200 fermes disparaissent chaque semaine. 18% des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. Et – ceci expliquant sans doute cela – on dénombre une surmortalité par suicide dans le milieu agricole… Le métier d’agriculteur est en souffrance, en France, aujourd’hui. Certains ont décidé que la situation ne pouvait perdurer : ils se battent aux côtés de ces personnes en détresse et les sortent de leur solitude mortifère. Marie-Andrée Besson, présidente de Solidarité Paysans, raconte.
“Je pense que l’agriculture est un beau métier. Personnellement, je m’y suis épanouie. Nourrir le monde, c’est quand même motivant !
Marie-Andrée Besson, Présidente de Solidarité Paysans
Mais on a vraiment besoin de s’unir pour lui redonner son authenticité et sa véracité.”
Qui êtes vous Marie-Andrée Besson ?
Marie-Andrée Besson, Présidente de Solidarité Paysan : “Je suis une paysanne en retraite. J’ai produit avec mon mari – et mon fils en fin de carrière – du lait à comté dans le Jura. Je suis aussi engagée à Solidarité Paysans depuis la création de l’association locale.”
Solidarité Paysans : comment est née l’association ?
Le mouvement de Solidarité Paysans est né dans l’ouest de la France, au milieu des années 1980, par un groupe de paysans qui s’est rebellé vis-à-vis des banques et des grosses coopératives – leurs créanciers – qui les aliénaient.
De là, une mobilisation progressive a émergé, qui a abouti, en 1992, à la création de l’association nationale.
Solidarité Paysans : quels sont ses objectifs ?
Solidarité Paysans est une association de défense et d’accompagnement des agriculteurs en difficulté.
Ce sont les personnes qui nous sollicitent : pour nous, c’est important car demander de l’aide – Dieu sait que ça n’est pas toujours facile – est le premier pas d’un accompagnement possible.
Ce qui compte dans la démarche d’accompagnement, c’est de redonner aux agriculteurs de l’autonomie, une capacité décisionnelle, une reprise en main de leur exploitation. De fait, aujourd’hui, on sent bien que les paysans ont perdu la maîtrise de leur outil de travail.
Je vais vous donner comme exemple une personne que j’ai accompagnée. Elle avait d’énormes problèmes financiers ; la situation était tellement catastrophique que la banque l’avait abandonnée et qu’on lui avait conseillé d’arrêter son exploitation. On a donc travaillé avec le couple tant sur les aspects tant économiques que techniques de l’exploitation. On a fait des budgets prévisionnels que l’on suivait ensemble : tous les mois, lorsqu’ils recevaient leur relevé de compte, ils nous appelaient, nous nous rendions chez eux et travaillions ensemble sur ce qu’il fallait encore ajuster. Nous avons fait cela pendant 4 ans. Puis nous avons continué à travailler avec eux sur l’amélioration technique de leur exploitation et celle de leurs conditions de travail qui étaient particulièrement difficiles.
Au bout de 8 ans, c’est une exploitation qui avait repris son rythme. Notre grande satisfaction ? Ils ont installé leur fils sur leur exploitation avec eux !
Il y a de nombreux autres exemples qui démontrent que les personnes ont d’énormes ressources en eux-mêmes. Au fond, le travail de Solidarité Paysans consiste à faire réémerger ces ressources pour permettre à chacun de reprendre confiance en soi et de retrouver de l’autonomie dans la gestion de son exploitation.
Ce qui est fondamental pour nous, c’est l’engagement des personnes dans la démarche.
Solidarité Paysans : qui peut bénéficier de l’aide de l’association ?
On accueille tous les agriculteurs qui font appel à nous, quels que soient leur modèle de production, leurs opinions politiques, religieuses, etc. Et ce dans presque tout le territoire français : nous sommes sur 84 départements aujourd’hui.
Bien que notre éthique profonde soit vraiment d’aller vers une transformation sociale pour limiter la casse que produit le modèle agricole productiviste, on accueille tout de même beaucoup de grosses exploitations. On a aussi beaucoup de jeunes installés de moins de 5 ans, ce que l’on trouve plutôt triste.
