Comment développer une mémoire fiable ?

5 Avr, 2022 | MEDECINE

Anne de Pomereu, auteur de Éloge de la passoire et À la reconquête de l’attention, parle de la mémoire : comment fonctionne-t-elle ? Comment la développer ? Que faire pour ne pas la dégrader ?

La mémoire, pour se souvenir et oublier

Anne de Pomereu : “J’ai mené une enquête sur la mémoire pendant plusieurs années. Elle a abouti à un livre, Éloge de la passoire, publié en 2018 aux éditions JC Lattès. Son objet ? Comprendre ce qu’est la mémoire, où elle se loge physiquement dans le cerveau et ailleurs, comment faire pour retenir. Je réhabilité aussi l’oubli : on a peur de l’oubli à cause des maladies dégénératives, pourtant c’est une fonction essentielle de la mémoire. Avoir une bonne mémoire ne consiste pas à ne rien oublier, mais à savoir quoi retenir.

L’imagerie médicale a révolutionné notre compréhension de la mémoire

A. de P. : Avant les puissantes avancées de l’imagerie médicale, on ne pouvait pas étudier le cerveau sans ouvrir la boite crânienne. Ce qui suppose, vous vous en doutez, que la personne soit déjà morte !

Les scientifiques avaient néanmoins compris le fonctionnement de la mémoire en étudiant des patients souffrant de pathologies telle que l’amnésie.

Depuis une trentaine d’années, on peut visionner un cerveau en action. C’est ainsi que les neuroscientifiques ont découvert que la mémoire est « plurielle », composée de plusieurs systèmes, chacun ayant son champ de compétence : les souvenirs (mémoire épisodique) et les apprentissages (mémoire sémantique) font partie de la mémoire consciente, tandis que la mémoire procédurale (apprendre à conduire, à jouer d’un instrument) est en partie inconsciente, elle résiste plus longtemps à l’oubli.

Comment la mémoire transforme l’information en connaissance

A. de P. : La mémoire permet d’engranger de la connaissance et des souvenirs. Mais elle ne fonctionne pas comme une machine, qui se contente de stocker et rendre ce qu’on lui donne. La mémoire humaine transforme en même temps qu’elle retient. Un souvenir, par exemple, est toujours une reconstruction. Le processus de mémorisation demande du temps : il faut d’abord encoder, puis réactiver.

Nous avons besoin de plusieurs réactivations pour que l’information devienne connaissance. C’est pour cela qu’il faut revoir ses cours ! Apprendre quelque chose de nouveau est un processus lent. Il faut mettre en place des piliers sur lesquels viendront s’accrocher les détails.

Éviter de perdre le mode d’emploi de la mémoire

A. de P. : Nos téléphones et ordinateurs sont devenus nos béquilles de mémoire. Les mémoires des machines sont rapides, puissantes et fiables, c’est un grand progrès pour l’humanité. Mais à force d’avoir délégué nos mémoires aux machines, on a le sentiment de ne plus savoir comment faire pour retenir, comme si on avait perdu le « mode d’emploi » de notre mémoire. Notre mémoire humaine est fiable, à condition de l’utiliser régulièrement !

Savoir que l’on peut compter sur elle, c’est grandir en estime et confiance en soi. Ca rend particulièrement heureux. A contrario, ne pas parvenir à se souvenir de quoi que ce soit est très frustrant.

Se souvenir des belles choses

A. de P. : Comment se fait-il que l’on se souvienne nettement d’un événement qui a plusieurs années alors que ceux d’hier ou avant-hier disparaissent ? Certains souvenirs nous marquent, d’autres non.

Si je vous demande ce que vous avez fait le 15 avril dernier, vous aurez du mal à me répondre. Mais si je vous pose la même question pour le 15 avril 2019 – jour de l’incendie de Notre-Dame de Paris – vos souvenirs remonteront à la surface.

De fait, la mémoire fonctionne de manière associative. Un souvenir va s’ancrer s’il est “accroché” à quelque chose de fort, telle qu’une grande émotion ou un événement majeur.

La mémoire est associative. Un souvenir s’ancre s’il peut s’accrocher à une émotion forte.

