Pierre-Yves Gomez, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine : “Le mouvement des Gilets jaunes est l’expression des invisibles qui veulent donner à voir leur insécurité dans la vie réelle aux sermonneurs et aux technocrates déconnectés de l’économie concrète.”

Manifestation du mouvement des gilets jaunes de la FFMC, à la place de la République, à Belfort, le 17 novembre 2018.
Pourquoi porte-t-on un gilet jaune ? Pour se rendre visible à ceux qui circulent dans la nuit et pourraient ne pas nous voir, pour leur réclamer donc la vigilance qu’exigent notre sécurité et peut-être notre survie. Ainsi le cycliste prudent le revêt comme l’automobiliste en panne et même, je l’ai vu il y a peu en centre-ville, des ribambelles d’écoliers en sortie collective. Le gilet jaune n’est pas un gilet pare-balle. Il n’est protecteur que dans l’exacte mesure où il attire sur soi l’attention bienveillante, en signalant cette évidence matérielle : attention, j’existe !
La vie banalement matérielle
Je ne sais pas si le choix de ce symbole a été mûrement réfléchi par les promoteurs du mouvement social qui porte désormais ce nom. À vrai dire, j’en doute, parce que ce mouvement n’est ni réfléchi, ni promu par quiconque et c’est ce qui en fait sa puissance étonnante et son intérêt. Il est spontané, il se développe sans plan précis. Il pourra s’arrêter puis reprendre, sous une autre forme, obstiné et insaisissable. Il veut dire quelque chose, mais quoi ? Pas la revendication victimaire d’une minorité, pas de mise en scène ludique de la différence façon gay pride, aucune utopie révolutionnaire pour la société façon Mai 68, rien d’autre que la manifestation monochrome des gens ordinaires et de leurs difficultés d’exister. La réalité de la vie banalement matérielle qui cherche à s’exprimer, voilà qui a de quoi déranger les experts en abstraction et en bonheur public.
L’augmentation annoncée de la taxe sur le diesel a agi comme un détonateur. Rien de plus classique que la grogne face à une taxe, pensent les politiques… Laissons donc le murmure s’éteindre. Mais cette taxe est un symbole. Une enquête de l’Argus montre qu’en 2017, plus de 98% des véhicules utilitaires roulaient au diesel. De la part des constructeurs, l’offre de véhicules utilitaires à essence n’a représentée que 2,7% des immatriculations. Pas d’offre, pas de choix : la quasi-totalité des milliers d’artisans, de commerçants ou de livreurs sont obligés d’utiliser ce carburant. Telle est la réalité matérielle. La transformation du parc automobile prendra, pour le moins, une décennie. C’est une autre réalité matérielle. Comment le dire aux gouvernants qui hier encore encourageaient par une fiscalité avantageuse ce même diesel désormais vilipendé ?
Ordres et contre-ordres
La vie concrète de millions de gens est ainsi soumise aux aléas des ordres et des contre-ordres de ceux qui prescrivent quels doivent être les comportements rationnels et les idées correctes — quitte à changer régulièrement leur opinion sur ces choses.
Les gouvernants publics ou privés, d’abord, qui concentrent les hôpitaux ou les tribunaux dans des métropoles puis taxent les véhicules indispensables pour s’y rendre ; qui n’investissent pas dans les transports collectifs « non rentables » puis déplorent l’accroissement de l’usage des voitures ; qui considèrent le travail comme une variable d’ajustement et se désolent du désengagement des travailleurs ; qui imposent la présence d’un alcootest dans chaque voiture, avant de s’apercevoir qu’on ne peut pas en produire suffisamment ; qui s’enthousiasment de la digitalisation du commerce dans « la startup nation », et ne voient pas venir l’explosion des livraisons à domicile…
Le diktat des sermonneurs
Viennent ensuite, les gardes rouges autoproclamés de la morale citoyenne, groupuscules militants, idéologues de tous poils. Par des prêches amplifiés dans les médias traditionnels en mal de sensationnel, ils transforment le moindre boucher en assassin sanguinaire, l’agriculteur en empoisonneur subventionné et le banlieusard en pollueur égoïste. Si vous êtes végétarien, cultivateur d’épeautre bio ou utilisateur de trottinette, ces réquisitoires vous paraissent être l’expression indiscutable de votre supériorité morale. Mais si vous êtes boucher, agriculteur ou banlieusard, non seulement vous êtes humilié, mais pire : vous êtes coincé. Coincé dans votre humiliation. Votre vie quotidienne ne peut pas s’adapter instantanément aux tâtonnements des gouvernants et au diktat des sermonneurs. Ils vous nient donc. Vous devenez invisible. Cela peut un jour toucher tout un chacun, infirmière, retraité, instituteur, agent territorial ou cadre d’entreprise… La vie réelle ne correspond pas avec la vie prescrite : qu’elle se cache donc.
