HABITAT et CADRE DE VIE : recréer du lien

4 Jan, 2016 | Non classé

CreerLien

Dans le cadre du parcours Cap 360°, Corinne Debost Damas partage avec nous sa vision de l’urbanisme. Comment recréer du lien, dans un contexte de plus en plus globalisé et connecté ?

 

Nos villes sont nos romans de vie…

La lecture d’une seule page d’un roman de Balzac qui exalte une ville de nos provinces ou passe au tamis le Paris de son époque suffit à illustrer la complexité du rapport de l’homme à son cadre de vie.

E.P. Jacobs avec « la Marque jaune » ou encore Schuitten ont su aussi révéler, dans un autre genre, celui de la bande dessinée, cette relation étroite entre un lieu, une ville et des personnages.

Tout lieu a une histoire, tout lieu nécessite une appropriation à hauteur d’homme. De manière physique comme lorsqu’il s’agit de se repérer pour se déplacer d’un point à un autre dans une ville, un quartier, un village. Sur le versant historique ou situationnel, quand il nous vient l’envie de découvrir un territoire et l’histoire de ses habitants, à travers le patrimoine architectural, ou d’identifier les codes relationnels – les us et coutumes d’un lieu et de ses habitants –, ou encore de s’approprier des lieux publics en se remémorant les évènements qui s’y rapportent et l’ont façonné.

 

Tous en route vers des villes en globe…   

Les modes de fabrique de notre cadre de vie, de notre habitat sont principalement marqués par deux tendances :

 

  • Tout d’abord, l’inexorable urbanisation, métropolisation.

Selon l’ONU, près de 70 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans des espaces urbains, 95 % d’ici 2050, avec l’émergence de gigantesques métropoles de plusieurs millions d’habitants. En France, si depuis les années 70, les communes rurales ne connaissent plus globalement l’exode, ce sont les petites communes proches des grandes agglomérations qui voient leur population croître. 85 % de la population française vit désormais dans une aire urbaine (Source : Insee, 2011). L’ancrage d’un nouveau modèle de cadre de vie métropolitain et d’une nouvelle interaction rural-urbain pour les habitants, s’impose dans les faits.

De plus, une “nouvelle France des territoires” se dessine, avec la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Loi NOTRe). La carte des régions est ainsi passée de 22 à 13. Depuis le  1er janvier 2015, 12 métropoles ont été créées (Lyon, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Rennes, Brest, Lille, Rouen, Grenoble, Strasbourg, Montpellier, aux côtés de celle de Nice, qui existait déjà), et la Métropole du Grand Paris (avec ses 12 « territoires ») a vu le jour au 1er janvier 2016, avec un objectif principalement d’ordre économique.

Les villes concentrent des richesses, les pouvoirs, la consommation. Elles offrent des possibilités de rencontres mais génèrent aussi des espaces de pauvreté et contribuent à la dégradation de l’environnement, et des relations humaines, de plus en plus difficiles à concevoir dans un univers dont les codes et les vitesses s’accélèrent – le numérique aidant – avec des temps de vie de plus en plus asynchrones. Etre connecté – physiquement et virtuellement – devient le credo. De surcroît, les facilités de transports se multiplient et changent les échelles des espaces de vie et de temps. Ainsi, on peut habiter à Reims, Rouen, Caen, et travailler tous les jours à Paris, ou habiter à Paris et travailler à Lille et mettre moins de temps pour rejoindre son lieu de travail que d’habiter en Essonne et travailler à Tremblay (près de Roissy). Tout s’accélère et en même temps, chaque personne voit, chaque année, le temps consacré à ses déplacements augmenter au détriment des autres activités quotidiennes.

Dans le même temps, la gouvernance des métropoles se technocratise et il n’est pas aisé d’accéder au maire, au président de l’agglomération, et quand cela est possible, ce dernier ne concentre plus tous les pouvoirs qui sont dilués.

Dans ce contexte, comment, hommes et femmes que nous sommes, avec nos enfants, pouvons-nous encore tisser des liens à notre échelle, alors que tout passe au diapason du gigantisme, de la complexité et peut nous échapper ?

 

  • La deuxième grande tendance est le développement durable.

La récente COP21 qui s’est déroulée à Paris a mis à l’affiche les enjeux sur l’évolution des mesures prises sur nos modes de vie et les conséquences sur notre cadre de vie et l’urbanisme.

Prenons l’exemple de la transition énergétique qui a des incidences sur le bâti, les métiers du secteur de la conception-construction des bâtiments, les formes urbaines et l’aménagement des quartiers (exemple les éco-quartiers). Récemment en France, 500 territoires se sont engagés dans l’appel à projets national « territoires à énergie positive ».

