La sobriété, nouvelle forme d’abondance ? #ReplayWebinar

28 Nov, 2022 | PHILOSOPHIE

Jeudi 17 novembre 2022, lors d’une conférence en ligne, nous avons pu discuter de sobriété – sujet d’actualité s’il en est – avec Pierre d’Elbée, Docteur en philosophie. On vous laisse découvrir la belle matière de cette rencontre !

Sobriété : étymologie et définition

Pierre d’Elbée : “La sobriété est une façon de vivre pour les anciens Grecs. Solon (homme d’État, législateur et poète athénien) avait comme devise “rien de trop”. Il s’agit dont avant tout d’être mesuré ; l’hubris – l’excès – est une faute sévèrement punie par le destin. Cette idée grecque de la mesure passera d’ailleurs dans la philosophie du Moyen-Âge. 

Ébriété et sobriété ont la même étymologie. Le so est un préfixe privatif. Étymologiquement l’homme sobre est la personne qui n’est pas saoule, qui ne tombe pas dans un état d’ébriété.

Pour définir le premier sens de la sobriété, je dirai que c’est une disposition acquise et stable pour réguler nos appétits sensibles, pour rester dans une certaine mesure. Les appétits sensibles laissés à eux-mêmes risquent fort de nous mener à des excès ; or, même chez les Épicuriens, il y a l’idée que, pour avoir le plus grand plaisir, il ne faut jamais céder à l’excès. Et donc il faut l’emprise de l’esprit qui va venir apporter une tempérance. Et ça, ça s’apprend. 

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Sobriété : muscler notre goût de l’effort

Se mettre à une vie sobre exige un effort. Au moins, au début. Et quelquefois même, pour certains d’entre nous, cet effort est grand !

Il s’agit de valider la perte : une part de ce que l’on va vivre ne va pas être comme avant ; ça va être différent. Et cela peut générer une petite (ou grande !) frustration, qui n’est pas bienvenue dans notre société. Nous sommes dans une société qui privilégie précisément le confort facile, rapide, le tout, tout de suite. Or, la sobriété n’est ni facile ni rapide ; on a donc du mal à se lancer dans une vie sobre, qui demande un effort. 

Pourtant, l’effort mérite d’être défendu. Il est absolument indispensable. Les grandes choses dans la vie demandent toujours de l’effort… et accepter la sobriété est un premier pas qui peut nous conduire à faire de grandes choses !

Sobriété : trois fruits à recueillir

Pourquoi se saisir de la sobriété ? La sobriété n’est pas simplement l’acceptation maîtrisée d’un manque.

Son premier fruit est la conquête de soi. Lorsque vous apprenez un métier, par exemple – que vous soyez comptable, ébéniste, plombier ou médecin – cela nécessite l’apprentissage de gestes professionnels spécifiques ; L’acquisition de ces gestes est difficile et suppose un temps long. Et ça, c’est une vraie maîtrise de soi, une conquête de soi-même. La sobriété va dans ce sens-là.

Son deuxième fruit est la créativité : si je ne dispose que de moyens réduits, je vais volontiers recourir à la créativité pour imaginer comment m’en sortir au mieux. Au niveau industriel, des entrepreneurs ont développé le concept d’innovation frugale. Il vient des pays où les ressources sont limitées. Quand on a des ressources limitées, forcément, on réfléchit pour atteindre un objectif de qualité, avec des chemins de traverse. Et la créativité qui débouche sur des solutions inédites, c’est assez jubilatoire !
L’innovation frugale consiste en deux choses :

  • Partir du besoin réel du client. Sortir de la logique concurrentielle du toujours plus pour aller droit au but sans fioritures,
  • Partir des moyens existants, pour les recomposer, les repenser, et aller ainsi dans le sens d’une économie des moyens sans renoncer à l’exigence du client. 