En vieillissant, la mémoire épisodique s’altère. Les souvenirs les plus récents s’effacent, tandis que les plus anciens remontent à la surface. Les personnes très âgées vont se rappeler des moments de leur enfance, d’événements qu’elles avaient d’ailleurs probablement oubliés pendant des années et qui tout d’un coup resurgissent. 

Dans notre cerveau, il reste toujours une trace de ce que l’on a vécu. Le souvenir se fabriquant avec l’évocation du souvenir, on se souviendra mieux de ce que l’on évoque avec d’autres. La mémoire grandit avec le partage.

éloge de la passoire : ce que la mémoire peut retenir

Entretenir son capital neuronal

A. de P. : Une récente découverte des sciences cognitives est la plasticité cérébrale. Avant cette découverte majeure, on pensait que notre cerveau avait un nombre de neurones – 80 à 100 milliards – et que ce capital allait en décroissant au fil de l’âge.

En réalité, notre capital de neurones est assez stable. Mais avec le temps, on va perdre des connexions entre les neurones.

La bonne nouvelle, c’est que le cerveau est capable de se régénérer, en fabriquant de nouveaux neurones. Mais il faut entretenir son capital neuronal et il n’y a rien de mieux que de se laisser bousculer par la nouveauté, en se lançant avec ardeur dans des apprentissages. Le mot clé est l’émerveillement.

Ainsi, quelqu’un qui, à 70 ans, se mettrait à apprendre le japonais, ne deviendrait peut-être pas parfaitement bilingue, ce qui n’a aucune importance en soi : ce qui compte, c’est le processus d’apprentissage. Car c’est cela qui fabrique de nouveaux neurones et qui fait que l’on entretient sa mémoire. Même si ça n’empêche malheureusement pas le déclenchement d’une maladie dégénérative. Mais c’est un peu comme lorsqu’on entretient son corps : en faisant de l’exercice, on conserve des muscles et on sera en meilleure forme plus longtemps. Apprendre des choses nouvelles, être en interaction avec les autres et aller vers des sujets peut-être même un petit peu difficiles : tout cela est bon pour la mémoire. 

Les ennemis de la mémoire

A. de P. : La mémoire a de nombreux ennemis. Il y en a que l’on connait bien : trop d’alcool, le tabac, les médicaments à base de benzodiazépine, le sucre blanc (tout ce qui est mauvais pour le corps est aussi mauvais pour les capacités cognitives, globalement).

Et il y a des ennemis qui sont apparus ces dernières années, telle que l’infobésité, la surcharge d’informations. Nous vivons dans un monde surchargé d’informations. Et comme on a un appétit de connaître (et beaucoup moins un appétit d’apprendre !), il y a un enjeu : être peut-être un peu moins curieux et ouvert à la nouveauté pour, de temps en temps, se poser pour transformer cette information approximative en connaissance.

Autre ennemi : notre façon moderne de travailler en faisant plusieurs choses à la fois. Le multitâche empêche de donner du temps de concentration à une seule chose et donc ne permet pas de mémoriser. 

Être attentif pour bien mémoriser

A. de P. : La mémoire et l’attention sont liées. L’attention est la porte d’entrée de la mémoire. On ne peut pas mémoriser si l’on ne prête pas attention. Et donc pour pouvoir être capable d’exercer sa mémoire, il faut être capable de stabiliser son attention. En même temps, lorsqu’on  apprend quelque chose par cœur, on développe sa concentration. Donc, c’est un cercle vertueux. L’un agit sur l’autre. 

Mémoriser et être heureux

A. de P. : N’ayons pas peur de l’oubli. Ce n’est pas le revers de la médaille, c’est une fonction noble de la mémoire !

Maintenant, pour développer une mémoire fiable, n’hésitons pas à faire confiance à notre mémoire et à l’utiliser. C’est parce que l’on a tendance à ne plus du tout s’appuyer sur la mémoire qu’elle devient paresseuse et moins fiable. Et cela peut ensuite, si l’on est atteint d’une maladie neurodégénérative, accélérer le processus de dégradation.
Et puis, pouvoir s’appuyer sur une mémoire fiable rend particulièrement heureux : il n’y a pas de contre-indication !”

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