Au-delà des outrances provocatrices et des effets de manche du président Trump, la politique MAGA (Make America Great Again) pose au monde occidental une question de fond : dans un capitalisme spéculatif globalisé, les États conservent-ils encore un réel pouvoir de politique économique ? Par Pierre-Yves Gomez, économiste et co-initiateur du Courant pour une écologie humaine.

La stratégie MAGA : relocalisation et désendettement
C’est en défenseur des intérêts nationaux que Donald Trump se pose lorsqu’il exige l’allégeance des géants du numérique, ou lorsqu’il brandit la menace de droits de douane pour forcer la relocalisation de la production aux États-Unis. Relocaliser, c’est en effet réaligner l’espace économique, celui des producteurs et des consommateurs, sur l’espace politique des électeurs. Dans le même mouvement, constatant que la croissance de la dette de l’État américain (120 % du PIB) rogne ses marges de manœuvre, le MAGA s’attaque à la structure même de l’État fédéral, accusé par certains penseurs libertariens de constituer un « État profond », c’est-à-dire un réseau d’agences voué à maintenir la paix sociale en distribuant subsides et prestations, au prix d’un endettement public très élevé.
Le capitalisme globalisé, plus fort que l’État ?
La méthode brutale et disruptive de la politique MAGA suscite de nombreuses réserves. Elles ne doivent pas, néanmoins, faire oublier son enjeu central : un État (et en particulier le plus puissant d’entre eux) dispose-t-il encore des forces nécessaires pour encadrer un capitalisme mondialisé quand sa logique échappe aux intérêts nationaux ? La réponse autoritaire à cette question caractérise le capitalisme chinois, érigé par l’administration Trump en rival mimétique, précisément parce qu’il a le souci de conjuguer la puissance économique à la souveraineté politique.
Or l’incertitude quant à la réussite de la stratégie MAGA ne tient pas seulement à la manière dont elle est conduite. De fait, le capitalisme spéculatif a broyé peu à peu la puissance publique par trois mécanismes : la financiarisation, qui a aligné les revenus de millions de citoyens, notamment des retraités ou futurs retraités, sur les profits des grandes entreprises cotées ; la digitalisation, qui a fait du secteur numérique mondialisé l’architecte et le maître des économies ; et la sociétalisation qui a dépouillé les institutions de l’expression politique légitime pour la transférer aux plateformes et aux réseaux d’opinion. Malgré les slogans, aucun des présidents américains récents n’a pu s’opposer à cette transformation qui a redessiné notre système économique mais aussi social et politique.
Le Liberation Day : un retour de bâton des marchés
La difficulté à le faire a encore été manifeste le 2 avril, lorsque les marchés financiers ont réagi violemment aux annonces économiques de l’administration Trump. Le « Liberation Day », marqué par l’instauration tonitruante de droits de douane massifs censés rapatrier emplois et puissance industrielle vers les États-Unis, a provoqué une déflagration boursière. En cinq jours, Wall Street a perdu 10 %, amputant directement le capital des épargnants — qui sont les électeurs de Donald Trump. Sous la pression financière, le Président a immédiatement revu ses menaces protectionnistes à la baisse.
Leçon pour les démocraties occidentales
Ce revers ne lui est pas infligé par le grand rival chinois, mais par le système économique spéculatif qu’il encourage par ailleurs. Les marchés transnationaux ont imposé leur opinion d’autant plus aisément que Donald Trump leur doit sa propre fortune et qu’il entend les déréguler davantage pour dynamiser la croissance.
Il découvre néanmoins que les États-Unis ne se gouvernent pas comme une entreprise dirigée par un actionnaire unique et souverain, mais comme une société où les attentes à court terme des électeurs-spéculateurs ne coïncident pas nécessairement avec leurs intérêts plus lointains en tant que membres d’une nation. La mécanique économique leur donne les moyens de contraindre les choix, même s’ils n’en sont pas directement conscients.
Pour l’ensemble des démocraties occidentales, les limites de l’action des États dans le cadre du capitalisme spéculatif globalisé sont un fait dont il faut tenir compte, en particulier au moment où, chez nous, on reparle de développer la retraite par capitalisation.
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