La pédagogie de la Parole : une remédiation qui épanouit

22 Déc, 2021 | EDUCATION & ENSEIGNEMENT, TEMOIGNAGES

Parler, à la pointe du crayon” : tel est le nom de l’association co-fondée par Caroline Badré et Bénédicte Rhonat. Inspirée par les travaux d’Elisabeth Nuyts et Jeanine Guindon, cette association aide petits et grands à remédier à de nombreux dysfonctionnements cognitifs.

Bénédicte Rhonat, fondatrice de l’association Parler, à la pointe du crayon : “J’ai connu la pédagogie de la parole en rencontrant Elisabeth Nuyts, en 2009, pour aider mon fils qui était en difficulté. Madame Nuyts, logopédagogue, a découvert comment guérir les “troubles dys” (dyslexie, dysgraphie, dysorthographie, dyscalculie, dyspraxie) et les troubles de la mémoire et du comportement. Je me suis formée auprès d’elle puis me suis mise à exercer auprès d’élèves. J’ai également proposé de petites formations aux parents qui souhaitaient aider leurs enfants. Au fil du temps, avec quelques personnes, nous avons éprouvé le besoin de monter une association pour poursuivre et approfondir notre action.”

Caroline Badré, présidente de l’association Parler à la pointe du crayon : “Je suis enseignante en économie-gestion à Paris, au sein d’un lycée technique. J’ai suivi un parcours de sensibilisation avec l’Institut de formation Humaine Intégrale de Montréal. Madame Nuyts a elle-même été accompagnée pendant une dizaine d’années par une personne de l’institut. J’ai notamment été formée à l’analyse de pratique, comme on dit en France (relecture au Québec). Ce qui nous fait nous relier avec Bénédicte, ce sont ces questions autour de la relecture et donc de la croissance globale de la personne humaine.”

Elisabeth Nuyts

C. B. : Durant ses jeunes années, Madame Nuyts était traductrice internationale. Elle met une pause à sa carrière pour fonder une famille. À sa reprise du travail, en tant que professeur d’anglais, elle est interloquée : ses élèves de Terminale, qui étaient pourtant de bons élèves, avaient du mal à se questionner et à comprendre le sens des textes qu’ils lisaient. Madame, apprenez-nous à réfléchir, lui ont-ils demandé.

Aujourd’hui encore, les jeunes ont des yeux mais ne voient pas, des oreilles mais n’entendent pas. Ils ne font plus de liens logiques. Madame Nuyts se rend compte de ce déficit de questionnement intérieur et de pensée langagière. Amenée à travailler avec des enfants handicapés et des personnes en difficulté, elle élabore tout un processus de recherche neuroscientifique. Elle suit plusieurs personnes dans leurs apprentissages, en essayant de trouver les racines du mal. Elle finit par mettre en place un protocole de suivi et d’accompagnement confirmé ensuite par les découvertes neuroscientifiques. Elle a travaillé pendant presque 40 ans sur ces sujets, de façon très approfondie, en élaborant outils et livres. En effet, constater avec un IRM des dysfonctionnements est une chose, mais mettre en œuvre une rééducation concrète en est une autre !

Parmi ses propositions, nous retrouvons la grammaire structurante, un outil extraordinaire pour la reconstruction de la personne : des prises de consciences émergent à travers le langage. Elle a reçu le prix Éducation et Liberté en 2002, pour sa thèse L’école des illusionnistes.

Aujourd’hui, madame Nuyts travaille à Montpellier, elle est toujours en activité et continue de former ceux qui le souhaitent.

