À l’heure où le lien social se fragilise, Barbara Watiez, formatrice et facilitatrice de liens, explique pourquoi se relier, rencontrer et dialoguer est devenu vital, pour nos vies personnelles comme pour la santé de la société et de la démocratie.
Une évidence devenue fragile : nous sommes des êtres de relation
L’espèce humaine est une espèce psychosociale.
Spontanément, nous sommes faits pour entrer en lien, pour nous relier, pour coopérer. Ce n’est pas un effort, c’est un élan. Et pourtant, aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, se sentir relié aux autres n’a plus rien d’évident.
Si la question du lien social prend autant de place dans les débats contemporains, c’est peut-être parce qu’elle est devenue fragile. Comme un muscle qu’on n’utilise plus assez. Il y a quelque chose qui manque – et donc quelque chose à regarder, à revaloriser, à réapprendre.
Un contexte sociétal qui fragilise le lien
Nous n’avons pas perdu l’envie de lien. Nous avons perdu les conditions qui le rendent simple.
Les raisons de cette fragilisation sont avant tout culturelles.
La valorisation extrême de la réussite individuelle a installé une culture de la compétition, de la comparaison, parfois de la méfiance. À cela s’ajoute la place prise par les réseaux sociaux et les médias, qui tendent à polariser les idées et les opinions, et avec elles, la société.
Nous vivons de plus en plus côte à côte, mais de moins en moins ensemble.
Et lorsque la polarisation augmente, la confiance et la cohésion diminuent. Le lien devient alors plus coûteux, plus risqué, plus incertain.
Pourquoi le lien est vital
Se relier, c’est se sentir pleinement humain.
Recréer du lien est vital à plusieurs niveaux.
Vital pour l’individu : entrer en lien nourrit notre humanité. Cela nous fait sentir vivants, reconnus, reliés à quelque chose de plus grand que nous. Sans lien, quelque chose s’assèche.
Vital pour la société : le lien social ne se limite pas aux liens forts : la famille, les amis, les collègues choisis. Ces liens sont précieux, mais ils ont un biais : ils nous ressemblent. Ils peuvent renforcer nos silos. La société tient aussi grâce aux liens faibles : les voisins, les inconnus, les personnes avec qui nous ne sommes pas d’accord.
Faire société, ce n’est pas vivre uniquement avec ceux qui pensent comme nous. C’est apprendre à cohabiter avec la différence.
Vital pour la démocratie et pour affronter les crises à venir : sans lien, pas de démocratie vivante.
Sans confiance relationnelle, difficile de traverser les crises. Les travaux de biologistes comme Pablo Servigne le montrent : ce sont toujours les groupes où la qualité de relation est forte qui traversent le mieux les périodes de chaos.
Préparer le lien « à froid », c’est un pari sur l’avenir. Un pari de sécurité collective.
Lien et rencontre : une nuance essentielle
Le lien relie. La rencontre transforme.
Il y a des liens que nous n’avons pas choisis : la famille, les collègues, les voisins. Ils existent, qu’on le veuille ou non.
La rencontre, elle, relève du choix.
Choisir d’aller vers l’autre. Choisir de se rendre disponible.
Charles Pépin, dans La rencontre, rappelle que la véritable rencontre laisse une trace. Il y a un avant et un après.
Quelque chose a bougé. En moi. Dans mon regard. Dans ma compréhension du monde.
La rencontre, c’est un agrandissement de soi.
Et cette rencontre n’est pas réservée aux moments extraordinaires. Elle commence souvent par une disposition intérieure.
Se rendre disponible à la rencontre
On ne rencontre pas quelqu’un en cherchant à briller ou à imposer ses vues, mais en cherchant à comprendre, à découvrir.
Aller à la rencontre de l’autre demande :
- de la curiosité sincère,
- une écoute empathique, dénuée autant que possible de jugement,
- la capacité à se laisser déplacer,
Rencontrer, ce n’est pas utiliser l’échange pour dire ce que l’on sait.
C’est accepter de découvrir ce que l’on ignore.
Et cela s’apprend.
Les freins à la rencontre
La peur est parfois plus forte que l’envie, mais elle n’a pas le dernier mot !
Il y a des freins très humains :
- la peur du jugement,
- la peur de l’inconnu,
- l’incertitude de l’accueil.
Nous vivons entourés d’outils qui nous permettent d’éviter la relation : smartphones, écouteurs, livres ouverts comme des boucliers sociaux.
Pourtant, la rencontre commence souvent par des signaux simples : lever les yeux, ouvrir le regard, sourire.
Et accepter une chose incontournable : parler de soi.
Des compétences à cultiver
Aller à la rencontre de l’autre n’est pas un trait de caractère. C’est une compétence.
Les travaux d’Étienne Thouvenot, notamment autour de la Fresque de la rencontre, montrent que la rencontre repose sur :
- une disponibilité physique,
- des signaux relationnels clairs,
- une posture d’écoute, curiosité de l’altérité,
- une capacité à créer un espace sécurisé,
Ce ne sont pas des dons innés.
Ce sont des compétences relationnelles, qui peuvent se développer.
Des initiatives qui réparent le tissu social
Si le lien est en difficulté, alors le réparer devient un acte politique.
École de la convivialité, Social bar, dîners entre inconnus, Fresque de la rencontre, Controverses d’Utilité publique (Institut des futurs Souhaitables), Convers’action du Courant pour une écologie humaine…
Les initiatives se multiplient.
