Comment favoriser des débats apaisés, où chacun se sent légitime à prendre la parole ? Laurana Glaudeix, étudiante à l’UTC et coprésidente de « Compiègne en Transition », propose des outils concrets, inspirés de son expérience dans divers groupes militants, pour construire des espaces d’expression inclusifs et constructifs.
Cette intervention a eu lieu dans le cadre du forum 2025 du Courant pour une écologie humaine, sur le thème “Comment débattre sans se combattre ?“.
Créer un espace propice au débat
Parfois, on voudrait que les débats se passent bien, mais dès le départ, tout est contre nous : une table trop longue, un espace mal agencé, un groupe dispersé. C’est tout bête, mais si les gens sont physiquement éloignés du « centre » de la conversation, ils auront naturellement plus de mal à y prendre part. Il y a comme un centre géographique invisible qui se forme dans tout échange collectif. Plus on s’en éloigne, plus il devient difficile de s’inscrire dans le débat.
Ce genre de détails peut sembler anodin, mais il change tout. Repenser l’espace pour inclure tout le monde autour d’un cercle, ou d’un agencement plus équitable, c’est poser la première pierre d’un débat vraiment partagé.
Prendre la météo des émotions
Un bon débat ne commence pas forcément par des arguments. Parfois, il commence par un ressenti. Dans beaucoup de groupes militants, on a pris l’habitude de faire ce qu’on appelle une météo des émotions : un simple tour de table où chacun exprime dans quel état d’esprit il ou elle arrive.
Cela peut sembler secondaire, mais en réalité, ça change tout. On évite ainsi les malentendus, les attentes floues, les frustrations silencieuses. Si quelqu’un est arrivé en colère, stressé, plein d’espoir ou au contraire un peu perdu, mieux vaut le dire d’emblée. Et à la fin du débat, on peut aussi refaire cette météo, pour verbaliser ce que ça a fait en nous : “je suis frustré”, “je me sens entendu”, “ça m’a donné de l’énergie”…
On apprend ainsi à mieux se connaître, à mieux s’écouter, et à progresser ensemble.

Des outils concrets pour une parole plus fluide et partagée
Il y a des moments où l’on coupe la parole ; et d’autres où l’on parle trop fort, trop vite, trop longtemps… On ne se rend pas toujours compte que l’on ne laisse pas toujours suffisamment de place à l’autre – alors même que tout avis est d’une grande richesse pour le groupe. Pour éviter cela, il existe des outils concrets, très simples à mettre en place.
- Le bâton de parole. Il ne s’agit pas nécessairement d’un vrai bâton mais de n’importe quel objet désigné. Tant que quelqu’un le tient, cette personne parle. Les autres écoutent. C’est tout. Et ça change tout. Cela permet de se sentir pleinement légitime à parler, sans avoir à s’imposer.
- Lever le doigt – dans l’ordre ! Pour organiser les tours de parole, on peut compter les doigts levés pour afficher l’ordre de passage – le premier qui souhaite prendre la parole lève un seul doigt, le second, deux, etc. Pas besoin de lutter pour se faire entendre : on sait qu’on aura son moment ; on peut se concentrer sur l’écoute.
- les gestes de réunion issus du mouvement Occupy. Ce sont des signaux faits avec les mains, conçus pour réagir à ce qui se dit sans couper la parole. Par exemple, lever les mains et les agiter doucement en l’air pour signifier son accord (« jazz hands »), faire un petit moulinet avec les doigts pour inviter à conclure, ou encore un geste de rotation avec l’index pour demander une clarification. Ces codes gestuels, simples et universels, permettent de fluidifier la communication dans les grands groupes tout en respectant la parole de chacun.
Ces petites méthodes donnent à chacun le temps de formuler ses idées et assurent que la parole sera équitablement partagée.
Travailler sur l’inclusivité dans la prise de parole
Tout le monde n’a pas été habitué à prendre la parole facilement. En fonction de notre genre, milieu social, parcours, on peut se sentir plus ou moins à l’aise, plus ou moins légitime. Certains parlent fort, d’autres n’osent pas.
Et dans un collectif, c’est important d’en tenir compte. On peut donc désigner un médiateur ou une médiatrice dont le rôle sera précisément de veiller à s’assurer que celles et ceux qui ne parlent pas, ne sont pas empêchés de le faire ; que s’ils gardent le silence, c’est par choix — et non par exclusion ou auto-censure.
Favoriser la parole de tous, c’est enrichir le débat. Chaque voix compte, même celle qui met plus de temps à émerger.
Une invitation à l’expérimentation collective
Tous ces outils — bâton de parole, météo des émotions, gestes de réunion, médiation — ne sont pas des recettes miracles. Ils doivent être adaptés selon les contextes, les groupes, les besoins. Mais ils ont une vertu commune : ils posent un cadre propice à l’écoute et à la prise de parole.
Le plus important, c’est d’oser expérimenter, oser dire « on va essayer ça » et de voir ensemble ce que ça donne. Chaque groupe peut inventer ses propres gestes, ses propres codes, tant que l’objectif reste le même : mieux se comprendre pour mieux construire.
Je vous invite donc à tester, adapter et vous approprier ces méthodes. Rien de magique ni de figé, mais des outils simples qui, de mon expérience, peuvent vraiment transformer un échange et rendre les discussions plus sereines.
Ce sont ces petites choses — lever le doigt, exprimer ses émotions, penser l’espace — qui, mises bout à bout, créent un cadre où la parole circule mieux, où l’on débat sans se battre, et où l’on avance ensemble. À vous de jouer !

Découvrir une autre intervention du forum 2025 : Engageons des débats ! – Tugdual Derville