Les media se font quelquefois l’écho du parcours de créateurs d’entreprise. On peut découvrir ainsi le fondateur d’une start-up qui, après une bonne intuition de départ et plusieurs années de labeur, a revendu son affaire à Google ou à Facebook pour plusieurs millions d’euros. Cet enrichissement rapide assimile la création d’entreprise à un casino où de rares patrons gagnent fortune et célébrité.
Pour un créateur d’entreprise, la dimension financière et l’envie de réussir sont effectivement une composante importante, mais n’y a-t-il pas d’autres motivations, notamment des motivations plus altruistes pour créer son entreprise ?
Posons une question iconoclaste : y a-t-il un sens à créer une entreprise pour enrichir les autres ?
DAVANTAGE QU’ÊTRE UN SIMPLE OBSERVATEUR DE L’ÉCONOMIE
Créer mon entreprise, c’est rendre féconde ma compétence à semer, faire germer et faire croître une idée, mon idée. C’est reconnaître que je suis capable de traverser le labyrinthe des obstacles de la création. C’est aussi participer de manière active à la création de richesse dans notre pays. Que l’on ait d’ailleurs le projet d’embaucher ou pas, c’est contribuer de mille façons au bien commun de notre société.
ENRICHIR LES AUTRES
En effet lorsque mon idée devient réalité, je vais acheter, je vais vendre, je vais produire des biens ou des services. Mais, par la création de cette activité, je contribue aussi financièrement en versant des cotisations et des taxes (TVA, impôt société, cotisations sociales, effort de formation, …). Ces contributions sont indispensables à notre système de solidarité basé surtout sur la répartition des richesses créées.
Dans mon entreprise, je peux proposer une nouveauté (un service de proximité, un objet plus beau ou plus pratique, une activité agricole à un moment où les agriculteurs disparaissent…). Cette contribution à l’innovation, même modeste, se fait là où je vis. Elle m’aide à devenir un peu co-créateur.
Enfin, pourquoi ne pas contribuer à créer de l’emploi, notre graal français ? Comme mon entreprise grandit, je ne peux pas tout faire tout seul. J’ai besoin des autres, pour créer avec eux. Ces salariés sont des collaborateurs, dans le sens où nous sommes ensemble pour une œuvre commune. Réussir à travailler en équipe est bien entendu indispensable pour développer son entreprise.
CRÉER POUR SOI ? ET SE FAIRE AIDER ?
« J’ai en mémoire plusieurs créateurs d’entreprise soutenus par la plateforme d’initiative locale d’Avignon, l’association GRAIN »
Pour évoquer la création d’entreprise, les media se font plus rarement l’écho de telle personne au chômage, qui a souvent dépassé la cinquantaine, et qui a créé sa propre entreprise après des années de vaine recherche d’un emploi salarié. Et si son histoire est dans la presse, c’est souvent que cette entreprise est une réussite.
J’ai en mémoire plusieurs créateurs d’entreprise soutenus par la plateforme d’initiative locale d’Avignon, l’association GRAIN. Cette association propose à des personnes sans emploi ou disposant de ressources faibles d’avoir accès à un prêt d’honneur d’environ 5000 €. En plus de ce prêt, une aide au montage du projet est proposée et, lorsque c’est possible, un parrainage par un chef d’entreprise ou un cadre d’entreprise. Lors de ces échanges, le porteur de ce projet de création d’entreprise souligne souvent que personne n’y croyait, à son projet.
« En plus de ce prêt, une aide au montage du projet est proposée et, lorsque c’est possible, un parrainage par un chef d’entreprise ou un cadre d’entreprise »
Et qu’il a dû faire preuve d’obstination, souvent pendant des mois. Désormais, son entreprise existe toujours et le fait vivre. Parfois il a même embauché quelques personnes autour de lui. Il a gagné son indépendance financière, mais aussi une estime de soi retrouvée, ce qui est inappréciable. Cette personne au chômage a trouvé une place, celle qu’elle cherchait dans notre société.