Le troisième fruit est le partage. C’est une vision morale et même sociopolitique de la sobriété. Lorsqu’on est dans le manque, on a tendance à être solidaire les uns et des autres, pour pouvoir répondre aux besoins communs. À défaut de pouvoir y répondre tout seul, je vais jouer la coopération avec les autres pour aboutir à un meilleur résultat ensemble. Le covoiturage en est un exemple bien connu.

Voilà comment et pourquoi la sobriété a des effets vertueux – conquête de soi, imagination, solidarité – ; c’est la raison pour laquelle il faut se saisir de la sobriété comme d’une bonne nouvelle et pas simplement d’un effort.

Sobriété : peut-elle être joyeuse ?

Aristote avait toute une réflexion à ce sujet, disant que l’homme d’excellence (ἀρετή / arété, en grec ancien) est un homme qui ressent un grand plaisir à la différence par exemple de l’homme continent qui se maîtrise tout en souffrant de son effort. L’homme heureux a du plaisir, cette satisfaction d’être maître de lui-même, d’être plus libre, de moins subir les aléas de la vie. Et cette excellence est joyeuse.

Je crois donc qu’il faut insister sur ce qui est positif à vivre à travers cette sobriété. La conquête de soi est déjà un plaisir, une fierté. Il y a aussi un plaisir jubilatoire à innover, à trouver la bonne solution alors que je manque de moyens. C’est très agréable, voire amusant. Il y a aussi cette dimension du partage, du plaisir à être ensemble pour aborder une situation commune, pas toujours facile mais, à partir du moment où elle est partagée, elle devient plus acceptable, voire heureuse.

Sobriété : comment s’y mettre ?

Je considère qu’il est important de se mettre à la sobriété. Mon moteur personnel n’est pas la culpabilité – contrairement à ce qu’on entend souvent – mais bien plutôt la solidarité ; ça positive la problématique et on peut donc l’aborder beaucoup plus sereinement.

Donc, par quoi commencer ? Peut-être par des gestes tout simples, concrets, basiques : réduire sa consommation d’énergie, privilégier les mobilités douces quand c’est possible, éviter le gaspillage alimentaire, mieux gérer son réfrigérateur – à ce sujet, savez-vous combien de légumes achetés sont jetés ? 30 %… autant de fruits et légumes qui ne servent à rien !

Il faut commencer par ces gestes simples et humbles qui peuvent devenir une habitude, une éducation que l’on transmet, une culture, des gestes partagés. Aristote rappelle que l’on devient excellent par répétition. Il faut commencer, poser un premier acte. Et si je le reproduis encore et encore, le geste finit par devenir une habitude ; et cette habitude est fructueuse.

Sobriété : pourquoi s’y mettre ?

Beaucoup disent : “Les ennemis de la sobriété, ce sont les grandes entreprises, les plus puissants et les plus riches ; C’est là que réside le problème alors ne nous embêtez pas avec la sobriété.”

D’un côté, ces personnes ont raison : l’argument de l’efficacité n’est pas le bon. Mais je crois qu’il y a d’autres arguments valables. J’adhère personnellement à l’image du colibri de la légende amérindienne, popularisée en France par Pierre Rabhi.

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »

Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »

On est là sur la question de l’exemplarité. J’y crois beaucoup, d’autant plus que je ne cesse d’accompagner des communautés où le management est très important. Un responsable qui adopte un bon comportement facilite grandement la vie des autres. Et il devient contagieux. De la même manière, chacun d’entre nous, à partir du moment où il pose un acte de sobriété, interroge les autres, et les influence. La force du symbolique est plus importante qu’on ne le croit. Ce n’est pas une force effective, quantitative, mesurable. C’est une force exemplaire, qualitative, symbolique. Cette force est réelle car, multipliée par 1, 2, 10,100 ou 100,000, elle finit par peser.

Une micro responsabilité partagée ne pourrait-elle pas changer le monde ? Qu’en penses-tu, sobre ami ?”


Découvrez le webinar d’octobre 2022 : Comment écouter activement ? #ReplayWebinar avec Valérie Boulanger, responsable d’un service d’écoute.

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