Grain de Sail : l’entreprise bretonne qui veut moins d’impact et plus de sens – Jacques Barreau

4 Déc, 2025 | CONSOMMATION, ÉCONOMIE

En reliant agroalimentaire et navigation à la voile, Jacques Barreau, co-fondateur et directeur général de l’entreprise Malouine Grain de Sail, fait une démonstration concrète : il est possible d’entreprendre autrement, sans sacrifier ni l’environnement ni le sens.
Les propos ci-dessous sont extraits de l’interview vidéo.

L’idée première : décarboner le transport maritime

« À vouloir faire un bateau, on s’est retrouvés avec deux activités très différentes. »

« Je m’appelle Jacques Barreau, je suis le directeur général du groupe Grain de Sail, une société fondée en 2013. À la base, l’idée était simple : contribuer à décarboner le transport maritime. Très vite, on en est arrivé à imaginer des voiliers-cargos modernes, une sorte de suite logique aux vieux gréements qui, autrefois, étaient les seuls capables de porter de la charge.

Mais comment financer un navire ? Là, on s’est dit qu’on serait peut-être malins de coupler l’activité maritime à une activité agroalimentaire, notamment autour du café et du chocolat. Fabriquer nos propres produits, créer notre propre besoin de transport, les charger sur nos propres bateaux. »

C’est ainsi que naît l’aventure Grain de Sail : une activité maritime bas carbone et une activité de transformation de café et de chocolat, réunies sous une seule et même marque.

Deux frères de mer qui osent l’aventure offshore

« Mon frère jumeau, Olivier, et moi, venons du maritime. Nous avions un savoir-faire dans les activités en mer, l’offshore, les énergies marines renouvelables. C’est ce qui nous a permis d’oser nous lancer dans cette aventure.

On a commencé par le café en 2013, une matière première relativement facile à travailler. Puis le chocolat en 2016… nettement plus technique ! On a fait venir des spécialistes et on leur a soumis un cahier des charges simples : il faut que ce soit bio et très très bon. À partir de là, dites-nous comment faire ! Et on y est arrivés. Non sans peine, mais on y est arrivés. »

En 2020, le premier navire Grain de Sail traverse l’Atlantique. En 2024, un deuxième prend la mer. Et dans les prochaines années, d’autres, plus gros, suivront.

La sélection des matières premières : “Bio, bons et bien produits”

« Pour sélectionner nos producteurs, on a trois critères qui nous tiennent à coeur :

  1. Bio, d’abord. Quand on voit la chute de biodiversité – 80 % en 30 ans – on n’a plus le choix que de tout faire pour freiner au maximum cette extinction du vivant.
  2. Le goût. Le plaisir. C’est fondamental.
  3. La manière de produire, la rémunération, les conditions sociales.

Et il faut le dire, si on a du savoir-faire, la qualité de nos cafés et chocolats vient d’abord et avant tout de la sélection des matières premières. »

Repenser le rôle de l’entreprise : “On marche sur trois pieds, pas un seul”

« Faire du business, oui. Mais compatible avec la planète et avec les humains. »

« Depuis l’ère industrielle, on a imaginé l’entreprise comme un objet financier. Elle doit presque avant tout enrichir les actionnaires. Et les humains ont cru qu’ils pouvaient le faire sur le dos de l’environnement et en négligeant les conditions de travail des salariés.

Aujourd’hui, il faut être cohérent : une entreprise doit marcher sur trois piliers :

  • l’économie,
  • l’environnement,
  • le social.

La rentabilité, oui, c’est normal. Mais au service du reste, pas l’inverse. Chez nous, d’ailleurs, on ne se verse jamais de dividendes : tout repart dans l’entreprise pour lui permettre de se déployer au mieux. »

La voile : la technologie la plus moderne… et la plus ancienne

« Finalement, la voile, c’est la meilleure manière de décarboner le transport maritime.

Deux révolutions changent tout aujourd’hui :

  • la technologie des navires : matériaux, design, voiles, cordages…
  • les satellites : un routage H24 hyper fiable.

