Villages en ville

27 Déc, 2015 | Non classé

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Dans le cadre des soirées de form’action Cap 360°, Jean-Vladimir Deniau, initiateur de “villages en ville”, a accepté de témoigner de son expérience. Son objectif ? Repenser l’habitat à partir de l’habitant et permettre ainsi de recréer du lien en ville. Comme dans un village. Ci-dessous, Jean-Vladimir nous livre le fruit de sa réflexion : l’origine du concept « villages en ville ».

(Jean-Vladimir Deniau : jeanvladimir.deniau@outlook.fr, 75007 Paris. 06 50 07 80 64)

RETROUVER LA VIE DE VILLAGE

Pendant des siècles, les villages ont structuré la géographie et plus particulièrement la vie politique, sociale, économique et religieuse de nombreux pays et particulièrement de la France. Pendant des siècles, des hommes et des femmes n’ont connu du monde que leur village et le territoire environnant et cela leur suffisait. Le village était souvent le lieu de la socialisation, de l’entraide, de la transmission, de la vie quotidienne, du travail, de l’amitié. Elle était le milieu dans lequel se développait la vie conjugale, dans lequel étaient éduqués les enfants, dans lequel vieillissaient et mouraient les plus âgés. C’était le lieu de la vie quotidienne. Le lieu de la vie.

Aujourd’hui, ce principe structurant a largement disparu. Les 30.000 villages de France n’ont souvent plus du village que le nom. Les journaux nous informent régulièrement qu’un village est à vendre. Qui plus est, 80% des français vivent aujourd’hui en ville alors qu’au XIXème siècle, ils étaient 80% à vivre à la campagne.

Bien que les exemples de villages vivants manquent souvent aujourd’hui dans nos pays occidentaux, l’histoire nous apprend beaucoup sur ceux-ci. De plus, une nouvelle forme de villages urbains, souvent nommés cohabitats, a émergé dans les années 1970 et nous donne un deuxième modèle. Dans les lignes qui suivent nous nous intéressons à ces deux modèles.

  • Le village 

Le Dictionnaire universel  de Furetières (1690) définit le village comme « une habitation de paysans qui n’est point fermée de murs et qui a d’ordinaire une paroisse ». Le Dictionnaire de l’Académie (1694) définit le village dans des termes proches : « lieu non fermé de murailles et composé de maisons de paysans ».

Pour l’historien Joseph Boyreau (Village en France au XVIIIème siècle), « ce qui caractérise le village, c’est sa volonté d’autonomie » et son mode de fonctionnement en « communauté » sans « qu’aucun individualisme ne se décèle dans la façon de prendre une décision et dans ses conséquences ». Une définition certes belle, mais sans doute légèrement idéaliste et qui ferait croire que l’individualisme et l’égoïsme étaient absents de cette forme de vie sociale et politique.

Jean-Pierre Gutton, auteur de La sociabilité villageoise dans l’ancienne France, rapporte la difficulté à identifier et à définir le village. Il rappelle que pour le pouvoir royal, il y avait communauté villageoise à partir du moment où il y avait « 12 habitants chefs de famille ». Il explique l’apparition de l’organisation des villages comme s’étant faite dans le cadre de la paroisse : « La communauté de prière, le fait aussi que l’église puisse servir de maison commune, sont des facteurs de rassemblement. Le développement, à partir de l’an mille, des idées de paix en est une autre. La cérémonie au cours de laquelle les villageois jurent la paix, en principe renouvelée chaque année, se déroule dans l’église ou sur le territoire sacré qui l’entoure. Les fidèles de la paroisse et ceux qui ont juré la paix sont les mêmes et le serment collectif est l’expression d’une solidarité religieuse. »

L’historien des villages Antoine Follain est à notre sens celui qui analyse avec le plus de finesse cette réalité socio-politique qu’est le village. Pour lui, le village, c’est d’abord les villageois. C’est une réalité vivante et sociale avant que d’être une réalité architecturale, territoriale ou administrative. « Les villageois composent un groupe humains sensible alors que la dimension urbaine affecte les relations et le quartier urbain ne peut jamais être qu’un morceau de ville. Aggloméré, concentré, dispersé… nous avons toujours affaire à une petite société villageoise »[i].  Notons l’usage du terme sensible pour qualifier les villageois. Nous estimons qu’il est déterminant dans la définition du village. Les villageois sont en contact sensoriel. Ils sont à portée de sens. On se voit, s’entend, se parle, se touche à longueur de journée. Le village a quelque chose d’un organisme vivant.