Plus la gouvernance technocratique triomphe, plus les médias organisent le spectacle du politiquement correct et plus les corps intermédiaires sont affaiblis, et avec eux, les lieux de parole et de valorisation des invisibles. Alors, tout d’un coup, sans qu’on s’y attende, le sentiment d’insécurité politique des gens ordinaires ressemble à celui de l’automobiliste en panne au bord de la route : attention, j’existe ! Je mets mon gilet jaune ! C’était à la fois prévisible et inattendu : d’où la panique des politiques.
La protestation des invisibles
Depuis quelques semaines, on essaie de ranger ce mouvement social dans les cases d’un vieil échiquier politique : on veut y déceler la révolte de la campagne contre la ville, des déclassés contre les bénéficiaires de la globalisation, des périphériques contre les urbains, des beaufs contre les bobos, des fascistes contre les démocrates. Au mieux, un remake d’une lutte des classes nouveau genre, qui opposerait les prolétaires bouseux aux nantis citadins. Au pire, la résistance navrante des réactionnaires ignorants à l’économie démocratique et mondialisée.Toujours une condescendance implicite ou affichée pour les invisibles qui devraient le rester. On exhibe des cartes de France qui prouvent, couleurs à l’appui, combien les pauvres se concentrent loin des villes, et les villes loin des pauvres. On oublie qu’on ne vit dans des cartes mais dans des territoires. Et que les SDF sont légions au cœur des villes.
Regardons la réalité simplement puisqu’elle est simple : le mouvement des Gilets jaunes ne s’oppose à rien. Il s’exprime. La diversité hétéroclite de ses revendications en est le témoignage. C’est la protestation spontanée des invisibles pour percer les écrans politiques et médiatiques qui occultent leur vie matérielle, ce qui les inspire ou les entrave, ce qui fait leur place dans la société, leur travail, leur désir de bien faire, leur appartenance à une nation qui, bon gré, mal gré, les a enfantés.
Ce n’est finalement pas grand chose que demandent ces Gilets jaunes : juste de savoir qu’on les prend aussi en considération quand on décide. Pas de revendication catégorielle, et c’est ce qui ennuie les technocrates. Pas de projet grandiloquent, et c’est ce qui navre les idéologues. Pas de manifestations en rangs serrés, et c’est ce qui agace les gardiens de l’ordre. Aucune velléité d’imposer leur loi par la rue, puisqu’ils ne prétendent pas faire la loi. Simplement que l’on prenne en compte ce qu’est leur vie quand on fait la loi, quand on impose des taxes, quand on prescrit ce que doit être leur quotidien. Une attention qui devrait être, admettons-le, le fondement de l’art de gouverner.
La proie des violents
Bien sûr, ce mouvement sera la proie des violents et des casseurs, de tous les idiots utiles à l’ordre technocratique qui, en détruisant, inspirent le désir que la bonne gestion règne. Bien sûr, faute d’être entendu, il pourra s’exaspérer dans des actes délictueux qu’on agitera comme des preuves, comme on le fit de toutes les jacqueries de l’Histoire. Bien sûr, tel ou telle voudra s’en faire le leader inspirant et le récupérer dans son petit commerce révolutionnaire. C’est la loi du genre. Bien sûr, il continuera d’être disqualifié par les tenants de l’économie abstraite, et plus généralement, par ceux qui n’ont aucune intention de savoir ce qu’est la vie réelle du livreur de pizza, de l’éleveur de porc ou de celui qui fabrique leurs trottinettes. Et plus encore, il sera disqualifié par ceux qui voient arriver Noël avec inquiétude parce que les accès aux grandes surfaces pourraient être bloqués, les magasins des centres-villes sous-approvisionnés et les livraisons à domicile compromises. Horreur plus grave qu’une insurrection : un Noël sans bombance !
Emmanuel Macron semble avoir eu l’intuition de la nature profonde des Gilets jaunes dans une phrase de son discours du 27 novembre sur la transition écologique : « On entend le Président, le gouvernement, ils évoquent la fin du monde et nous, on parle de la fin du mois. » Moment suspendu de lucidité ou simple effet de manche ? Las ! La réponse présidentielle passe à côté et reste dans la grande tradition du gouvernement technocratique : annonce d’une rallonge sociale pour les plus pauvres, condamnation des actes de désordre, création d’un nouveau comité Théodule baptisé « Haut conseil pour le climat » — sorte d’abstraction bureaucratique en majuscules. Pour le fond, c’est-à-dire pour la prise en considération de la vie quotidienne, le temps presse, le monde change, même dans le brouillard, il faut foncer, rangez-vous, il n’y a rien à voir.
