Le spectacle vivant : écrin d’épanouissement pour les communautés humaines – Marie-Cécile du Manoir

28 Déc, 2024 | ART & CULTURE

Et si le théâtre avait le pouvoir de transformer des vies ? Marie-Cécile du Manoir, artiste passionnée et fondatrice de la Compagnie du Rêve, nous emmène à ses côtés dans l’aventure du spectacle vivant. Les bénéfices pour les communautés humaines qui s’y risquent sont nombreux et variés ! Elle raconte.

“Il faut rêver longtemps pour que nos rêves puissent exister et perdurer. Cela demande beaucoup d’endurance les années de vaches maigres. Mais il ne faut pas lâcher !”

Marie-Cécile du Manoir, fondatrice de la Compagnie du rêve

Marie-Cécile du Manoir, qui êtes-vous ?

Je suis scénariste et metteur en scène, cofondatrice avec mon mari de la Compagnie du rêve.

J’ai mis beaucoup de temps à découvrir et à comprendre que j’étais artiste, cela a éclairé beaucoup de choses de moi-même et des difficultés que je pouvais rencontrer dans la vie.

Depuis cette prise de conscience, je me suis beaucoup épanouie dans mon travail et dans ma famille. Je suis mariée depuis 40 ans, j’ai cinq filles et dix petits-enfants !

Yves du Rêve à l’Ephad Villette d’or. Photo Laurence Ponsonnet.

Comment La Compagnie du rêve a-t-elle vu le jour ?

Nous avons fondé la Compagnie du Rêve avec mon mari, Yves, il y a 25 ans. C’était un projet mûri depuis longtemps. Au moment où nous étions tous deux au chômage, nous avons décidé de nous lancer. Nous avions un an devant nous pour concrétiser ce rêve ; le nom – la Compagnie du Rêve – s’est imposé naturellement : notre mission est de donner du rêve partout où on peut le faire.

Nous avions toujours aimé monter des spectacles avec nos enfants ; nous les jouions bénévolement, dans les maisons de retraite, les fêtes de village, les hôpitaux. Les structures qui nous accueillaient nous demandaient souvent : comment peut-on vous aider ? Alors, quand la compagnie a été officiellement créée, nous sommes allés voir ces mêmes personnes en leur proposant d’acheter notre premier spectacle. Et ça a fonctionné ! Ce spectacle sur l’orgue de barbarie a été acheté une quarantaine de fois dans l’année, ce qui nous a permis de démarrer.

De mon côté, j’avais déjà la passion de monter des grands spectacles avec des amateurs encadrés par des professionnels. Ce sont des grandes aventures collectives qui sont aussi de grandes aventures humaines, historiques, artistiques… Grâce à Yves qui est un excellent communicant, nous avons vendu un premier spectacle, sur l’histoire de Champagne-au-Mont-d’Or. Depuis, la Compagnie du Rêve n’a jamais chômé !

Je dis toujours qu’il faut rêver longtemps pour que nos rêves puissent exister et perdurer. Cela demande beaucoup d’endurance les années de vaches maigres. Mais il ne faut pas lâcher !

Qu’appelle-t-on spectacle vivant, exactement ?

Le spectacle vivant, c’est un spectacle qui fait vivre les personnes en direct sur scène devant un public. C’est un spectacle qui n’est pas enregistré et qui va changer tous les soirs.

Chaque représentation est nécessairement différente : si le texte reste le même, les émotions, l’interprétation et la réception par le public varient selon l’humeur du moment. Même avec une mise en scène précise, on se renouvelle chaque soir ; on n’a pas le même public, on n’est pas dans les mêmes dispositions et donc tout est nouveau. C’est en ça que c’est vivant. 

Qu’apporte le spectacle vivant historique à une communauté humaine qui se lance dans l’aventure ?

Une communauté humaine qui ose organiser un spectacle vivant historique, avec des amateurs et des professionnels, se lance dans une aventure qui la dépasse complètement. On prend un risque ensemble : au départ, on ne se connait pas bien. Et puis il n’y pas de son, pas de lumière, pas d’accessoires ni de décors… Tout est très pauvre et les acteurs-amateurs ne savent pas trop où ils vont : c’est le pari de la confiance !