Ce village dont nous parle Follain est « la seule unité de vie vraiment sensible pour les populations – et elle l’est bien d’avantage que le quartier urbain qui ne sera toujours que la section d’une ville ». Il décrit la réalité du village à partir de 5 principes de structuration : la sécurité, l’équité, la dignité, la responsabilité et la sensibilité. Ainsi, nous dit-il, « La communauté villageoise est ce qui se situe au-dessus des familles (mais elle est imbriquée avec la parentèle) et en-dessous des « pays », des provinces, etc. C’est l’écheveau de liens sociaux qui préserve la cellule familiale et l’individu des dangers qui découleraient de leur isolement et qui apporte à la famille et à l’individu une identité sociale, une appartenance et une reconnaissance. D’où l’importance de la sécurité et de la paix entre voisins, de l’équité entre membres et enfin de la dignité et de la responsabilité qui expliquent la volonté d’ajuster de préférence entre soi les relations sociales, donc de faire tout simplement de la « petite politique » ; c’est-à-dire débattre et décider de ses propres affaires, pour soi, pour sa famille et pour une collectivité qui a des dimensions conformes à la sensibilité des gens, dans un contexte donné, ce qui suppose une collectivité assez modeste, par sa taille et par son territoire, pour que les co-habitants soient personnellement identifiables. Ces « principes de structuration » s’appliquent avec moins de rigidité qu’on ne pourrait le croire et les solidarités sont plus souvent complexes qu’elles ne seraient simples et toutes sécantes entre elles. Les appartenances sont aussi volontaires et contraintes. (…) L’ensemble très divers et très complexe des relations entre les personnes comprend des « relations de voisinage, de travail, etc. s’imposant de toute façon à l’individu » et composant des solidarités « de fait » et aussi des solidarités « de choix » lorsque les membres des groupes assument en termes positifs ces relations et lorsqu’ils les entretiennent ».

  • Le cohabitat

Comme le fait noter Follain, un quartier ne sera jamais un village. Il restera un morceau de ville. Dans ce cas, comment concevoir la création de villages en ville ? A quoi ressembleraient-ils ? Comme Follain, nous estimons qu’un quartier de ville ne pourra en aucun cas être un village. C’est pourquoi les villages en ville essayent de transposer à la vie citadine l’essence de ce qui fait la vie de village. Sur ce plan, une initiative récente – et qui a fait des émules – est le cohabitat. Appelé aussi « habitat groupé », « habitat participatif » ou « éco-habitat groupé », le cohabitat désire recréer des vies de village et le fait souvent au sein de zones urbaines. Il s’agit alors de construire une communauté d’habitants qui vont vivre au sein d’un même immeuble ou d’un même lotissement. L’immeuble ou le lotissement sont souvent bâtis ou rénovés en fonction des critères propres à cette vie villageoise moderne : espaces privatifs et espaces communs conséquents ; lieux de passage pensés pour la rencontre… Le groupe d’habitants lui-même est accompagné et structuré pour être capable de gérer par lui-même, et dans une certaine autonomie, la vie commune des habitants.

Dans les faits, chacun possède son appartement personnel et bénéficie en sus de plusieurs espaces communs (jardin, foyer, chambre d’invités, atelier, salle de jeux pour les enfants, etc…..). Des temps communs sont généralement prévus. Il peut s’agit d’une réunion par mois comme de deux par semaine. La fréquence varie selon les habitats. Par ailleurs, cette réunion peut avoir un caractère obligatoire ou non.

Kathryn Mc Camant et Charles Durrett[ii] ont une profonde expérience du cohabitat. Ils ont non seulement vécu dans deux d’entre eux, mais en ont visités et analysés 285. Ils en ont par ailleurs conçus et construits plus de 50. Voici comment ils décrivent le cohabitat :

« Parfois une communauté prend vie simplement parce que certains habitants font le choix d’organiser des fêtes de quartier ou d’autres événements. Ce sont des communautés qui dépendent du hasard : la bonne combinaison de personnes au bon endroit et au bon moment.

