagner la personne. En parallèle, un sous-effectif chronique et une formation souvent déficitaire prive le personnel d’une vraie relation avec les résidents ou patients. D’autant qu’il est recommandé d’avoir une attitude professionnelle, dans laquelle l’affect n’a pas sa place. J’ai personnellement le souvenir d’avoir été confronté à une demande de sanction sur une salariée qui avait apporté un gâteau d’anniversaire à une résidente d’EHPAD sans famille…

Dans le domaine de la construction et malgré quelques avancées, les règles de fonctionnement du logement social, par exemple, compliquent extraordinairement la création de solutions alternatives pour les personnes âgées. Il est ainsi interdit de créer des ensembles (en dehors des établissements), même modestes, dédiés aux personnes âgées car cela serait discriminant. Les modes de calcul des loyers sociaux obligent aussi les bailleurs à limiter drastiquement les possibilités d’adaptation des logements avec des conséquences absurdes sur les superficies. Il serait long de décrire ici tous ces obstacles qui nécessitent de développer des trésors d’ingéniosité pour être dépassés.
Aujourd’hui, la diminution des capacités financières des collectivités conduit à privilégier le maintien à domicile ‒ avec le même enthousiasme que l’ancienne orientation vers les établissements. Mais celui-ci n’est pas la panacée et il ne résout pas toutes les situations, loin de là. Il nous est pourtant régulièrement opposé par les politiques.
Il y a donc du chemin entre les discours et une prise en compte véritable. La Loi d’adaptation de la société au vieillissement avait suscité de grands espoirs chez les porteurs associatifs de projets innovants. Mais ils ont été très largement oubliés au profit du développement de solutions commerciales que ce texte favorise. C’est probablement la résultante de l’abandon par l’État de ses prérogatives ; ce qui débouche sur un binôme État-marché qui s’alimente en boucle (lire à ce sujet des auteurs comme Sheldon Wolin ou William Cavanaugh). Cette construction laisse peu de place aux solidarités naturelles et à l’intégration des personnes concernées dans une forme d’autorité politique répartie.

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CHANGEMENTS PRÉCONISÉS

La question des changements préconisés est délicate et fait l’objet de débats au sein même des porteurs de projets « innovants, alternatifs, participatifs et solidaires » comme nous nous décrivons. Faut-il interpeller les politiques et obtenir des textes réglementaires facilitant le développement d’un nouvel art de vieillir et s’appuyant sur l’habitat, au risque de nous voir opposer de nouvelles réglementations qui brideront encore les initiatives au nom du contrôle de l’État ? Faut-il faire avec l’existant en prenant des risques significatifs par rapport à des textes obsolètes ? Pour ma part, je penche pour la seconde approche : obtenir un statu quo nous permettant d’innover. Il faut aussi faire se rejoindre l’entreprise et l’initiative sociale ou associative. Le réseau Ashoka développe une approche intéressante sous l’appellation « chaîne de valeur hybride » aussi appelée co-construction et qui donnerait leur place aux personnes âgées dans les prises de décisions les concernant.

Plus généralement, il faut changer le regard de la société sur le vieillissement en renonçant à considérer les personnes âgées comme des objets de soins, des cas à classer dans des catégories de GIR pour les regarder comme des personnes à part entière, des adultes qui doivent continuer à prendre des décisions, poser des choix et participer à la vie de la société. Nous n’allons pas pouvoir continuer à « marchandiser » tous les actes élémentaires de la vie comme nous ne pouvons pas croire que la domotique va résoudre les problèmes liés à la solitude ou à l’isolement des personnes.
Pour cela, redonnons la primauté au local. Le mot est risqué aujourd’hui, mais l’individualisme a fait de nous une foule alors que nous pouvons être des communautés locales ouvertes à une réelle prise en compte des plus faibles. Une solidarité de proximité bénéfique pour toutes les générations permettrait de partager et transmettre ses richesses aux autres.

C’est la raison pour laquelle je pense que l’État doit revenir à ses missions régaliennes et donner une juste et véritable place aux initiatives locales. Dans ce cadre, les acteurs économiques y trouveront aussi leur compte de manière raisonnable.

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