C’est aussi un moment où chacun va découvrir ses talents. C’est d’ailleurs le rôle du metteur en scène que de découvrir et de s’appuyer sur les talents de tous. Quand on arrive à être bien à l’écoute, on crée des merveilles : les facultés naturelles de chacun se déploient dans la confiance ; tout devient alors plus beau que ce que l’on avait prévu !

Au début, c’est donc un risque. Et puis, on y prend goût, on trouve ça agréable. D’autant que l’on grandit en dignité, en expérience, en compétences ; on apprend à s’apporter les uns aux autres au lieu d’être dans une concurrence délétère. D’autant que c’est un lieu où l’on demande avant tout aux personnes une qualité de présence, dont on manque beaucoup aujourd’hui.

Tout ne se fait pas sans mal… C’est un travail parfois laborieux ! Mais on retrouve la joie d’appartenir à une communauté humaine. Cela laisse des amitiés très fortes, des liens qui restent, qui vont s’approfondir, et qui changent la vie du lieu.

En creusant nos racines, on retrouve la dignité d’appartenir à un terroir. On retrouve la joie d’appartenir à une communauté humaine qui a beaucoup de choses à raconter, à vivre, à donner.

Quel est le rôle des professionnels, dans ces spectacles vivants ?

Pour ces spectacles vivants, il faut créer un écrin qui soit parfaitement ajusté au niveau technique. Sinon, on risque de nombreuses déceptions : ne rien entendre, avoir des costumes médiocres, une scénographie mal finies, etc.
Donc tout ce qui est technique autour des amateurs qui vont jouer doit être le plus parfait possible – même si – c’est le propre du spectacle vivant – on n’atteint jamais la perfection ! Mais toute cette technique professionnelle permet de créer une oeuvre finale vraiment belle.

Il arrive que l’on ait des pannes techniques dans le spectacle vivant et c’est presque toujours une erreur humaine ! Donc, il faut que tout cela soit extrêmement bien balisé – notamment par le régisseur général.

Pour moi, il est très important que l’équipe professionnelle s’entende bien. Ce type de projet est très lourd – ce sont de petites entreprises éphémères : on est parfois jusqu’à 250 à travailler sur un produit fini qui doit démarrer pile à l’heure, durer le temps imparti et qui cumulent énormément de contingences techniques et humaines – donc on doit parer à toutes éventualités ! Si l’équipe ne s’entend pas bien, on perd un temps fou et ça va générer des erreurs.

Quelles sont les étapes de mise en place d’un spectacle vivant ?

Quand une commune me commande un spectacle, c’est souvent pour marquer l’anniversaire d’un événement ou d’une personnalité locale. On vient généralement me chercher parce que certains ont déjà vu mes spectacles et sont en confiance.

Les contacts se font généralement deux à trois ans en amont. Je commence par rencontrer l’équipe porteuse du projet — qu’il s’agisse de la municipalité ou d’une association. Mon rôle initial est de comprendre leur intention : quel type de spectacle souhaitent-ils ? Quels moyens, lieux et budgets ont-ils à disposition ? Cela peut aller d’un petit spectacle – 30 à 50 participants dans une salle modeste – à une production d’envergure avec 250 participants, en plein air. Ce qui est important, c’est que le spectacle soit ajusté au projet et aux moyens.

Une fois ces éléments définis, je passe à une deuxième étape clé : rencontrer ceux qui connaissent l’histoire du lieu ou des personnes à mettre en lumière. Je ne connais rien au départ, je commence donc toujours par me mettre à l’écoute. Je rencontre et écoute également ceux qui veulent jouer ou participer d’une façon ou d’une autre.

Une fois cette phase amorcée, on lance les ateliers, pendant que ceux qui sont en charge du budget recherchent des fonds. Il n’y a aucune honte à ce qu’un projet ait un coût. Si les moyens manquent, on ne fera pas moins bien, mais autrement, pour que le spectacle final soit juste. Il faut rêver mais pour mettre en oeuvre nos rêves, il faut se coltiner la réalité ! La qualité de ce que l’on va mettre en place dépend beaucoup de l’accueil de la réalité – personnes, moyens, lieux – et de la façon dont on les met en oeuvre. En considérant toujours les personnes plus importantes que l’oeuvre elle-même.

