Éducation : mêler amour et frustration – Didier Pleux

24 Sep, 2024 | EDUCATION & ENSEIGNEMENT

Didier Pleux est psychothérapeute et auteur – notamment – de “L’autorité éducative, une urgence” (mai 2024, Odile Jacob). Il partage ci-dessous l’expérience d’une vie au service de l’éducation des enfants, pour l’épanouissement des familles !

À propos de Didier Pleux

Né le 2 mai 1952, père de trois enfants, Didier Pleux est docteur en psychologie du développement, psychologue clinicien et psychothérapeute.

Après avoir exercé en tant qu’éducateur spécialisé, il part aux États-Unis se former aux thérapies cognitives, notamment à l’Institut Ellis de New York, dont il deviendra le chef de service éducatif en 1981. En désaccord avec ses collègues, il démissionne en 1984 et revient en France où il ouvre un cabinet qui deviendra l’Institut français de thérapie cognitive en 2004.

Ses travaux portent sur le rapport entre l’acceptation de la frustration et l’épanouissement humain. Ses conclusions l’ont amené à remettre les traitements psychanalytiques en vogue, notamment les thèses de Françoise Dolto.

Il est l’auteur de livres parmi lesquels : De l’enfant roi à l’enfant tyran, Peut mieux faire, Exprimer sa colère sans perdre le contrôle, Un enfant heureux, Les Adultes tyrans, Les 10 Commandements du bon sens éducatif.

Depuis 2011, il enseigne à l’Université Populaire de Caen de Michel Onfray.

Psychologie, psychanalyse : quelle différence, Didier Pleux ?

Didier Pleux, psychothérapeute : “Disons globalement que la psychologie regroupe toutes les connaissances sur le psychisme et le développement de l’humain. Il devrait donc y avoir, en psychologie, plusieurs obédiences, plusieurs hypothèses de travail.

La psychanalyse est une hypothèse dans la psychologie.

Par exemple, moi, je fais partie de la psychologie cognitiviste qui étudie les grandes fonctions psychologiques de l’être humain – mémoire, langage, intelligence, raisonnement, résolution de problèmes, perception, attention et émotion. C’est, en résumé, l’étude des activités mentales, qui fournissent à l’homme une représentation interne, une analyse de données externes, et ce, à des fins de prise de décisions et/ou d’actions.
Jean Piaget (1896-1980), psychologue suisse, en est à l’origine.

Donc la psychanalyse est une sous-rubrique de ce que l’on appelle la psychologie, mais elle est dominante en France, parce que dogmatique…

Quel regard portez-vous sur l’éducation aujourd’hui, Didier Pleux ?

Pour moi, l’éducation se dégrade de plus en plus. La plupart des enfants que je voyais il y a 40 ans, à la demande des parents, avaient des problèmes d’estime de soi, de confiance en soi, de dévalorisation.

Et petit à petit, j’ai eu des enfants qui venaient pour des comportements de transgression, d’opposition, de désobéissance. Dès qu’il y avait des contraintes, à l’école ou ailleurs, ça n’allait pas. Avec plusieurs difficultés associées : socialisation, sens de l’effort, empathie…

C’est là que j’ai commencé à faire un rapprochement avec ce que j’avais vu auprès de délinquants juvéniles au début de ma carrière. Un petit pourcentage d’entre eux avaient été maltraités ; il y avait donc une délinquance de réponse : “je me rebelle pour exister car j’ai trop souffert”.
Mais il y avait également beaucoup de délinquants – et ce tant en France qu’aux États-Unis ou au Canada – dont les dossiers ne révélaient pas de maltraitance ni de manque affectif. Ils avaient reçu ce qu’il fallait en termes de câlins, amour, reconnaissance. Comment se fait-il, dans ce cas, qu’ils passent à l’acte ? Selon l’hypothèse de la théorie classique – disant que tout comportement agressif et offensif vient nécessairement d’une carence affective – ils auraient dû être heureux !

