La biodiversité comme bien commun (Extrait 2)

13 Fév, 2015 | Gouvernance démocratique, NATURE & ENVIRONNEMENT

Biodiversité et Long Terme : un défi pour la gouvernance

La biodiversité comme bien commun

La prise en charge de la biodiversité s’organise également autour de formes d’engagement direct de la société qui fondées sur un dessein commun. Ainsi, par exemple, Jean-Stéphane Devisse (1) évoque deux exemples d’initiatives territoriales fondées sur l’inscription de la dimension de préservation de la biodiversité et du changement climatique dans un cadre d’action plus large, prenant en compte le mode de vie des acteurs. Le premier de ces “projets de proximité” est mené en Afrique de l’Ouest avec des communautés locales dont l’objectif est de renforcer les écosystèmes de mangrove pour lutter contre l’érosion du littoral et les inondations. Le projet intègre une dimension “d’horizon de temps lointain” et d’implication des populations concernées qui s’engagent dans la replantation des palétuviers comme élément de “bien vivre” tout en assurant dans le même temps “les conditions d’une lutte contre la vulnérabilité” de ces écosystèmes. Jean-Stéphane Devisse indique que “la valeur utilitaire est présente mais n’efface pas les autres enjeux. On produit du bois pour le feu, on met en place une nurserie pour les crustacés, le retour d’une nature chatoyante est bon pour le tourisme, etc. Ces exemples d’externalités positives ne sont pas exhaustifs”. Ils témoignent d’un usage bien compris d’une ressource naturelle.

Le second projet se situe en Nouvelle Calédonie est vise “à la préservation d’un lieu tabou pour les communautés canaques dans le lagon calédonien”. Les conséquences du changement climatique sur l’extraction du corail dégradent la puissance de  ces tabous. Le projet a donc consisté “à effectuer un travail avec les communautés canaques pour repeupler ces zones tabous de certaines espèces comme le bénitier”. Ce projet a donc mobilisé les communautés locales autour d’un projet porteur de sens pour elles, s’appuyant sur le caractère symbolique des tabous et leur attachement culturel et spirituel à ces zones.

On peut également observer différentes formes de mobilisation sociétales et d’initiatives à différents niveaux qui s’inscrivent à leur façon dans une perspective patrimoniale. Gilles BOEUF(2) évoque ainsi la création du Centre Européen d’Excellence en Biomimétisme de Senlis (CEEBIOS)(3), crée sur l’ancien site militaire du quartier Ordener. Il s’agit dans cette initiative d’associer développement économique et prise en compte de la biodiversité à partir du développement d’une filière de biomimétisme(4). Ce centre vise à favoriser les échanges et la coopération pluri-acteurs (des scientifiques, des équipes de recherche & développement de grands groupes industriels, des ingénieurs, des start-ups spécialisées, des enseignants et des étudiants). On peut encore citer plusieurs initiatives territoriales innovantes engagées par des collectivités territoriales, sortant des cadres conventionnels de l’action publique, et ouvrant la voie à une implication directe des citoyens dans la prise en charge de la biodiversité, avec notamment la distribution gratuite de graines aux citoyens par les collectivités locales dans l’objectif de développer la biodiversité en ville “pour encourager les citadins à investir leur quartier […] et parce que la biodiversité est aussi leur affaire”(5).

Ces différents exemples soulignent l’intérêt d’une transition vers des formes de gouvernance fondées sur des paradigmes différents de celui d’une prise en charge de la biodiversité comme intérêt général porté par l’Etat. Une gouvernance des communs implique l’existence d’une communauté patrimoniale autour de l’idée que : “ce qui est bon pour l’ensemble est bon pour moi“. Elle se situe entre la propriété privée (fondée sur l’exclusivité) et la domanialité publique. Ces formes de gouvernance suscitent de nouvelles analyses institutionnelles et, partant, de nouveaux modes de gouvernance qui diffèrent des formes de coordination par l’Etat ou par le marché (et leurs sont parfois complémentaires). Les biens communs, dans la théorie, sont des « pools » de ressources accessibles ou construites, associés à des formes de gouvernance qui permettent à leurs titulaires d’élaborer et d’appliquer des règles d’usage. Ils ne sont pas des biens publics, pour lesquels la gouvernance serait assurée par les Etats ou dans le cadre de conventions multilatérales. Ils se distinguent aussi de la notion d’intérêt général, dont la définition et l’appréciation dépendraient principalement du législateur ou du juge. Mais le commun recouvre autant l’idée de “ce qui appartient à plusieurs“ que celle de “prendre en charge avec“ (6).

Une gouvernance des communs doit donc conjuguer ces deux dimensions. La perspective d’une gouvernance  intergénérationnelle interroge donc aussi bien la qualité de la relation de chaque personne à son environnement (et la qualité intrinsèque de cet environnement) que la qualité des relations interhumaines et intergénérationnelles.

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Gilles Hériard Dubreuil, Julien Dewoghélaëre, Mutadis

Extrait de “Biodiversité et Long Terme : un défi pour la gouvernance”
Vraiment durable, revue interdisciplinaire du développement durable


 (1) DEWISSE Jean Stéphane, entretien avec les auteurs, voir aussi in “Regards croisés sur la gouvernance du très long terme“, opus cité
(2) BOEUF Gilles, entretien avec les auteurs, voir également in “Regards croisés sur la gouvernance du très long terme“, opus cité
(3) Voir http://ceebios.com
 (4) Selon l’étude de 2012 du CGDD, “Étude sur la contribution du biomimétisme à la transition vers une économie verte en France : état des lieux, potentiel, leviers” ; Études et documents – Numéro 72 – Octobre 2012, le biomimétisme désigne “le transfert et l’application de matériaux, de formes, de processus et de propriétés remarquables observées à différentes échelles du vivant, vers des activités humaines”. Il s’agit d’une ingénierie inspirée du vivant qui cherche à tirer parti des solutions et inventions produites par la nature (les écosystèmes, les services écosystémiques).
 (5) De telles initiatives se développent un peu partout en France. La citation est extraite de la présentation internet de l’initiative de la mairie du 18ème arrondissement de Paris en partenariat avec l’association “Laissons-pousser”, voir http://www.mairie18.paris.fr/mairie18/jsp/site/Portal.jsp?document_id=18323&portlet_id=3562.
 (6) Comme le soulignent Hervé Brédif et Didier Christin, « La construction du commun dans la prise en charge des problèmes environnementaux : menace ou opportunité pour la démocratie ? », VertigO, La revue en sciences de l’environnement, Vol. 19, mai 2009.

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