L’homme esclave de sa vanité (Vers un « financial art » 3/3)

23 Juil, 2013 | ART & COMMUNICATION, ART & CULTURE

Homme esclave Traiter les œuvres comme des biens utiles est la terreur des vrais galeristes (il y a aussi de faux galeristes). C’est l’histoire d’un type qui entre dans une galerie et qui demande combien l’artiste est coté sur Art Price. Vous voyez ? L’objectif est alors de faire un placement, un investissement qui rapportera. C’est le « financial art », aveugle car puisque le but est de faire de l’argent, alors la croûte vaut le chef d’œuvre pourvu qu’elle se vende un bon prix. L’homme est ici un authentique consommateur. Il ne cherche alors pas à grandir dans et par l’art, ou à éclairer son regard sur le monde, à devenir meilleur. Il passera souvent pour un amateur d’art, mais il sera un simple homme d’affaire.

L’argent n’est pas le seul enjeu. L’art peut également servir à rehausser la gloriole, à gonfler l’orgueil. Je me rappellerai toujours de ce brave collègue qui acheta un jour un monochrome bleu. Quand je lui demandai ce qu’il aimait dans ce monochrome, il me répondit qu’il l’avait acheté simplement pour le mettre au-dessus de son canapé, afin que ses invités le voit. « Un monochrome, ça claque, » disait-il… Sans commentaire…

Quand il perçoit l’art de cette façon, l’homme le plus vertueux peut devenir cupide et orgueilleux, mais cette vision n’est pas la seule répercussion sur l’homme. Que dire en effet de l’artiste qui a passé des semaines, des mois ou des années à créer son œuvre ? Comment peut-il supporter d’être un simple investissement, lui qui voulait émerveiller ? Il se trouve alors devant deux choix possibles : soit il en souffre et risque (c’est arrivé à des personnes de ma connaissance) de perdre son goût pour la création, écœuré ; soit il décide de jouer le jeu et, dans ce cas, produit des œuvres qui ne lui coûtent rien, qui ne demandent aucun savoir-faire, et qui se vendront. Comme les gens n’achètent que ce qui les remue, et comme l’esthétique demande du temps et de la patience, la tentation est forte de faire des choses qui scandalisent ou qui excitent. L’objectif sera alors de gonfler la cote, la réputation bref, la valeur extrinsèque de l’œuvre qui, hypertrophiée, dissimulera sa ridicule valeur intrinsèque. Une chose très importante est alors de faire preuve d’un égocentrisme à toute épreuve, de sorte que personne n’ose contester la valeur de l’œuvre et que, si quelqu’un s’y risquait, on puisse crier et agiter les bras très fort.

AU PLAISIR DE L’ART

« Il bénéficiera donc d’une reconnaissance méritée, qui le valorisera et le portera à poursuivre son art. Mais affirmer cela, c’est remettre la transmission du savoir dans une société qui n’en veut plus. C’est réhabiliter l’autorité d’un maître qui enseigne à des élèves […] »

Souvent (mais pas toujours !), reconnaissons que l’amateur achète une œuvre qui lui plaît vraiment, qui lui est agréable. Cette œuvre pourra éventuellement lui rapporter de l’argent, mais ce n’est pas son premier but. C’est ce que le commun des gens honnêtes recherche dans l’art, quelque chose qui leur plaît. Cette quête peut être de noblesse différente. Ainsi plaira un paysage magnifique, féérique (comme on en voit dans les gravures de la galerie Broutta), ainsi plairont autrement les couleurs du fauvisme (qui charmeront l’oeil), ainsi plaira encore différemment la peinture d’un sexe féminin ouvert à toute proposition (comme le tableau de Courbet que vous aurez reconnu). Dans un cas on sera transporté, dans l’autre notre œil sera flatté, dans l’autre enfin nos instincts seront interpellés (ce qui est rappelons-le, le but premier assumé par ce peintre par ailleurs virtuose). Mais dans tous les cas, il s’agit d’une œuvre agréable, recherchée pour l’effet qu’elle produit. On notera à cette occasion que l’amateur en question a bien plus de considération pour l’art que celui qui prenait les œuvres pour des biens utiles. On y ressent une recherche de quelque chose d’extraordinaire, réalisée dans une œuvre vers laquelle on est porté, à laquelle on tend. De son côté, l’artiste peut avoir la satisfaction du travail bien fait. Son savoir-faire a atteint son but, même si les plus grands peintres ne sont jamais complètement satisfaits de leur travail et qu’ils essaient de se surpasser chaque fois. Il bénéficiera donc d’une reconnaissance méritée, qui le valorisera et le portera à poursuivre son art. Mais affirmer cela, c’est remettre la transmission du savoir dans une société qui n’en veut plus. C’est réhabiliter l’autorité d’un maître qui enseigne à des élèves qui commencent plus bas pour finir – qui sait ? – plus haut ! Or les écoles d’art ne sont absolument plus dans cette perspective.