Par contraste, le cohabitat institutionnalise la communauté sur le long terme par des événements communs comme des dîners, la garde des enfants, des équipes d’entretien, etc… Le cohabitat facilite aussi la communauté (tout comme la vie privée) par la manière dont sont étudiés et dessinés les espaces et les bâtiments qui forment l’environnement du cohabitat et qui auront une influence sur les forces centrifuges et centripètes qui président à la vie du groupe d’habitants. Le processus de création et de développement d’un cohabitat ne dépend pas de la chance. Toute personne y vivant veut donner sa chance à la coopération. En décidant de vivre dans un cohabitat, les habitants décident en conscience de participer à sa vie.

Le cohabitat est aussi profondément ancré dans un lieu. Le « team-building » (ou community-building ») du groupe de résidents se fait entre les logements, dans les chemins et les couloirs.  Aussi, les espaces sont-ils conçus pour encourager un sentiment d’appartenance au lieu, engendrer la coopération et servir de support à la relation. Une communauté de cohabitants est enracinée dans les tâches pratiques et individuelles qui font le quotidien de chacun ».

McCamant et Durrett listent ensuite une série de caractéristiques communes à tous les cohabitats :

  • Le processus participatif de création et de conception du cohabitat (maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, vie du groupe)
  • Une architecture et une organisation des espaces qui favorise le « community-building » tout au long de la vie du cohabitat
  • Des espaces et des installations communes nombreuses
  • Une gestion du cohabitat entièrement réalisée par les résidents
  • Une responsabilité partagée par tous les habitants et un mode de décision consensuel
  • Une autonomie financière et résidentielle de chaque foyer de résidents

Cohabitat et village partagent l’idée d’être des communautés étroitement dépendantes d’un territoire. Le cohabitat met l’accent sur l’intention commune des cohabitants de vivre une vie de collaboration de type « village », là où le village avait moins ce besoin. Les deux réalités supposent un certain degré de gestion par les habitants, de vie sociale, d’entraide. Le village, très dépendant d’un terroir et de ses ressources agricole, crée des solidarités de fait notamment dues à la distance avec le village ou la ville voisine. Le cohabitat, souvent inséré dans un tissu urbain et dont les habitants disposent de tous les moyens de communication et de transport modernes, met en place toute une démarche de création de l’esprit communautaire, en instituant repas communs, espaces communs, fêtes. Dans le village, ces mêmes institutions ont émergé, souvent en lien avec la vie paroissiale. La vie religieuse est souvent présentée comme centrale dans les villages. Né dans des sociétés laïcisées, le cohabitat peut se vivre sans aucune référence religieuse. Il n’en a pas moins des références idéologiques ou au moins des valeurs communes à tous les habitants, voire un projet commun. En France, l’actuel renouveau du cohabitat se fait souvent dans la mouvance écologique.

Ces deux modèles, avec leurs nuances et leurs points communs, offrent une foule d’expériences et un recul important pour celui qui désire à son tour se lancer dans un tel projet.

Le village a aussi l’intérêt de nous rappeler l’importance du religieux dans la réalisation d’une vie de village heureuse et harmonieuse. Là où le cohabitat se présente comme une réalité architecturale et sociale sans référent culturel ou religieux et donc adaptable à toutes les situations, le village est pour sa part ancré dans une culture, une religion. Il a su mettre en place toute une série de rites et de coutumes sociales et religieuses qui contribueront très certainement à enrichir notre réflexion sur la vie et la nature des « villages en ville ». En effet, le village est le lieu de joies et de fêtes partagées. Et ces joies et ces fêtes, si chères au cœur de l’Homme, trouvent tout leur sens dans le sentiment de partage d’une destinée commune.

 

[i] Follain Antoine, 2008, Le village sous l’Ancien Régime, Fayard, 609 pages

[ii] Kathryn McCamant & Charles Durrett, 2011, Creating Cohousing, New Society Publishers, 321 pages

[iii] Recherches effectuées dans le cadre du Laboratoire de Psychiatrie communautaire du département de Psychiatrie de l’Ecole de médecine de Harvard

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