Moynaq, en mer d’Aral

22 Nov, 2016 | Non classé


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Emmanuel a récemment passé ses vacances en Asie Centrale. Sur le chemin, il a découvert la ville de Moynaq et a été sidéré par son histoire, qu’il nous raconte ci-dessous. Cette catastrophe écologique et humaine ne peut nous laisser indifférent vis-à-vis de nos modes de consommation…

 

Moynaq et ses plages de sable fin 

Serait-ce une nouvelle station balnéaire à la mode avec ses DJ, ses bars branchés, ses cocktails et sa world food fusion ?… pas vraiment… Moynaq, modeste ville de 20 000 habitants, est située dans la région du Karakalpakistan, province au nord ouest de l’Ouzbékistan. Connu pour être sur la route de la Soie, destination culturelle, avec les cités de Boukhara, Khiva et Samarcande rendue célèbre – entre autres – par le roman éponyme d’Amin Maaloouf, l’Ouzbékistan n’est pas vraiment une destination connue pour le farniente. Et pour cause, le climat continental qui y règne laisse peu de place à la tiédeur, hivers rudes, étés caniculaires. Moynaq présente également la particularité d’être à 200km du rivage le plus proche… pas banal pour un bord de mer. Et pourtant dans les années 1920, la Russie de Lénine, en proie à la disette, mobilisa les pêcheurs locaux et les expéditions de poissons de Moynaq sauvèrent de nombreuses vies. Et oui : Moynaq est un ancien port de la mer d’Aral, plus connu aujourd’hui pour ses cimetières de bateaux que pour ses pontons. Si la conserverie de poisson n’a fermé définitivement ses portes que dans les années 2000, cela faisait déjà quelques années qu’elle ne fonctionnait qu’avec des poissons importés. La faute au coton, culture gourmande en eau, nécessitant une irrigation qui détourne d’importants volumes d’eau des fleuves Amou Daria (l’Oxus des grecs) et Syr Daria (qui fut la limite septentrionale de l’empire d’Alexandre le Grand) qui alimentent tous deux la mer d’Aral.

Depuis les années 60, la mer d’Aral a perdu les 2/3 de son volume d’eau, la moitié de sa surface, sa salinité s’est accrue et les poissons ont disparu.
Pour compléter le tableau, les terres “gagnées” par l’assèchement partiel de la mer sont salées et polluées par les pesticides et, de ce fait, non cultivables.
Comment en est on arrivé là ?

 

L’histoire du coton en Ouzbékistan ne date pas d’hier
Comment un pays connu pour compter parmi les cités les plus fameuses de la route de la soie s’est retrouvé à cultiver le coton ? Si le coton fut d’abord cultivé en Inde, sa culture est mentionnée par Hérodote, il s’est répandu dans le monde surtout à partir du XVIII siècle du fait de la demande européenne croissante pour ces tissus moins coûteux et plus faciles à colorer que la soie. Dans les années 1850, les USA, en particulier, grâce à la main d’oeuvre issue de l’esclavage, représentent jusqu’à 80% de la production mondiale de coton, principale culture d’exportation du pays qui alimente alors les industries textiles européennes. La guerre de sécession et la flambée des prix qui s’ensuit, du fait du blocus organisé par les états du nord, vont encourager la production de coton dans d’autres régions du globe. La Russie, qui contrôle alors le Turkestan (dont fait partie l’actuel Ouzbékistan), va y développer cette culture afin d’approvisionner son industrie textile. Plus tard dans les années 1950 et 60, l’URSS et le COMECON feront de l’Ouzbékistan le fournisseur de coton du bloc soviétique, le COMECON visant la planification et la spécialisation des industries nationales des pays communistes afin de rendre le bloc communiste autosuffisant : à Cuba, la canne à sucre, à l’Ouzbékistan le coton… Tout le pays s’y est mis, les étudiants et leurs professeurs étant mobilisés tous les ans pour la récolte à l’automne afin d’essayer d’atteindre l’objectif de 6 millions de tonnes par an … avec les conséquences que l’on sait sur la mer d’Aral.
Aujourd’hui, l’état ouzbek encouragerait la polyculture et les cultures moins gourmandes en eau ce qui aurait eu pour effet de stopper le déclin de la mer d’Aral.
Avec près d’un million de tonnes de coton, l’Ouzbékistan reste aujourd’hui le 6ème producteur mondial et l’or blanc est toujours une des principales ressources du pays.

 

Quels modestes enseignements tirer de cette catastrophe ?
Il serait tentant de faire le procès de la planification soviétique fixant des objectifs de façon centralisée sans se soucier des dégâts écologiques : échec d’une agriculture collectiviste où il s’agit de remplir les quotas et non pas de laisser des agriculteurs libres de produire en fonction des qualités des sols, du climat etc.
D’autres diraient que c’est la démesure qui est à l’origine de cette catastrophe comme souvent dans les catastrophes écologiques, et que le prix à payer pour l’environnement n’était pas intégré au coût de production…
Mais pour être franc, quand on arrive à Moynaq écrasé par la chaleur en plein mois d’Août, ces carcasses de bateaux apparaissent comme des cicatrices et on ne pense pas à tout ça… Se dire que la mer était là il n’y a pas si longtemps, on a bien de la peine à le concevoir.
Un petit musée retrace l’histoire de cette ville que l’on imagine vivant dans une douce tranquillité autrefois avec ses pêcheurs et son port, et qui a maintenant des allures tristes de ville fantôme de far west… On réalise alors ce qu’a été capable de produire un système productiviste un peu fou en une période aussi courte que l’échelle d’une vie humaine.
En rentrant de Moynaq, j’ai trouvé cette phrase qui m’a apporté quelque espérance dans “l’homme qui plantait des arbres” de Giono : “quand je réfléchis qu’un homme seul, réduit à se simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que malgré tout la condition humaine est admirable”. Le contexte est bien sur très différent de celui que décrit Giono dans son roman, mais on peut espérer que les ouzbeks sauront trouver des solutions pour rendre fertiles ces terres et petit à petit rétablir la situation de la mer d’Aral.

 

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Pour aller plus loin : vidéo documentaire sur la mer d’Aral https://www.arte.tv/fr/videos/073405-001-A/points-de-reperes/

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