Et cependant, le modèle de ville durable, se veut souvent technique, mis en boîte avec notamment les smart grids, des bâtiments éco-efficients clefs-en-main, des dispositifs de circulation douces ou de végétalisation, « packagés » et proposés par des entreprises ou groupements d’opérateurs privés et/ou publics.

Or, l’efficacité d’une politique d’aménagement et d’urbanisme durables, réside en grande partie dans son appropriation par les habitants. C’est tout l’enjeu de la démocratie participative.

 

Dessine-moi une ville pour habiter et vivre ensemble 

Avec votre imagination, votre énergie, votre enthousiasme, vos cartons et crayons de couleur, vivre et habiter ensemble est peut-être déjà une réalité – les cahiers de bienveillance offrent de belles pistes en ce sens – ou bien avez-vous déjà posé des jalons pour que, demain, votre cadre de vie soit à hauteur d’homme ?

Esquissons-ensemble quelques pistes, certes non exhaustives, pour habitare et concevoir un destin de ville où chacun pourrait trouver sa place.

Considérons notre ville, notre village sous deux angles en partant du vivant pour retisser des liens.

Premier aspect, celui du métabolisme urbain, avec un cadre de vie fait de relations à préserver ou à créer. C’est l’échelle du vivant interne, celle où la ville, le village, le lieu d’habitation s’apparentent à un environnement, à un milieu de vie.

Recréer du lien, à partir de nos usages, en fonction des différents âges de la vie et moments de vie (enfant, étudiant, apprentis, jeune salarié, famille, personne âgée…). Repenser également la relation habitant-professionnel de la construction et de la ville.

Les terrains d’actions qui s’offrent à nous sont nombreux pour recréer du lien et vivre et habiter ensemble. A titre d’exemple :

  • Entretenir des relations avec ses voisins, les artisans du quartier, les compagnons de transport d’un jour ou du quotidien, les touristes…, développer des actions de mise en commun ponctuelles ou pérennes (exemple : se présenter à son voisinage dès l’arrivée, créer un réseau d’entraide de proximité…).
  • A la faveur de projets personnels ou de projets de construction identifiés, repenser le patrimoine  et l’habitat, notamment avec l’habitat participatif ;
  • Créer de nouveaux liens en élargissant la vision du patrimoine bâti ou foncier : combiner par exemple les intérêts de résidents d’un lieu avec ceux d’autres acteurs, en favorisant l’implantation de micro-entreprises ; promouvoir des usages temporaires sur des disponibilités foncières industrielles ou agricoles ou de particuliers pour répondre à des demandes de proximité. Sous l’angle esthétique, réinterroger avec les professionnels les formes architecturales qui nous rassemblent, nous incarnent, dans une visée de transmission inter-générationnelle ou de patrimoine « collectif », toujours à partir des usages.
  • De même, dans les projets d’aménagement et les consultations « citoyennes » de villes ou métropoles, prendre la parole et veiller à ce que tous les habitants y compris les plus fragiles (personnes âgées….), puissent s’exprimer.

Le rôle de l’habitant est primordial – pas seulement en contestation d’un projet – mais pour poser de nouvelles bases du sens commun, pour l’action publique : construire et éduquer sur les projets d’urbanisme pour permettre la démocratie participative.

L’autre échelle du vivant dans la ville est celle de la nature urbaine, de la biodiversité urbaine.

L’enjeu est de recréer dans ce cas une relation entre l’homme, à partir de son lieu d’habitation, sa ville, et l’environnement, dans la biosphère.

Parmi les pistes d’actions, on peut citer :

  • Les jardins participatifs en ville, et à ce propos l’exemple de Reims en ligne sur le site du CEH est éloquent ;
  • Les liens développés et à imaginer entre les espaces agricoles et forestiers aux franges des agglomérations avec les villes.

 

Partir de l’échelle de l’habitant d’un jour ou de toujours, des usages au quotidien dans la ville, les métropoles d’aujourd’hui et de demain, les villages, porter un nouveau regard sur son environnement en se posant des questions simples, voilà la bonne mesure pour, à chaque étape de la vie, construire et réapprendre à vivre et habiter ensemble.

Tout l’enjeu est d’inventer des formes spécifiques de sociabilité et d’organisation spatiale, fabriquer des tissus urbains multifonctionnels associant dans des mêmes lieux, habitats, commerces, services, loisirs, agriculture, économie.

A nous, à vous, d’être acteur pour réinventer la ville inclusive.

Cela n’est pas faire offense à Saint Simon que d’inverser le sens des choses dans un siècle nouveau et conclure qu’il faut remplacer l’administration des choses par le gouvernement des hommes, pour parvenir à un cadre de vie et un habitat agréables et partagés.

 

 

Corinne Debost Damas, urbaniste et habitante

 Retrouvez la vidéo « habiter » du parcours Cap 360°, avec les prises de parole de l’ensemble des experts.

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