Nous n’avons donc aucun frein dans l’accompagnement que nous proposons, hormis, évidemment, de rester dans la légalité !
Qu’est-ce que l’agriculture paysanne ?
L’agriculture paysanne est une agriculture qui respecte tant l’humain que l’environnement naturel. C’est donc une agriculture qui permet à celui qui la pratique de s’épanouir et de trouver du sens à son travail.
C’est une agriculture à l’opposé du modèle actuel, qui est une fuite en avant productiviste et techniciste. L’industrialisation de l’agriculture enlève tout le sens au métier et réduit souvent les agriculteurs à de simples agents du développement industriel.
Je suis persuadée qu’on ne vit pas son métier de la même manière si on a l’ambition de produire toujours plus, sans se poser la question du respect de l’environnement, ou si l’on sent que l’on souhaite protéger les sols et avoir un lien heureux avec les animaux.
Un paysan qui a trente vaches laitières donnera des noms à ces dernières ; celui qui en a 100 leur donnera des numéros. C’est banal mais ça dit des choses !
Quel est le contexte actuel du monde agricole en France ?
Quand on a créé Solidarité paysans, on espérait que l’association disparaitrait dix ans plus tard ; que ses services ne seraient plus utiles. Or, en fait, on constate,que l’on a malheureusement de plus en plus besoin de nous ! Cela veut dire que le modèle de développement agricole actuel produit des dégâts importants au niveau des paysans.
18 % des paysans vivent sous le seuil de pauvreté, 200 fermes disparaissent chaque semaines… Ca, c’est un phénomène qui a été politiquement choisi ! L’objectif était de produire toujours plus, à bas prix, pour exporter, en réduisant le nombre de paysans. Le résultat est parfait, si l’on peut dire : on a atteint les objectifs des lois d’orientation. Sauf qu’il serait plus que temps que l’on s’arrête ! Or, on ne met pas de limite, on reste dans le “toujours plus”. Et dans cette fuite en avant, c’est le paysan qui est la variable d’ajustement.
Autre information d’importance : le pourcentage de paysans qui vont arriver à la retraite dans les dix prochaines années est énorme… Allons-nous vers une agriculture sans paysan ? Mais quelle agriculture ? On peut se poser la question…
Il y a quand même beaucoup d’aides pour les agriculteurs, non ?
Disons qu’il y a des distorsions énormes entre les grosses exploitations productivistes et ceux qui restent sur le bord de la route et qui sont finalement abandonnés.
Il faut savoir qu’aujourd’hui, les aides sont affectées à la surface des exploitations. C’est donc la course à la surface pour obtenir ces aides.
Et c’est là où Solidarité Paysans a toute sa place : souvent les paysans les plus en difficulté n’ont pas le droit à ces aides !
Prenons l’exemple d’une exploitation surendettée. Une des solutions est d’entrer dans une procédure collective – que l’on appelle redressement judiciaire – qui permet un étalement des dettes sur quinze ans. Les créanciers n’ont plus d’emprise sur l’exploitation qui peut être redressée progressivement, ce qui est très sécurisant pour l’agriculteur. Quand on lance cette procédure, il y a une période d’observation qui dure a minima 6 mois. Les dettes sont alors gelées et l’agriculteur doit prouver que l’exploitation est viable, qu’il peut en assumer toutes les charges. Mais durant cette période, les pouvoirs publiques et l’Europe considèrent l’exploitation non viable et donc non éligible aux aides ! On est obligé de se battre pour que les personnes y aient tout de même accès : c’est le moment où elles en ont le plus besoin !
On peut comprendre que dans ces moments-là, les agriculteurs soient hyper stressés et parfois découragés. Et l’accumulation de nombreux facteurs et leurs complexités peut conduire jusqu’au suicide.
Qu’est-ce qui explique la perte de sens du travail agricole ?