Parmi ces bonnes raisons, y en a-t-il une qui m’interroge ?
Me suis-je posé la question de créer ma propre activité ?
« Posons une question iconoclaste : y a-t-il un sens à créer une entreprise pour enrichir les autres ? » Réponse : Non, aucun sens, sauf celui de l’aimable utopie. L’entreprise n’est pas une œuvre philanthropique. Son développement et a propre existence sont suspendus à sa rentabilité, donc au meilleur profit possible à tirer d’un marché, dont le moteur est précisément la loi … du profit, matériel.
Il y a d’autres vocables pour qualifier l’objet de votre réflexion, et ce n’est pas “entreprise” mais “association à but non lucratif”, “œuvre caritative”, de bienfaisance, etc. Allez donc essayer de tenir votre raisonnement chez Emmaüs par exemple, vous verrez la réaction ; et pourtant ! …
Si l’entreprise doit être humaine, ce n’est pas le patronage.
« C’est reconnaître que je suis capable de traverser le labyrinthe des obstacles de la création. C’est aussi participer de manière active à la création de richesse dans notre pays. » Assez éloigné de votre propos selon lequel « Cet enrichissement rapide assimile la création d’entreprise à un casino où de rares patrons gagnent fortune et célébrité.», Non ? D’autant plus que l’enrichissement des chefs d’entreprises, lorsqu’il se produit, est loin d’être toujours rapide et nécessite d’autres efforts, sacrifices et prises de risques, que de s’asseoir à une table de Black-Jack.
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Oui, l’entreprise a besoin de profit pour vivre mais celui – ce ne doit être qu’un moyen, pas un but. Outre cela, lorsque vous allez au travail, vous n’y allez pas seulement pour avoir de l’argent. Vous y allez aussi pour vous épanouir, approfondir des connaissances. Bref, la question de la finalité d’une entreprise est philosophique et éthique (en ce que cela aille au service de l’Homme et non l’inverse).
Merci. Votre réflexion sur les personnes au chômage et ayant dépassé la cinquantaine qui créent ensuite leur entreprise me fait penser à cette tribune récente de Jean-Marc Vittori (sur une analyse de Denis Pennel) : http://videos.lesechos.fr/news/graphiques-vittori/demain-le-travail-l-intermittence-le-salariat-l-independance-les-graphiques-de-vittori-22-2768973630001.html
Il observe justement qu’à partir d’un certain âge, le travail indépendant tend désormais à devenir plus fréquent. Conseillant ainsi à chacun de se préparer assez tôt à cette possibilité. Les grands esprits se croisent. 🙂
Merci à Guillaume E. d’avoir cité mon livre “Travailer pour soi” paru au Seuil en septembre dernier.
L’idée force du livre est qu’une révolution bouleverse le monde du travail : l’aspiration des individus à un travail épanouissant et adapté à leur projet de vie contraint entrepreneurs et gouvernants à repenser la relation d’emploi et le modèle social.
Diversification des contrats, personnalisation du temps de travail, porosité croissante entre vie privée et vie professionnelle, essor du travail indépendant : le modèle unique fondé sur le CDI et l’échange subordination du salarié contre salaire est devenu caduque. Demain l’emploi sera fragmenté, individualisé, à la carte. La relation de subordination sera remplacée par une relation de collaboration, dans laquelle la maîtrise et l’aménagement des tâches par les salariés eux-mêmes seront déterminants.
Cela incitera également de plus en plus d’individus à créer leur propre emploi, afin de se libérer d’une hiérarchie trop pesante…
Quinqua, licencié sans ménagement par mon ex-employeur il y a 4 ans, la création de mon activité (en profession libérale) s’est imposée à moi comme la seule porte de salut raisonnable du fait de la “pensée unique” en vogue sur le marché du travail “sénior”..
Il me semble également que cette démarche est “Ecologie humaine” en ce qu’elle témoigne de notre espérance dans l’avenir, qu’elle bat en brèche une attitude défaitiste très en vogue chez les salariés.