L’ART OU L’ECRIN DE LA PERFECTION

Pourtant, même si c’est au niveau du bien agréable que s’arrêtent la plupart des gens, ce qui n’est déjà pas si mal, ce n’est pas le niveau ultime de l’art, qui porte l’homme vers ce qu’il a de meilleur en lui. L’œuvre peut en effet, en plus d’être utile et agréable, être un bien honnête et là mes amis, on entre dans un autre univers !

Dans ce cas de figure, l’œuvre n’est pas aimée pour ce qu’elle procure, mais pour elle-même, parce que l’intelligence humaine se repose dans sa perfection interne, perfection qu’on appellera beauté (ne m’en voulez pas, chers lecteurs, de ne pas rentrer dans les détails mais ce pourrait être l’objet d’un livre entier). En pareil cas, l’amateur y gagne grandement à être connaisseur, c’est-à-dire à savoir rencontrer dans l’œuvre la perfection du dessin, des couleurs, des tracés, la justesse du thème traité, aussi, qu’il s’agisse d’une scène quotidienne, de magnificence ou même de sacré. Comme dans les cas précédents, qui peut le plus peut le moins, et cet éblouissement s’accompagnera d’une grande délectation et, éventuellement, d’une valeur marchande de l’œuvre. Puisqu’on ne distingue que pour unir, on comprendra qu’au moment de ce feu d’artifice devant l’œuvre, tout se mêlera pour le plus grand plaisir de l’amateur.

« Il est absolument nécessaire pour l’homme que l’art retrouve la noblesse qu’il avait avant le XXème siècle : une volonté de perfection créative au service de la beauté, qui exige du savoir-faire, c’est-à-dire de la patience, du temps et de l’humilité. »

La beauté a ceci de formidable qu’elle fait communier les gens dans une même fièvre. Toutes les personnes qui aimeront l’œuvre pour sa beauté s’y retrouveront, même s’il y a dans l’appréciation de la beauté une variable due à l’éducation, à la pureté de l’âme, à la sensibilité aussi… L’homme rencontre l’homme, l’artiste rencontre l’amateur, l’amateur communie avec l’amateur : bref, l’art est à sa place. Il émerveille, peut interpeller aussi sur des questions existentielles (même si ce n’est pas son but premier), offre une vision du monde, qu’il rehausse avec respect, et rapproche les hommes.

On comprend dès lors pourquoi il est absolument nécessaire pour l’homme que l’art retrouve la noblesse qu’il avait avant le XXème siècle : une volonté de perfection créative au service de la beauté, qui exige du savoir-faire, c’est-à-dire de la patience, du temps et de l’humilité. Quoi de plus beau pour l’homme que de se dépasser, d’aspirer à plus grand que lui ? Quoi de plus enthousiasmant pour lui de grandir et de faire grandir en créant ? C’est là que l’écologie humaine prend toute sa dimension. Plutôt que d’être un narcissisme intellectuel, une nouvelle façon pour l’homme d’être obsédé par lui-même, elle est l’histoire de l’homme qui introduit l’homme à un univers plus grand que lui, le lieu où les hommes se font la courte échelle pour embrasser quelque chose qui les dépasse… en toute beauté !

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