Or, quand j’accueille les enfants en consultation, je fais bien attention à leur histoire et j’observe les parents. À aucun moment je ne vois pas un père castrateur ou autoritariste, une mère fusionnelle ou tyrannique. Non ! Ce sont des parents qui ont tout tenté pour que l’éducation se passe au mieux. Ils ont souvent lu de nombreux bouquins de vulgarisation de psycho de l’enfant – Dolto ou post-doltoïsme – qui propose de tout faire pour favoriser l’autonomie de l’enfant : le laisser poser ses choix, mettre en place une égalité quasi-parfaite dans la famille, en évitant au maximum la “verticalité adulte”, développer la singularité de l’enfant pour actualiser son potentiel (créativité, façon d’être…), etc.

Mais tout le versant “les autres existent donc on ne peut pas faire que ce que l’on veut” / “la réalité t’impose des contraintes et efforts déplaisants”, a complètement disparu.

Voilà comment j’ai émis l’hypothèse qu’une carence éducative pouvait créer des dysfonctionnements chez l’enfant. Il n’y a pas seulement les enfants carencés affectivement qui ne vont pas bien.

La réponse à ces dysfonctionnements est donc peut-être “amour et frustration” : pas d’amour, pathologie, mais pas de frustration, pathologie également.

De là, quels conseils prodiguez-vous aux parents qui ne savent plus comment s’y prendre pour éduquer leurs enfants ?

Ce que je dis toujours aux parents :

1/ Remettez en question toutes vos croyances en éducation, en psychologie de l’enfant. Parce que ce ne sont que des hypothèses. Il y a certes de bonnes choses dans les émissions ou les ouvrages dédiés mais au niveau éducatif, c’est très dogmatique. Le postulat classique est que l’enfant est fragile et que vous pouvez casser son estime de lui en peu de temps ; dans cette théorie de la psychologie classique, le parent est toujours pathogène et soupçonné d’avoir mal fait.
Et ce, alors même que le concept de résilience – dont on entend beaucoup parler – explique que même un enfant qui a été maltraité et mal-aimé peut – avec des rencontres de tuteurs de résilience – se reconstruire et vivre mieux.

Donc, parents, regardez bien le réel : est-ce qu’entre ce que l’on vous a appris et ce que vous observez, ça fonctionne ? Est-ce que – parce que vous passez plus de temps avec votre enfant – il est plus respectueux, par exemple ? Si ça ne marche pas, tentez une autre hypothèse ! C’est aussi simple que cela.

2/ La théorie des 5 “S” :

  • Survalorisation. Cela peut déclencher la toute puissance chez l’enfant. Si je ne déséquilibre pas l’enfant dans un sens : “ton ego, d’accord, mais tu n’es pas tout seul, tu ne fais pas ce que tu veux dans ton principe de plaisir”, c’est ça qui va le rendre odieux, transgresseur, etc. Valoriser l’enfant, c’est bien, bien sûr. Mais il est important de rester dans l’équilibre.
    La survalorisation signifie que l’on n’est plus dans l’acceptation inconditionnelle de la personne. Il faut parler de ce qui est bien mais aussi de ce qui fait mal : “tu es très bon dans telle matière mais telle autre matière ne te plait pas trop, visiblement…” Lui faire comprendre où il peut progresser, au fond. “Tu as été très volubile et sympathique à telle soirée, mais on a aussi remarqué que tu coupais parfois la parole aux gens et que tu ne faisais pas très attention à la petite cousine”… C’est ça, l’acceptation : tu as des talents mais il y a des choses qu’il faut que tu travailles. La survalorisation, c’est “tout ce qu’il fait est génial”. Ce qui fait que l’enfant commence à entrer dans une toute puissance. L’autre n’est pas là parce qu’il existe mais pour me flatter, me valoriser.
  • Surprotection. Dès que l’enfant est dans une difficulté, le parent l’analyse comme étant la responsabilité de l’extérieur. On appelle ça External locus of control. Tout ce qui arrive à l’enfant, c’est la faute de l’instituteur qui n’est pas bon, des copains qui sont méchants, etc. Bien sûr, l’extérieur influence, mais il y a aussi le locus de contrôle interne : qu’est-ce que toi tu provoques quand tu dis que tu n’as pas d’ami ? Qu’est-ce que toi tu fais quand tu dis que tu n’excelles pas dans telle matière scolaire ? Où est ta propre responsabilité ? C’est un équilibre entre les deux à trouver.
  • Surconsommation. L’enfant est-il dans une dépendance aux écrans (grand classique de notre époque) ? Est-il perpétuellement dans de la consommation, du plaisir ? Il y a des enfants qui ne peuvent pas s’ennuyer, par exemple. Le parent devient un animateur de club Med le week-end, répondant sans cesse à la demande de l’enfant qui quémande sans arrêt. Les enfants ne sont pas tous pareils, bien sûr, mais certains ont un tempérament gourmand, appréciant la surstimulation ; il va en déduire que la vie doit être tout le temps riche, remplie, formidable et ne va pas accepter les moments de rien ou déplaisants.
  • Surcommunication. Certains parents ne cessent de parler sans saisir qu’avant 16 ans, les enfants comprennent dans l’action. Ainsi, au lieu de dire “J’ai bien vu au goûter que tu n’avais pas partagé tes bonbons”, lui demander de partager ses bonbons au goûter suivant. Ca ne peut pas être que du verbe. Il faut également de l’autorité (sans autoritarisme ni adultisme). Mais il faut quelqu’un, dans la famille qui sache dire : “je connais la réalité mieux que toi. Je te connais. J’ai vu les bons points et les failles chez toi. Maintenant, je vais éduquer, je vais t’aider, je vais faire la médiation entre tout ça, pour toi.”
  • Surlouance. “Mon enfant est HPI” : l’enfant a un QI de 140 mais il est incapable d’apprendre ses verbes irréguliers en sixième…