Elles partent toutes du même constat : nous manquons d’espaces pour nous parler vraiment, surtout quand nous ne sommes pas d’accord.
Créer ces espaces, c’est dépolariser, remettre de la nuance, du dialogue, de l’écoute.
C’est refaire société, concrètement.
Un pari sur la vie
Le lien ne règle pas tout, mais sans lien, rien ne tient.
Recréer du lien, ce n’est pas être naïf.
C’est être lucide.
Lucide sur notre nature humaine.
Lucide sur les défis à venir.
Lucide sur le fait que la vie se maintient par la relation.
Pour aujourd’hui : un présent plus vivant, plus joyeux, plus incarné.
Pour demain : une humanité plus résiliente.
Fondamentalement, le lien est peut-être cela : ce qui maintient la vie en vie.
Pour aller plus loin
Bibliographie
👉 L’entraide, l’autre loi de la jungle – Pablo Servigne et Gauthier Chapelle
Tous deux biologistes de formation, les auteurs nous racontent comment le vivant coopère et s’entraide par nature
pour surmonter les situations de crise et les difficultés et en explorent les mécanismes, ainsi que ceux du groupe. Petit
ouvrage « qui fait du bien », qui propose autant de clefs de lecture (de nos comportements et de nos organisations)
que d’astuces et de méthodes pour vivifier les dynamiques de groupe et d’entraide.
👉 Le réseau des tempêtes – Pablo Servigne
Encore lui ! Ce petit livre sorti il y a quelques mois explore la nécessité de se relier, ce que cela signifie et comment
nous pouvons faire pour nous relier en vue d’affronter les « tempêtes ». Précis et généreux.
👉 Faire confiance à la confiance – Mark Hunyadi
La confiance : c’est à la fois la condition et le bénéfice du lien. Mais qu’est-ce que la confiance, au fond ? Dans ce petit
essai, Mark Hunyadi, philosophe, raconte l’histoire de l’évolution de la compréhension de ce mot – et sa mise en
pratique – en observant les impacts sur l’organisation de la société.
👉 La rencontre – Charles Pépin
Petit essai sur la nature et les conditions de la rencontre. Passionnant, et qui pousse à honorer et remercier les
grandes rencontres de notre vie !
👉 La ville relationnelle – Les sept figures – Sonia Lavadinho – Pascal le Brun-Cordier – Yves Winkin
Notre environnement facilite ou non les rencontres sur un territoire donné. Si nous héritons d’une ville fonctionnelle,
dédiée d’abord à faciliter nos déplacements et garantissant l’optimisation de notre temps : cela est forcément au
détriment du lien en ville. A quoi ressemble une ville qui permet et favorise la relation ? C’est ce qu’explore ce tout
petit essai, qui met aussi le doigt sur les liens entre structuration de l’espace, notre relation au temps et la relation
tout court ! Ala veille des élections municipales, cela nous permet de nous questionner sur la ville désirable, et
d’initier des échanges avec les acteurs du territoire urbain.
👉 Antidote au culte de la performance – La Robustesse du vivant – Olivier Hamant
Parce que se relier, prendre le temps de soigner nos liens : cela prend du temps, tatonne et par bien des aspects est
antinomique de la dynamique de performance. A mettre en regard de Coopérer et se faire confiance d’Eloi Laurent.
👉 Faire Tribu – Hugo Paul
Incroyable aventure : Hugo est parti à 25 ans sac au dos pour vivre et comprendre ce qui fait la colle du collectif en
vivant dans diverses communautés pendant 1 an. On repart de cette lecture avec de la clarté sur les essentiels d’une
communauté qui fonctionne, et aussi beaucoup d’astuces à mettre en place dans nos vies amicales, territoriales et
familiales pour y favoriser la rencontre.
https://www.fabriquespinoza.org/prod_observatoire/la-societe-des-liens/
👉 The good life : ce que nous apprend la plus longue étude scientifique sur le bonheur et la santé –
Robert Waldinger et Marc Schulz
👉 La fin de la conversation – David Lebreton
Des jeux :
👍 Oser les rencontres authentiques : oserlesrencontresauthentiques.com
👍 9 nuances d’humanité : neufnuances.fr
👍 DiMoi : dimoijeux.com
👍 2 mn de bonheur : 2minutesdebonheur.com
👍 20 questions to the world : 20questionstotheworld.com
Des formats et des initiatives
☀️ Faut qu’on parle : fautquonparle.org
☀️ La fresque de la rencontre : fresquedelarencontre.org
☀️ La place du dialogue : placedudialogue.com
☀️ La fédération française pour les liens sociaux : nosliens.fr
☀️ Services utopistes : serviceutopiste.org
☀️ Social Bar : social-bar.org
☀️ Le réseau des tempêtes : lereseaudestempetes.org
☀️ Controverse d’utilité publique – Institut des futurs souhaitables : futurs-
souhaitables.org
☀️ Convers’actions : ecologiehumaine.eu/conversaction-decouvrez-la-saveur-dune-
conversation-en-profondeur
☀️ La maison de la conversation « un lieu qui fait du lien » à Paris 18ème : maisondelaconversation.org
De nombreux Tiers-lieux mettent le lien au cœur de leurs modèles et valeurs. Et si vous rencontriez ceux qui sont à côté de chez vous ?
Et beaucoup d’initiatives et applis qui proposent pour les jeunes générations particulièrement des remèdes à la surconnexion digitale qui va de pair avec la difficulté à rencontrer de nouvelles personnes.