Ensuite, on travaille ensemble souvent pendant un an. Tout est progressif : on commence modestement, et peu à peu, l’enthousiasme grandit. On joue – enfin – le spectacle, que l’on essaye de réussir ! Tout cela prend énormément de temps, on partage des moments extrêmement forts et à la fin, généralement, on fait la fête ensemble.

Et puis, tout s’arrête ! Souvent, les participants expérimentent alors un sentiment de vide. Mais pour moi, ça fait partie de l’aventure. C’est la vie, en fait ! Ce rythme est naturel : on peine à se lancer, puis on se met en route, et puis on y est, c’est merveilleux – comme lorsque l’on gravit une montagne – et puis, quand le sommet est passé, quand l’aventure est terminée, il faut aussi savoir se poser, revenir aux tâches quotidiennes, aussi simples soient-elles.

Mais si l’expérience a été vécue intensément et profondément, elle nous transforme, et même le quotidien en ressort enrichi, différent. Souvent, la qualité de la relation s’en trouve améliorée dans la commune.

Faire du théâtre a-t-il des vertus ?

Tout le monde devrait faire du théâtre à l’école !

J’ai animé beaucoup d’ateliers enfants et ceux qui y ont passé une dizaine d’années en ressortent transformés dans ce qu’ils sont, avec une solidité, une qualité de présence, une capacité d’écoute renforcés. Apprendre à écouter vraiment, sans se contenter de faire semblant, permet de grandir et de s’émerveiller de la beauté des autres.

Le propre du théâtre est de permettre à une personne d’exister devant les autres, tel qu’elle est, sans faux semblant. C’est donc un excellent vecteur d’insertion. De fait, la plupart des personnes en situation d’insertion se sentent indignes, tels des imposteurs ou des moins que rien. Quand on prend le risque de leur faire faire du théâtre, au départ, c’est très difficile. Mais petit à petit, en travaillant les uns avec les autres, elles osent être elles-mêmes, sans jouer un rôle. Et leur confiance en elles s’installe progressivement.

Le théâtre leur permet de retrouver une dignité, de prendre la parole et d’être, enfin, au centre de ce qui se joue. Être le sujet, c’est puissant : cela aide à grandir, à trouver sa place dans la société et à se regarder avec plus de bienveillance. Lorsque les autres écoutent et apprécient ce qu’elles partagent, cela leur renvoie qu’elles sont dignes d’intérêt, aimables, même. Avoir quelqu’un qui croit en soi peut transformer une vie.

Marie-Cécile du Manoir

Comment accueillez-vous l’altérité quand vous organisez un spectacle vivant ?

Sans l’altérité, on ne peut pas vivre. Nos différences, c’est ce qui nous permet de grandir et d’être heureux.

Quand je travaille avec des personnes qui ont une manière de travailler et des points de vue différents du mien, ce n’est pas facile parce que ça me remet en question et ça m’oblige à aller beaucoup plus lentement. Mais je pars vraiment du postulat que c’est ce qui va m’aider à avancer et qui va faire que l’oeuvre sera plus belle au final.

Je m’arrête donc sur cette différence, je prends le temps d’entrer dans ce cheminement de l’autre et je demande aux autres membres de l’équipe de faire pareil.

Et le corollaire de l’altérité, c’est la subsidiarité. C’est-à-dire que quand je délègue des missions, je laisse vraiment l’autre en charge – toujours dans un dialogue constructif, évidemment – mais la confiance est donnée. Il est très important que je sache me retirer quand je demande quelque chose à quelqu’un, car on est tous tellement différent qu’évidemment, je n’aurais pas fait pareil !

La plupart du temps, c’est comme cela que ça fonctionne le mieux.

Un dernier message ?

Quand on a la chance de trouver ce pour quoi on est fait sur Terre, et pouvoir le vivre avec d’autres, on a le devoir de le mettre au service du reste de l’humanité.

Je crois que toute notre vie, on cherche à trouver la bonne place, pour aider les autres à grandir avec nos talents propres. Pour moi, c’est ça, la vie pleinement humaine… et on n’a jamais fini !

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Extrait du spectacle “BERNADETTE

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