Voilà ce que je dis aux parents, toujours avec des exemples très concrets. Et je leur propose alors de se mettre au travail (et là, parfois, ça grippe !).

Comment inciter l’enfant à se confronter aux difficultés du réel ? Et à ses propres frustrations ?

Je commence par m’adresser aux parents en leur disant “C’est vous qui allez faire cela, leur donner le goût du réel. Et ça ne va pas être une chose facile !” Il est clair que ce n’est jamais l’enfant qui dira de lui-même : “j’ai besoin de plus de frustration pour être mieux dans ma vie de futur Homme” !

En revanche, il est possible de démontrer à l’enfant que son système de plaisir immédiat ne le rend pas heureux. Quand tu décides, par exemple, de pas faire tes devoirs dès le vendredi soir pour le lundi suivant, au final, ça te pourri le week-end entier. Tu choisis le plaisir immédiat : te reposer, voir tes potes, mais au final, tu penses à ton travail tout le week-end et c’est l’affolement le dimanche soir. Alors que si tu apprends à couper en tranches cette tâche peu sympathique, et que tu avances dès le vendredi soir, tu peux rapidement être tranquille.

Je montre ainsi à l’enfant que l’immédiateté peut générer beaucoup de frustration (attention, ce n’est pas un principe absolu !). Et je lui donne des techniques pour accepter ce qui est difficile, ce qu’il n’a pas envie de faire. Pour une satisfaction plus grande, plus tard (en apprenant à jouer d’un instrument de musique, par exemple).

Amour et frustration, donc. Comment s’y prendre concrètement ?

C’est plus simple que ça ne parait. Par exemple, le matin, on peut très bien préparer le petit-déjeuner pour son enfant, lui faire un gros câlin pour lui montrer qu’on est heureux de le revoir après la nuit, et lui demander de mettre ensuite son bol au lave-vaisselle et de faire son lit. Les deux sont compatibles !

Ce sont des choses très bêtes, basiques, de bon sens, mais qu’on ne fait pas. Je crois beaucoup à ça. Quelqu’un qui ne fait pas son lit le matin ne peut pas faire de grandes choses ! C’est ça, le principe de la tolérance aux frustrations. Se contraindre à faire des choses que je n’ai pas envie de faire pour être plus fort quand je serai devant l’adversité.

Un dernier message ?

Je répète, pour conclure, que même si mon discours peut vous paraître séduisant, souvenez-vous que mon propos est une hypothèque de travail. Si vous ne voyez pas de changements en vous servant de ces recommandations vis-à-vis de vos enfants, c’est que ce n’est pas ce qui leur convient. Changez alors d’hypothèse !”


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