Il y a dix ans paraissait Laudato Si’, la seconde encyclique du pape François sur l’écologie. Ce texte puissant n’a pas seulement secoué les chrétiens : il a réveillé une part profonde de notre humanité commune. Aujourd’hui, alors que le climat s’emballe, que la biodiversité s’appauvrit et que les repères vacillent, il nous rappelle que l’écologie est un appel à la cohérence, à la fraternité et à la responsabilité. Par Jean-Philippe Lajambe et Solweig Dop, respectivement président et déléguée générale du Courant pour une écologie humaine.

Une attente brûlante, un souffle neuf
C’est un des nombreux propres de l’homme que de célébrer les anniversaires : or, l’encyclique Laudato Si’ a dix ans.
Au printemps 2015, notre jeune Courant pour une écologie humaine s’était réuni pendant deux jours, quelques semaines avant la parution du texte, pour écrire son propre manifeste, fondateur. Nous avions tous à cœur la promotion d’une écologie qui ne fasse pas de l’humanité une variable d’ajustement, mais qui nous responsabilise et nous relie. Nous envisagions, dans un même mouvement de transformation, un respect croissant de l’être humain et un respect croissant des écosystèmes culturels et naturels sans lesquels la vie serait impossible.
Nous attendions cette encyclique avec impatience… et nous n’avons pas été déçus ! Le texte du pape François a fait grand bruit. Il fut accueilli, salué, commenté très largement.
Laudato Si’ a mis des mots sur ce que nous ressentions : le besoin d’un regard unifié, qui ne sacrifie ni la planète ni l’homme, mais qui les réconcilie dans un même élan de respect et de responsabilité.
Son impact a été puissant et le demeure. Beaucoup de lecteurs ont été mis en marche, et, pour eux, le texte n’a rien perdu de son actualité.
Le pape François a d’ailleurs enfoncé le clou en 2023 avec son exhortation apostolique Laudate deum au ton plus alarmiste, teinté de vifs reproche contre ceux qui avaient négligé ou contesté Laudato Si’.
De la déploration à l’espérance agissante
Lorsque le pape François publie son texte, le monde écologique retient son souffle. Car au-delà du message chrétien, c’est une dynamique humaine qu’il impulse : sortir du fatalisme, entrer dans une logique de conversion. Il ne s’agit pas seulement d’alerter – d’autres l’avaient fait avant lui – mais d’encourager. Son leitmotiv « Tout est lié » reflète un temps nouveau : la famille humaine, embarquée désormais sur le même esquif nommé terre, doit s’entendre car la navigation vers le futur est devenue périlleuse.
Ce que dit l’Église ici, c’est que l’homme ne saurait être vu comme un fléau pour la Terre – il doit en (re)devenir le gardien. Mais pour cela, il doit se laisser toucher, bouleverser, déplacer. L’écologie intégrale n’est pas un supplément d’âme : elle est une façon de vivre, de penser, de choisir autrement.
Une tradition oubliée, une cohérence retrouvée
On a parfois voulu opposer François à ses prédécesseurs. Pourtant, Jean-Paul II, déjà en 2001, parlait d’une humanité au bord du gouffre, et appelait à la « conversion écologique ». Benoît XVI affirmait que « la question sociale est devenue une question anthropologique ». François n’innove pas : il synthétise, il unifie, il rappelle que l’écologie n’a de sens que si elle inclut l’être humain – toute la personne, toutes les personnes.
Cela signifie que la réponse écologique ne peut être seulement technique, ni même politique. Elle est existentielle. Elle exige que nous choisissions une autre voie, une autre manière d’être au monde : en lien, en soin, en sobriété heureuse.
Écologie humaine : le cœur du changement
Laudato Si’ ne parle pas uniquement de climat ou de pollution. Il parle d’exclusion, de précarité, de consumérisme destructeur, d’effacement du lien entre les générations. Il parle de nous.
« Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate » souligne-t-il. On ne peut prétendre résoudre les défis qui se présentent à l’humanité sans être au clair sur ce qui fait la spécificité de l’Homme. La « véritable écologie [est] l’écologie humaine » notera plus tard le pape François, dans un texte puissant qui fait référence à la fraternité universelle d’un François d’Assises (Notre mère La Terre, 2019). Elle est humaine en ce sens d’abord qu’elle est faite par les hommes – seuls vivants à en être capables et à y être appelés – ensuite qu’elle ne peut pas être faire contre eux. L’écologie humaine est donc le chemin à tracer vers l’écologie intégrale, qui est son but.
Face aux mirages de l’intelligence artificielle et à l’emprise croissante de la technique, cette question devient brûlante : quelle place laissons-nous à l’humain ? À ses limites, à sa beauté, à sa vocation ?
L’écologie humaine est aujourd’hui un impératif : elle nous invite à bâtir une société où l’humain n’est pas un obstacle mais une promesse.
Bâtir un monde aimable
Il est facile de désespérer. De se dire que c’est trop tard, trop grand, trop compliqué. Mais le message de Laudato Si’, dix ans après, est plus vivant que jamais. S’il faut s’organiser pour relever les défis au niveau planétaire, ce que chacun fait « à sa hauteur », n’est jamais dérisoire. Chaque geste, chaque engagement, chaque parole qui relie, soigne, protège, a du poids. Il est une graine de monde qui vient et n’a pas encore reçu de nom.
Nous voici donc à l’heure des choix. Nous pouvons fermer les yeux ou accepter de voir. Voir ce que nous détruisons, mais aussi ce que nous pouvons préserver et voir s’épanouir. Voir les visages de ceux qui souffrent, mais aussi ceux qui se relèvent. Régénérer l’espérance, ce n’est pas rêver d’un ailleurs parfait, c’est choisir, dès aujourd’hui, de bâtir un monde aimable.