Alexis Milcent, trésorier du Courant pour une écologie humaine, a introduit le forum annuel 2025 sur le thème “Comment débattre sans se combattre”. Dans un monde saturé d’opinions, de tensions sociales et de postures identitaires, débattre devient un exercice de plus en plus complexe… Tout l’enjeu est de passer à l’action, en appliquant une écologie du débat !
À propos d’Alexis Milcent
Alexis Milcent a de multiples casquettes ; il est aujourd’hui consultant en stratégie à New-York après quinze ans passés dans l’industrie. Son parcours personnel et professionnel est animé par la volonté de créer des espaces de dialogues : passerelles entre les cultures (européenne, nord-américaine, chinoise), entre les humanités et l’entreprise (on vous conseille d’ailleurs chaudement la newsletter de Lafontaine et Compagnie, à ce sujet), entre les sujets d’ordre mondial et les enjeux locaux et entre les personnes de tous bords.
« fun fact » : Alexis a été champion d’improvisation en équipe pour l’Asie, en 2019 !
Débattre : se battre plus ou se battre moins ?
Alexis Milcent : “Pour préparer cette intervention, je suis revenu aux fondamentaux et ai regardé l’étymologie des mots.
« Combattre », c’était simple. Le mot dit ce qu’il est : une confrontation, une opposition. Mais « débattre » ? Souvent, le préfixe « dé- » est privatif : on retire quelque chose.
Déraciner : on retire les racines ; Démonter : on retire le montage ; Déshumaniser : on retire l’humanité.
Alors j’ai pensé : et si débattre, c’était retirer le combat ? Enlever la confrontation ? Est-ce que c’est ça, débattre sans se combattre ?
Mais si on creuse un peu plus, on trouve… Délimiter. Démultiplier. Découper. On redécouvre alors que ce « dé- » peut aussi être multiplicateur (ici, l’idée d’un renforcement des verbes limiter, multiplier, couper).
Et là, tout se complique — ou tout s’éclaire ? – : débattre, ce peut donc être se battre davantage OU se battre moins. Tout dépend de ce que l’on choisit d’en faire. Notre façon de débattre est donc un choix personnel, mais aussi collectif.
Voulons-nous aller vers plus de confrontation ou vers une forme d’échange qui apaise, construit, relie ?
Trois anecdotes, trois terrains de débat
Je suis allé chercher dans ma mémoire des moments personnels où j’ai eu à débattre. Trois scènes me sont venues.
- La réunion professionnelle. Ces moments où l’on présente un projet, où l’on discute ensemble pour prendre des décisions. Et là, je dois avouer un petit travers : j’aime bien avoir raison. Bien sûr, j’écoute les autres, je prends note, je m’intéresse. Mais si, au final, la décision que je propose pouvait être choisie, ce serait quand même beaucoup mieux. C’est là que je réalise que débattre suppose une forme d’oubli de soi. Mais pas un effacement. Car si je suis là, dans la salle, c’est aussi pour apporter ma voix singulière, mon point de vue. Le bon débat repose donc sur une tension difficile : s’oublier juste ce qu’il faut pour laisser émerger une pensée commune, mais s’affirmer assez pour que le débat existe. Équilibre subtil à trouver !
- La conversation amicale ou familiale. Ces discussions où, parfois, on aborde un sujet un peu sensible – politique, actualité internationale, choix de vie. Et je me suis rendu compte que parfois, nous n’allons pas au bout de ces conversations. Par peur. Peur de froisser, peur de sortir de notre cadre, de notre groupe social. Accepter que l’autre ait peut-être raison, c’est déjà, quelque part, remettre en question une part de notre identité sociale. Et ce n’est pas facile. D’autant que notre environnement ne nous y aide pas. Les réseaux sociaux, les algorithmes nous renvoient ce que nous aimons, ce que nous pensons déjà. Nous restons dans notre bulle. Et si nous sortons de cette zone de confort, nous risquons de nous retrouver seuls. Et personne n’aime être seul.
- Les négociations internationales. Là, on sent bien qu’il y a deux tables. La table officielle, où l’on débat, et l’autre, moins visible, où se jouent les rapports de pouvoir, les intérêts nationaux, les egos parfois surdimensionnés. La question du bien commun y est présente, bien sûr, mais souvent en arrière-plan. On sent que le vrai débat serait celui qui dépasse chacun pour chercher ce qui nous relie, ce qui nous transcende. Mais c’est difficile, et cela suppose une capacité rare : celle de lâcher prise.
Débattre aujourd’hui : des tendances contraires à l’ouverture
Ce que ces trois scènes révèlent, c’est que débattre suppose une disposition intérieure : accepter de ne pas avoir raison, s’ouvrir à l’autre, et parfois même, reconnaître sa propre fragilité. Ces postures sont de moins en moins encouragées dans notre époque.
- D’abord parce que nous vivons dans une société où tout pousse à la simplification. Des « modules de pensée » tout faits nous dispensent de réfléchir. Les outils technologiques – dont l’IA – peuvent penser à notre place.
- Ensuite, parce que nous sommes souvent enfermés dans des bulles : on like, on partage, on consomme de l’information qui nous ressemble, qui nous conforte.
- Enfin, parce qu’il y a une sorte de culture du contre. Même sur des sujets qui devraient nous rassembler, comme le développement durable, il y a des oppositions. Il semble qu’il soit plus valorisé d’être contre que d’être pour. Le débat devient alors un champ de bataille idéologique, plutôt qu’un espace de recherche collective.
Vers une écologie du débat, racine de la démocratie
Et pourtant, débattre reste essentiel. C’est un geste fondateur de notre civilisation – Socrate, Platon, le Forum romain – qui forme les racines mêmes de la démocratie. Mais pour que ce débat soit possible, il faut créer un cadre. Un cadre qui rassure, qui protège, qui autorise la vulnérabilité.
Car oui, pour bien débattre, il faut accepter d’être vulnérable. Accepter que l’autre ait peut-être raison. Accepter d’être déstabilisé. Sortir de la posture de maîtrise pour entrer dans celle de l’écoute véritable. Et cela s’apprend. C’est un artisanat. Un savoir-faire.
Je nous invite donc à réapprendre à débattre. Non pas pour vaincre ou convaincre, mais pour co-construire, redécouvrir ensemble le chemin exigeant mais fécond du commun.
Alors oui, débattre peut être une mise en danger. Oui, cela demande du courage. Mais c’est aussi, et peut-être surtout, un acte de confiance. En soi, en l’autre, en la possibilité d’un monde meilleur par la parole échangée. Ensemble, aujourd’hui, faisons-en l’expérience !”
Découvrir une autre intervention du forum 2025 : Débattre sans violence : quelques bonnes pratiques à adopter – Laurana Glaudeix