Être botaniste au XIXème siècle : l’incroyable épopée de Victor Jacquemont – Katia Astafieff

10 Juin, 2025 | ART & CULTURE, SCIENCES

Katia Astafieff, biologiste, voyageuse, vulgarisatrice scientifique et autrice, raconte, dans son dernier livre, Par les chemins des Indes, une aventure à la croisée de la botanique, de l’histoire et de l’exploration. Son héros ? Victor Jacquemont, explorateur français du XIXᵉ siècle tombé dans l’oubli, mais dont la vie digne d’un roman l’a mené jusqu’aux confins de l’Himalaya...

Victor Jacquemont, l’explorateur au destin romanesque

Katia Astafieff : “C’est en lisant sur les grands explorateurs botanistes des siècles passés que je suis tombée sur Victor Jacquemont. Un nom oublié dont la vie a pourtant été très romanesque !

Il a notamment exploré l’Inde pendant plus de trois ans au XIXᵉ siècle, envoyé par le Muséum d’histoire naturelle de Paris.
De Calcutta à l’Himalaya, il a collecté des milliers d’échantillons, observé, dessiné, écrit… Il avait une plume magnifique, pleine d’humour et de finesse. Son ami Prosper Mérimée a d’ailleurs publié ses lettres à titre posthume — et elles sont passionnantes à lire !

Jacquemont avait tout du héros d’un roman d’aventures. Parti à 31 ans à bord d’un navire, il a traversé les Canaries, le Brésil, l’Afrique du Sud et l’île Bourbon avant d’atteindre Calcutta. De là, il est monté jusqu’aux contreforts de l’Himalaya. Il a exploré des zones inconnues des scientifiques de l’époque, collectant herbiers, observations géologiques et ethnographiques. Et tout cela dans un climat parfois insalubre, très humide et une sobriété de moyens. Il a même attrapé le choléra et… survécu à une chute de cheval dans un ravin !

Un accident de chimie… et une révélation végétale

Mais pourquoi Victor Jacquemont est-il devenu botaniste ? Par un drôle de hasard.

À 17 ans, un accident de chimie l’envoie en convalescence chez La Fayette, dans un château à la campagne. Là, il s’ennuie ferme… jusqu’à ce qu’il commence à herboriser. Il observe, collecte, identifie. Et tombe amoureux du monde végétal. Ensuite, il fait des études de médecine – ce qui lui a parfois rendu services pendant ses voyages – mais c’est la botanique qui restera sa passion première jusqu’à la fin de ses jours.

Et comment a-t-il atterri aux Indes ? Victor Jacquemont avait une âme romantique ! Très épris d’une cantatrice italienne, il connaît un chagrin d’amour violent et tombe en dépression. L’un de ses frères l’envoie alors aux États-Unis. Là, il explore, herborise dans les forêts du Nord-Est américain, jusqu’aux chutes du Niagara. Et puis, c’est en Haïti, chez un autre de ses frères, qu’il reçoit une lettre de Paris : le muséum d’histoire naturelle, donc, lui propose une expédition en Inde. Il accepte sans hésiter !

Le Maharadjah du Pendjab : Ranjit Singh

Une rencontre improbable au Cachemire

Son aventure indienne prend un tournant inattendu quand il rencontre le Maharadjah du Pendjab : Ranjit Singh. Un personnage haut en couleurs, que Victor Jacquemont surnommera le Napoléon de l’Orient !

Le Maharadjah se prend d’affection pour ce jeune botaniste curieux et cultivé, et lui ouvre les portes du Cachemire, alors interdit aux Britanniques. Et quelques mois plus tard, il lui propose même de devenir vice-roi de la région ! Jacquemont décline : c’est botaniste qu’il veut être, pas roi !

Une vie écourtée, une œuvre immense

Malheureusement, Victor Jacquemont meurt en Inde, le 7 décembre 1832, d’une infection du foie. Il avait 31 ans. Mais ses 6000 échantillons sont rapatriés à Paris, étudiés, nommés.

Beaucoup d’espèces ont été nommées d’après lui, en hommage. J’ai d’ailleurs dressé la liste de ces plantes à la fin de mon livre ; une façon de continuer à faire vivre son nom et son travail.

Le travail du botaniste : observation et minutie, sur le terrain

Le métier de botaniste n’a pas tellement changé depuis Victor Jacquemont. Il faut encore aller sur le terrain, observer, collecter, sécher, identifier… Ça demande de la patience, de la curiosité, un bon coup d’œil et un carnet de notes.

À l’époque, pour conserver les herbiers, on utilisait un dangereux poison, l’arsenic, pour tuer les parasites. Maintenant, on travaille différemment : on congèles les planches à -20 degrés quelques temps pour éliminer les bêtes.

La botanique, une science pour comprendre et préserver

Connaître, c’est la base. On parle de perte de biodiversité, de réchauffement climatique… Encore faut-il savoir d’où l’on part. Tous ces explorateurs ont posé les premières pierres de nos connaissances, avec un vrai courage.

Même s’ils le faisaient aussi pour des raisons très concrètes : trouver des plantes qui nourrissent, soignent, ou même enrichissent leurs pays.

Le grand banian du jardin botanique de Howrah, à Calcutta

S’émerveiller encore

À mon avis, les plus beaux jardins botaniques du monde sont celui de Kirstenbosch, en Afrique du Sud, pays dont la flore méditerranéenne est absolument extraordinaire, avec des espèces uniques au monde ; c’est ce qu’on appelle un point chaud de la biodiversité.

Il y aussi le jardin botanique de Howrah, à Calcutta, où l’on peut retrouver un grand banian, arbre tellement gigantesque que l’on dirait une forêt à lui tout seul. Et c’est émouvant de se dire que Victor Jacquemont l’a vu aussi, 200 ans avant moi.

Finalement, c’est peut-être ça, le plus précieux : garder intacte cette capacité d’émerveillement. Dans les jungles de l’Himalaya ou dans un simple champ près de chez soi, il y a toujours quelque chose à découvrir. Il suffit d’ouvrir les yeux.”


Découvrir la fiche de lecture dédiée à l’ouvrage “Par les chemins des Indes”

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