Ah bon, même dans le brouillard, il n’y a rien à voir ? Autant dire qu’il ne reste plus aux invisibles qu’à enfiler un gilet jaune…
Sources : Aleteia
Félicitations à Pierre-Yves Gomez pour cette lucidité à la Boileau.
Pierre Bouteille, bureau Gouvernance HEC.71 et climato-réaliste
Bravo à Pierre-Yves Gomez pour cette analyse que je partage.
Le déclencheur fut la réaction à une arnaque gouvernementale : le prétexte d’une “ECOTAXE” …pour mieux remplir les caisses de l’Etat en se cachant derrière un prétexte vertueux : “Sauver la Planète en luttant contre les émissions de CO2”. Le mouvement des “Gilets Jaunes” est un mouvement d’autodéfense qui en appelle d’autres. Il pourrait bien être le “papillon” qui va se faire lever une tempête mondiale… si les populations s’apercevaient, comme l’affirment certains scientifiques que le prétexte de la “Chasse au CO2” n’est qu’une gigantesque arnaque destinées surtout à remplir les poches de quelques-uns et les caisses des Etats à bon compte!
“Sauver la Planète…ou le climat en faisant la chasse au CO2” est devenu la nouvelle religion des capitalistes, quiconque s’y oppose risque opprobre et excommunication!
Or de nombreux scientifiques crient “aux voleurs!” dont François Gervais qui a écrit deux ouvrages pour l’expliquer : “L’innocence du Carbone” et “L’urgence climatique est un leurre” ed. L’Artilleur, avec deux arguments massues :
“Le CO2 est la nourriture des plantes…qui en manque!” et “les mesures de la réalité contredisent les “modèles du GIEC”!
Bien évidemment si les populations s’apercevaient que tout cela n’est qu’une gigantesque arnaque pour mieux leur faire les poches…l’oligarchie mondiale pourrait effectivement en pâtir!
Le “Diable” des medias,”l’affreux Donald Trump”, lui, a décidé de s’asseoir sur les prévisions du GIEC…et si c’était lui qui avait raison?
Tout cela serait bel et bon si les fondements étaient justes. Mais le mouvement des GJ ne fait que refléter un égoïsme de plus en plus insolent: “Oui je veux qu’on me voie parce que j’existe. Parce que mon cas personnel est le seul à avoir de l’importance. Parce que je me fous des autres, du climat, des commerçants saccagés ou privés de clients, des forces de l’ordre, des morts sur les ronds-points, des artisans qui ne peuvent pas travailler. Parce que seule compte ma colère. Parce que je veux moi aussi pouvoir bénéficier des aides en tous genres payées par ceux qui payent des impôts. Mais moi, il n’est pas question que j’en paye. Oui, je veux qu’on me rembourse mes changements de lunettes tous les deux ans, mes frais dentaires à 100%, mes cures thermales, mes visites chez le cardiologue tous les 15 jours parce que je ne me sens pas bien, ou chez le naturopathe, ou chez l’acuponcteur. je veux qu’on me rembourse mes frais d’hôpital quand je me suis fait une entorse au foot. J’ai 70 ans et je consomme deux fois et demi plus de frais médicaux qu’un actif de 45 ans, mais il n’est pas question qu’on augmente ma CSG. Oui, j’ai un revenu supérieur à celui de bien des actifs, mais je veux qu’on augmente ma retraite chaque année. Je veux avoir un jardin, respirer l’air de la campagne et manger mes poireaux, mais je veux qu’on me paye mes trajets pour aller travailler. Et si je me fais virer parce que j’ai dit à mon patron que sa gueule ne me revenait pas, je veux qu’on me payer deux ans de chômage. Le bien commun, ce n’est pas mon problème. D’ailleurs je ne vote pas. Je ne vais pas voter pour ces guignols qui ne font pas attention à moi et qui prétendent s’occuper de la planète. Moi je m’en fous de la planète. Et je ne veux pas donner un sou pour ces salauds d’immigrés qui viennent polluer nos ronds-points et piquer nos prestations sociales. Ils n’ont qu’à rester chez eux à se faire tuer. Ça fera moins de monde pour polluer la planète, justement.” Comme le disait un Argentin interviewé sur les Champs: les Français vivent dans un paradis et croient vivre en enfer… Quand ils seront dans le vrai enfer, celui que nous préparent Mélenchon et ceux qui veulent faire de la France un autre Vénézuéla, ils accuseront “ces salauds de banquiers qui ne veulent pas nous avancer l’argent qu’on dépense sans travailler.”