Avec ça, la performance des voiliers-cargos n’a plus rien à voir avec celle des vieux gréements. »

Durée des traversées :

  • Grain de Sail 1 : 24–25 jours
  • Grain de Sail 2 : 20 jours
  • Grain de Sail 3 : 15–16 jours espérés

« En logistique, on devient finalement aussi efficaces que les navires conventionnels, voire plus rapides puisque nous partons de ports secondaires. »

Le carbone : « de l’avion au voilier-cargo : facteur… 1000 »

« Pour donner des ordres de grandeur en termes d’émission de carbone :

  • Avion : 800 à 1000 g / tonne / km
  • Camion : 300 g
  • Voiture thermique : 120–150 g
  • Électrique : 20–30 g
  • Porte-conteneurs XXL : 10 g
  • Voiliers Grain de Sail : 1 g

Voilà : un facteur 1000 entre un avion et notre navire. Ça montre qu’on peut faire autrement ! »

Les équipes : “Des marins et des chocolatiers, sous le même pavillon”

« L’équité sociale, c’est central si on veut que la population adhère aux enjeux environnementaux. »

« Chez nous, tout le monde est salarié de droit français : torréfacteurs, chocolatiers, marins. On compte aussi douze personnes en situation de handicap qui travaillent dans un ESAT malouin. Mon père était éducateur spécialisé, je l’ai vu faire quand j’étais petit. Ça marchait très bien, donc on a poursuivi cette bonne pratique avec Grain de Sail.

Côté salaires, on applique une grille compacte :

  • +18 % au-dessus du SMIC pour les salaires les plus bas,
  • un facteur 3 maximum entre le salaire le plus bas et le plus haut, le mien compris.

Et, comme je le disais, pas de dividende versé aux actionnaires. Tous les bénéfices sont reversés dans l’entreprise. »

Un développement enthousiasmant… et complexe

« Oui, l’aventure Grain de Sail est enthousiasmante. Mais c’est également dur. Les prix du cacao et du café se sont envolés cette dernière année. Le cacao est passé de 3 500 $ à 12 000 $ la tonne en moins d’un an. C’est lié au réchauffement climatique. Cela ne nous étonne pas, mais nous savons qu’il faut s’habituer : les bonnes récoltes vont devenir l’exception.

Cela étant dit, Grain de Sail fonctionne. On ne souhaite pas faire les choses différemment. D’autant que pour moi, c’est la seule manière de développer une entreprise qui ait du sens aujourd’hui. »

Avec la voile, travailler un autre rapport au temps

« Sur une transatlantique, on donne un ETA à nos clients : Estimated time of arrival. Le mot important, c’est estimated.
Quand on part, on donne un moment d’arrivée un peu flou, lié aux conditions climatiques que l’on risque de rencontrer en mer, sur le chemin. Et les clients s’y habituent. De cette façon, on redonne de la valeur au temps. On sort de la logique industrielle où tout doit arriver à la minute. Et c’est une excellente chose ! »

Le pétrole : « Une drogue dure extrêmement efficace »

« Un litre de pétrole = 10 kWh.
Soit 3 semaines de vélo.
Un plein de voiture = 3 ans de vélo.
Et on paye ça… 80 €.

C’est ça, le pétrole : une énergie magique, financièrement imbattable, mais désastreuse pour la planète.
Il va falloir s’en passer, et le faire intelligemment. Notamment en passant d’une économie du jetable à une économie du qualitatif. Deux bons tee-shirts plutôt que dix de mauvaise qualité, par exemple. Il y a aussi du plaisir dans cette façon raisonnée de consommer. »

La force de l’exemple : “J’aimerais qu’on soit copié”

« On voulait prouver qu’il était possible de faire différemment sans sacrifier la rentabilité. Et ça fonctionne !
Mon rêve ? Que d’autres entreprises nous imitent, modifient leur manière de faire, redeviennent compatibles avec l’environnement et génèrent une vraie équité sociale. »


Découvrir le site Grain de Sail : graindesail.com

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