La plupart des paysans travaillent énormément, plus de 70 heures par semaine. Et certains d’entre eux savent que malgré cela ils vont perdre de l’argent dans la journée. Pourquoi ? Parce que le coût du travail n’est pas pris en compte. Parce que comme on produit de façon industrielle, il faut des intrants, des pesticides… qui ont un coût. Parce que les paysans sont quand même les seuls à produire sans fixer le prix de leur production, ce dernier étant fixé par le marché mondial (et plus il y a de produits sur le marché, moins ces derniers sont chers…)
Automatiquement, face à tout cela, le paysan perd le sens de son travail.
Il y a des paysans qui n’arrivent même pas à remplir leur frigo ! C’est quand même humiliant de ne pas être en mesure de nourrir sa famille !
Le paysan ne maîtrise plus son outil de travail, il n’a plus part aux prises de décision ; ainsi, c’est souvent les technico-commerciaux qui leur disent ce qui leur faut d’intrants, etc.
Or, tous ceux qui ont choisi ce métier recherchaient généralement un lien aux animaux ou à la terre… Ce lien-là se perd, actuellement.
Et puis, il y a une grande solitude accouplée à un grand individualisme. Chacun se méfie de l’autre parce que, notamment quand on est en difficulté, on sait très bien qu’il y en a qui espèrent l’arrêt de l’exploitation pour pouvoir s’en emparer. En agriculture, il y a de nombreux conflits d’intérêts.
Tout cela créé du stress, de la fatigue… ça démotive. C’est un métier qui souffre car il n’a pas de perspective.
Quelles sont les bonnes pratiques en agriculture ?
Les membres de Solidarité Paysans n’arrivent jamais sur une exploitation en disant “il faut faire ceci ou cela”. Les bonnes pratiques se trouvent toujours à partir des situations personnelles que l’on essaye d’améliorer.
Toutes les exploitations sont différentes, les personnes sont différentes, leur capacité à aller vers le changement est aussi différente : il faut tenir compte de tout cela. Il n’y a pas de recette-miracle générale ! On place donc la personne au centre du processus pour aller vers des pratiques plus adaptées et idéalement plus durables.
Mais tous ceux qui ont opéré ces changements sont unanimes, a posteriori, sur le bien que ça leur a fait de sentir qu’ils retrouvaient un peu de maîtrise dans leurs pratiques.
Comment le consommateur peut-il aider les agriculteurs ?
Je crois qu’il faut prendre conscience d’une chose : si le consommateur a certes un rôle à jouer dans sa manière de consommer, tout ne repose pas sur ses épaules. On entend souvent dire que si le consommateur acceptait de payer plus cher sa nourriture, l’agriculteur serait mieux rémunéré… C’est un faux problème !
On a réalisé avec le Secours catholique, le réseau CIVAM et la Fédération française des Diabétiques, une étude intitulée “l’injuste prix de notre alimentation”. Elle révèle qu’à chaque extrémité de la chaîne – tant du côté des agriculteurs que des consommateurs – il y a de la précarité. C’est au milieu de la chaîne que les bénéfices sont énormes ! Il faut donc éviter le piège qui consiste à monter les agriculteurs contre les consommateurs et inversement.
Cette étude démonte aussi qu’il y a de l’argent utilisé aujourd’hui pour promouvoir une agriculture qui ne respecte ni le paysan ni le consommateur.
Cet argent-là devrait pouvoir être utilisé différemment et permettre aux producteurs d’être rémunérés justement, en produisant une alimentation saine. Pour aller vers un autre type d’agriculture, il faut une volonté politique. Cela ne peut pas simplement se produire entre consommateurs et producteurs, même si les initiatives locales autour de la sécurité sociale de l’alimentation, des caisses alimentaires et des circuits courts sont importantes.
Un dernier message ?
Je pense que l’agriculture est un beau métier et qu’elle pourrait être un vivier d’emplois. Personnellement, je m’y suis épanouie. Nourrir le monde, c’est quand même motivant ! Mais on a vraiment besoin de s’unir, entre forces alternatives, pour lui redonner son authenticité, lutter pour maintenir un maximum de paysans, accueillir des nouveaux en développant des conditions de travail et de rémunération dignes et, bien sûr, en respectant l’environnement.”
Découvrir le site internet de Solidarité Paysans
Pour aller plus loin sur ce sujet : Quand la vie renaît : histoire d’une transition en agriculture biologique