La graine de discorde

11 Mar, 2021 | CONSOMMATION, NATURE & ENVIRONNEMENT

Raphaèle Bernard Bacot, artiste butineuse et auteure de « Jardiniers des villes, portraits croqués sur le vif » (Éditions Rue de l’Échiquier), propose, au rythme des saisons, sa chronique potagère. Elle plante une nouvelle graine de savoir pour ce mois de mars 2021 !

En attendant le printemps, qu’il est bon pour un jardinier de rêver en consultant un catalogue de graines, promesses de beaux légumes ! Mais par où commencer ? Faut-il partir à la recherche des graines de légumes oubliés répertoriés dans les conservatoires des producteurs grainetiers ou encore celle répertoriées à l’INRAE ? Hélas, ces collections – comme celle des 2500 variétés de tomates inscrites au catalogue européen… ne sont pas accessibles aux jardiniers amateurs à moins qu’ils ne décident de les troquer entre eux. Il faut donc se contenter de l’unique catalogue officiel qui liste les variétés autorisées à la vente depuis 1932, et qui sont faciles à trouver dans le commerce, à moins d’opter pour les semences paysannes indépendantes, enfin autorisées à la vente depuis l’an dernier.

Au fait, quelle est la différence entre ces deux types de graines ? Les premières graines, dites certifiées, proviennent des grands semenciers presque toutes sous l’appellation d’hybrides F1. Destinées à la production de grande échelle, elles répondent à un choix de rentabilité. L’appellation F1 signifie qu’elles ont été obtenues dans des laboratoires de biotechnologie, issues d’hybridations et sélectionnées pour leurs productivité, leur résistance aux maladies, leur aspect homogène, bref… des graines proches de la perfection ! 

Oui mais… la perfection n’étant pas de ce monde, vous vous apercevrez vite que si vous récoltez la semence de ces graines pour les ressemer l’année d’après, vous n’obtiendrez plus les mêmes caractéristiques. En effet, les semences F1 ne sont pas reproductibles à l’identique car issues de lignées modifiées. Ceci contraint donc les agriculteurs à en racheter chaque année, favorisant ainsi les grandes compagnies productrices de semences. On peut comprendre la colère des paysans qui ne peuvent plus vendre leurs propres semences, récupérées à partir de leurs récoltes, et adaptées à un même territoire en suivant leur cycle naturel et ce, depuis la nuit des temps.

Si la querelle qui embrase politiques et agriculteurs depuis des années, n’est pas prête de s’éteindre, on peut se réjouir d’apprendre que depuis juin 2020 – au moins pour tous les jardiniers amateurs – la vente libre de ces graines paysannes est autorisée en France. Il ne reste plus qu’à convaincre l’Europe pour qu’elle s’engage en faveur de la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. 

Alors, foin de polémique, ce petit air de printemps nous invite à préparer terre et semis pour entamer une nouvelle saison potagère, avec des variétés modernes ou anciennes, fleurons de notre patrimoine génétique végétal. Car ce plaisir de cultiver nos propres légumes, d’année en année, est, celui-là, bien reproductible.

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