Jean-Claude Devèze, ingénieur agronome, a consacré sa vie au développement rural et à la réflexion citoyenne. Membre de plusieurs mouvements (Pacte civique, Démocratie & Spiritualité…) et auteur de nombreux ouvrages dont Pratiquer l’éthique du débat – Le défi de la délibération démocratique (Ed. chronique sociale, 2018), il plaide pour un débat véritable, loin de la culture du clash, fondée sur l’écoute, le respect, le discernement et favorisant le bien commun.
Cette intervention a eu lieu dans le cadre du forum 2025 du Courant pour une écologie humaine, sur le thème “Comment débattre sans se combattre ?“.
Dialoguer : fondement de toute relation humaine
Le mot « dialogue » vient du grec dia (à travers) et logos (la parole). Il s’agit donc de laisser une parole nous traverser, nous transformer. Le dialogue véritable nous met en mouvement. Il nous oblige à nous reconsidérer et à nous ouvrir.
Qu’il soit vécu dans l’amitié, dans le couple ou dans la sphère publique, le dialogue repose toujours sur un socle commun : la confiance, le respect, l’écoute active. C’est à travers cette parole partagée que l’on traverse les joies, les épreuves, que l’on construit une complicité durable, que l’on apprend à marcher ensemble.
Un dialogue fécond commence par une salutation respectueuse, nécessite une écoute attentive et n’a pas peur des silences, pour intégrer ce qui vient d’être exprimé. Il ne s’agit pas seulement de comprendre l’autre, mais aussi de se comprendre soi-même à travers l’autre.
De façon plus large, il est aussi possible de dialoguer avec la nature, les livres, les idées : tout ce qui nous entoure peut devenir interlocuteur et chemin de croissance.
Débattre : chercher ensemble sans se combattre
Le débat est un prolongement du dialogue, mais il introduit la divergence, la confrontation des points de vue. Il peut être vécu dans l’intimité du couple, au sein des organisations ou dans la sphère publique. Lorsqu’il est bien mené, le débat permet de dépasser les désaccords pour bâtir du commun.
En pratiquant la « construction de désaccords » avec Patrick Viveret, sur des sujets clivants comme “Le mariage pour tous”, j’ai constater que les débats pouvaient être menés avec respect, à partir du moment où les différences de points de vue sont clarifiées. Cela permet alors à des divergences et convergences de fond d’être identifiées.
Mais pour que le débat soit véritablement fécond, il suppose des conditions éthiques : un thème bien défini, une écoute bienveillante, une animation rigoureuse. Il s’agit de faire circuler la parole, d’éclaircir les arguments, de corriger les déformations, de recentrer le propos et de tracer des suites possibles.
Une éthique du débat : six commandements pour avancer ensemble
Débattre, c’est écouter pour mieux s’exprimer, accepter d’être remis en question et surtout discerner, ensemble. Voici six “commandements” – des attitudes à adopter – pour fonder une éthique du débat :
- Croire en la capacité de dialogue de chacun,
- Prendre le temps de l’écoute avant de répondre,
- Accepter d’être bousculé dans ses convictions,
- Rester en veille constructive,
- Pratiquer le discernement commun,
- Manier les idées comme des lumières, non comme des armes.
Cette posture exige altruisme, humilité, maîtrise de soi et respect de l’autre. Elle repose aussi sur un langage juste, précis, nuancé.
Un bon débat se termine par une évaluation collective de la manière dont il s’est déroulé : non pour juger, mais pour grandir ensemble.
La délibération : agir avec sagesse
La délibération est l’étape ultime : elle transforme le dialogue et le débat en action collective. C’est un processus de co-construction, où l’on cherche à comprendre ensemble, à juger ensemble, puis à agir ensemble.
La méthode du « voir, juger, agir » développée après la guerre par les Jésuites pour des mouvements d’éducation populaire chrétienne reste d’une actualité brûlante :
- Voir : mobiliser tous ses sens pour comprendre le réel.
- Juger : discerner les priorités communes et les moyens de les faire avancer.
- Agir : mettre en œuvre ce qui a été collectivement élaboré.
La délibération démocratique est ce moment rare où l’on transforme l’échange en intelligence collective, la parole en projet, la confrontation en construction.
Conclusion : tissons une société de la relation
Conversation, discussion, dialogue, débat, délibération, controverse : autant de formes d’échanges qui jalonnent notre vie en société. Mais trop souvent, ces mots deviennent synonymes de conflits ou d’affrontements. Or, bien pratiqués, ils nous aident à nous construire, à comprendre, à relier.
Le défi de notre époque n’est pas seulement de parler plus fort, mais de se parler mieux. De moins chercher à se convaincre et plus à se comprendre. D’accepter les désaccords, non comme des menaces, mais comme des occasions d’approfondir des sujets et de grandir. En tissant une culture du dialogue, nous faisons naître une société plus humaine, plus juste, plus fraternelle.
Parce qu’au fond, pratiquer l’éthique du débat, c’est s’opposer sans se massacrer et cheminer sans se perdre. Voilà une voie exigeante… mais profondément libératrice.
Découvrir une autre intervention du forum 2025 : Débattre sans se combattre : comment atteindre un consensus ? – Gilles Le Cardinal