S’enraciner dans une culture, pour un monde de paix

9 Déc, 2016 | Non classé

Comment accueillir au mieux des personnes migrantes ou immigrées ? Comment gérer la confrontation de différentes cultures ? Comment réussir à vivre ensemble, en paix, dans le respect de l’autre ? Dans le cadre du parcours Cap 360°, Marie, consultante en interculturalité, nous ouvre des perspectives.

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Marie : « Geert Hofstede, psychologue néerlandais, spécialisé en psychologie sociale et professeur honoraire d’anthropologie et de gestion à l’Université de Maastricht, a beaucoup écrit, il y a une cinquantaine d’années, sur l’interculturalité. Il explique qu’on est tous porteur d’une sorte de pyramide invisible. Au premier étage se situe la nature humaine, partagée par tous. Au deuxième étage se trouve la culture, partagée par une communauté. Au troisième étage, c’est la personnalité unique et l’histoire personnelle de chacun qui apparaît.

Je m’occupe particulièrement des personnes issues de l’immigration, soit des personnes immigrées soit des personnes migrantes. Généralement, ces personnes sont porteuses d’une culture propre et sont appelées à vivre sur le territoire français.

Comment faire pour qu’elles puissent s’adapter au nouveau contexte dans lequel elles évoluent et vivre en paix avec leurs nouveaux concitoyens ?

 

Découvrir une culture via nos 5 sens

Il y a quelques années, je travaillais pour des femmes issues de l’immigration qui vivaient en France depuis environ 25 ans, dans une banlieue du 93. Le groupe de femmes avec lequel j’étais en lien comportait 18 nationalités différentes et prenaient des cours de français langue étrangère. Chaque nationalité habitait dans une tour spécifique et ne communiquais pas spécifiquement entre elles.

En conséquence, l’élément fédérateur de cette communauté était la culture française, ainsi que leur propre histoire.

Pour leur faire découvrir cette culture française, nous avons développé une méthodologie autour des 5 sens. Nous avons donc amené notre groupe d’une soixantaine de femmes dans un village de Picardie, à Saint-Valéry-sur-Somme, avec quelques accompagnateurs. Et au lieu de leur expliquer de façon rationnelle, cartésienne, l’histoire de France, l’environnement, la géographie, etc., on les a fait rentrer dans une dynamique de découverte sensorielle de l’environnement et de la région. Partir du corps, des sensations, de la beauté, pour arriver à une certaine compréhension intellectuelle de la culture présentée. Par exemple : la couleur des pierres dans l’architecture, comment sont fait les maisons, comment était construite l’église, qu’est-ce que ça voulait dire. Et les femmes remarquaient les diverses spécificités de chaque bâtiment, les couleurs automnales, les comportements des habitants, la nourriture vendues sur place. Les 5 sens permettent de mieux écouter, regarder, comprendre mes voisins, mon environnement et le pays dans lequel j’habite. A partir de là, on a pu raconter l’histoire de ce pays dans lequel elles vivaient ; transmise de façon charnelle, incarnée, il était beaucoup plus facile pour elles de se l’approprier.

Ces personnes migrantes ou émigrées sont généralement tiraillées entre leur culture d’origine et la culture dans laquelle elles évoluent. Il fallait donc faire en sorte qu’elles puissent également conscientiser et partager entre elles leurs propres codes culturels et leurs histoires, après avoir accueilli la culture française.

Mouvement de balancier délicat entre le fait de s’approprier ses racines, son histoire et être en capacité de la transmettre à d’autres, tout en accueillant et en aimant la culture du pays accueillant…

 

Je + tu = nous

Pour moi, la culture est un ensemble de paradigmes qui comprend l’histoire, les arts, le folklore, la nourriture, les religions, les philosophies et tous les comportements culturels qui peuvent découler de l’évolution de l’histoire et des hommes aux fils de siècle.

Lorsque l’on travaille sur les problématiques interculturelles, on travaille spécifiquement sur la question du ‘je’ qui rencontre un ‘tu’ pour faire un ‘nous’. C’est toute la question de l’altérité. Lorsque je veux participer à une communauté pacifique pour construire des projets spécifiques, il faut que mon ‘je’ soit parfaitement identifié, connu, enraciné et que je travaille sur lui. Voilà pourquoi je propose régulièrement aux travailleurs sociaux de réaliser des tests de personnalité, afin d’être en capacité de s’ouvrir à l’altérité.

Pour être à même d’échanger avec l’autre dans la paix, je dois être pleinement conscient du patrimoine culturel que je porte.

Je reviens d’un tour du monde où j’ai mené une centaine d’interviews interculturelles dans 10 pays. Je posais notamment cette question : « quelle est votre relation à la nature, à l’environnement ? ». J’ai eu des réponses très intéressantes. Dans la question de l’accueil des personnes immigrées ou des personnes migrantes, c’est une question qui peut s’avérer importante d’un point de vue pratico-pratique : dans une communauté, dans une maison d’accueil, je peux recevoir des personnes qui jettent leurs déchets n’importe où, parce qu’elles n’ont reçu aucune éducation à l’environnement. Si je suis consciente de cela, c’est un point sur lequel je peux les accompagner en leur expliquant que la culture française permet tel ou tel comportement vis-à-vis de la nature et de l’environnement.

Même topo sur les questions de communication orale ou écrite. Certains pays ne fonctionnent qu’à l’oralité. La France, elle, est un pays qui a une profonde culture de l’écrit. Cela peut être un véritable parcours du combattant pour certaines personnes migrantes concernant notamment les questions administratives.

Dernier exemple : l’heure. On a des cultures dans lesquelles la ponctualité est extrêmement importante et d’autres où le temps est beaucoup plus flexible et fluide. Si l’on applique cela à nouveau aux démarches administratives, les personnes migrantes baignées dans leurs codes culturels peuvent arriver à 18h si vous leur donnez un RDV à 17h ou à 15h quand le RDV est fixé à l’heure d’après.

Si ces codes culturels sont conscientisés, alors, les travailleurs sociaux vont pouvoir sensibiliser, enraciner les personnes migrantes dans les codes culturels français et fluidifier leurs interactions avec leur pays d’accueil.

Plus je suis consciente de mon propre patrimoine culturel, plus je suis en capacité d’être relié à l’autre, de discuter avec l’autre et de participer un tant soit peu à la vie de la société. »

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