Je souscris également à l’idée que la création d’une activité propre permet de prendre ses distances avec un management qui a bien souvent oublié l’intérêt des salariés ces dernières années au profit des seuls actionnaires. Se mettre à son compte c’est se donner indiscutablement les moyens de replacer les priorités de l’entreprise à l’endroit de ses propres convictions.
Bonjour, je souhaite ici témoigner de ma création d’entreprise. En juillet 2012, après un mois d’une prise de conscience fulgurante & d’un désir profond d’enfin me réaliser avec ce que j’aime faire, j’ai construit le site internet de Graphismisenpage. Du bricolage, au départ. Issue des Beaux-Arts, j’avais effectué une formation en design typographique à l’Imprimerie Nationale, avec l’équipe des créateurs du Studio Graphique. J’ai vu cette entreprise couler. J’ai pu prendre le meilleur des savoir-faire & savoir-être des graphistes du studio. À l’époque, en 2001-2002, j’étais au RMI. J’avais essayé d’entrer en free-lance, mais sans aucun moyen financier, même pas un ordinateur, vivant dans 11m2, j’ai dû renoncer. C’est 10 ans plus tard, avec le statut de l’auto-entrepreneur, que j’ai pu me lancer. Entretemps, j’ai été “Agent d’accueil & de surveillance” dans les musées, dont à la grosse machine culturelle Pompidou. J’ai poursuivi & développé mon travail d’artiste en photographie puis en vidéographie, parallèlement aux vacations & périodes de chômage. Puis, après une formation d’Auxiliaire de Vie Sociale en 2007, avec un stage en maison de retraite & centre de gériatrie parisienne, je suis retournée dans les musées. En 2009, me mariant, je décide d’appliquer le travail de proximité que j’avais souhaiter faire depuis 2007, aide à la personne, près de chez moi. Je suis devenue gouvernante d’un enfant. Depuis 5 ans maintenant, avec ce même enfant devenu adolescent. Mon travail d’artiste en vidéographie s’est développé, toujours parallèlement. Et ce statut de l’auto-entreprise m’étant décrite par un ami artiste également, je me suis lancée. C’est un travail de longue haleine, dans la durée & la persévarance. Aucun bénéfice financier pour le moment, après un an et demi de création de l’entreprise. Mais j’ai beaucoup avancé. Je sais désormais où me situer dans mon offre pour à la fois me réaliser et réaliser les projets des autres, dans le milieu artisanal & les métiers d’art. Je mets mon talent au service de celui des autres. Ma démarche est très altruiste, à l’origine : être à l’écoute de l’énergie vitale des autres pour leur en donner une forme. Ma première “vraie” cliente est une mosaïste, elle aussi en création de son entreprise. C’est une aventure humaine & profonde qui a commencé. Je vais réaliser son site internet, après avoir pris en photo ses créations sur un salon des métiers d’art. Mon propos est de revaloriser l’artisanat, de faire le pont entre l’art, les métiers d’art & cette écologie humaine dont il est question ici. Loin de moi le graphisme branché & trop proche de “l’art pour l’art” qui se mort la queue. Graphismisenpage répond au désir de travailler avec le réel, l’esprit de création & pas pour l’image, la représentation, ni la communication désincarnées. On trouvera de la couleur, c’est-à-dire de l’affectivité dans les réalisations & les collaborations de/avec Graphismisenpage. Diaporama pour “Christia Mosaïste” : http://www.graphismisenpage.net/#!faq Pour moi, le travail est au service de l’homme & de la vie.
« J’aimerais bien faire partie d’une société d’artisans, de gens qui ne fassent jamais de “copier-coller”
et qui soient toujours en éveil et en curiosité devant la complexité de leur travail.
Je revendique cela comme idéal de société. » dixit Lucien François (économiste, membre de l’Assemblée permanente des Chambres d’Agriculture à Paris) dans le documentaire magnifique de Dominique Marchais (Capricci, 2009)
LE TEMPS DES GRÂCES. Le Courant de l’Écologie Humaine traverse ce film avant l’heure…