Parler, à la pointe du crayon… et ouvrir ses 5 sens

C. B. : Notre association a été créée en août 2016 par cinq femmes aux profils divers (mères de familles, enseignantes, institutrices…). L’association donne un cadre pour échanger entre professionnels ; ce qui est important dans ce type de métier car nous faisons face à la souffrance humaine – enfants scolarisés, parents, aidants… – qu’il s’agit d’accompagner. Ainsi nous nous soutenons mutuellement et partageons nos recherches. Ce nom particulier Parler, à la pointe du crayon vient d’un exercice d’écriture consciente que nous donnons à faire. Cet exercice prépare à l’écriture consciente : si l’on dit ce que l’on écrit et que l’on regarde ce que l’on trace sur la feuille, on est parfaitement présents à ce que l’on fait. Alors, nos sens – vue, ouïe, parole et geste, en l’occurrence – sont unifiés. Et tout notre être aussi, par extension.
Le mot Parler qui précède à la pointe du crayon rappelle que la parole oralisée est le moyen qui nous permet d’accéder à l’acte conscient. 

De fait, quand vous verbalisez une perception à voix haute, vous vous en faites une représentation intérieure, ce qui vous rend présent et conscient. On demande à quelqu’un de découvrir un objet sans le voir, uniquement par le toucher. Certains diront tout de suite quel est l’objet, intuitivement. D’autres vont tâtonner, toucher. Par la manière de découvrir l’objet, nous découvrirons comment cette personne perçoit et se représente le monde, et nous pourrons l’aider à évoquer, verbaliser, développer son vocabulaire, à faire des liens logiques, etc.

À travers ce travail sur les cinq sens, notre objectif est d’aider les personnes à trouver du sens à ce qu’elles sont, à ce qu’elles font et à la manière dont elles inscrivent les relations dans leur environnement.

Prendre son temps

Il existe un décalage entre ce que nous proposons et ce qui se fait à l’école. À l’école est souvent proposé un travail silencieux, global et rapide. On demande aux enfants d’aller vite ; si l’on va vite, ça veut dire que c’est bien. C’est dans l’ère du temps mais c’est un principe redoutable. Nous préférons aller lentement, de façon qualitative. Nous allons de la lettre à la syllabe, puis au mot et à la phrase, au sens et à l’analyse fine du sens.

De quelque chose qui était rapide, efficace, mais superficiel, on va aller vers quelque chose de conscient, profond, intérieur, mémorisé. C’est une révolution. Découvrir, connaître, s’enrichir, nommer, organiser, structurer sa pensée commence par une parole consciente, et conduit à retrouver le sourire, nous le constatons souvent en séance. Un rapport aux choses, aux gens, aux connaissances qui sera doux et joyeux.

Nous nous adressons à des jeunes en difficulté scolaire, des personnes hyperactives, avec des troubles dys, des troubles de l’attention, des personnes qui n’arrivent pas à se concentrer, à analyser, à mémoriser, à écrire, à parler et à lire de façon satisfaisante. Nous avons également des demandes pour des migrants, des primo-arrivants, des enfants avec handicap, des enfants extraordinaires avec un autisme ou une trisomie, des assistants de vie scolaire (AVS), pour des enseignants, des instituteurs, de personnes en burn-out qui vivent une étape difficile…

Belles histoires pleines d’espoir

B. R. : J’ai suivi un jeune garçon de primaire. Sa mère me disait qu’il ne voyait rien à la maison : il se cogne et est perpétuellement dans ses rêveries. À l’école, il n’était pas non plus très présent. Lors de nos séances, j’avais du mal à lui faire ouvrir ses cinq sens. Il y avait juste le fait de parler qui le connectait. Or, un beau jour de printemps, je lui ai proposé d’aller dans le jardin. Il se sentait fatigué alors je lui ai suggéré de s’allonger dans l’herbe un moment et d’être à l’écoute des sons autour. Il était bien, apaisé, vraiment concentré. J’ai alors tenté quelque chose. Je l’ai prévenu de ne pas bouger, je suis allée cueillir une rose qui sentait très bon que j’ai apportée sous son nez. Je lui ai demandé de verbaliser cette sensation. Cette odeur, pour lui, a été une sorte de révélation, la porte d’entrée à tous ses sens. Il fermait les yeux, heureux, et humait sans cesse cette rose comme si c’était une première fois. En rentrant chez lui, avec sa rose, il était transformé. Les jours suivants, sa mère m’a fait savoir qu’il trouvait tout beau : la vaisselle sur la table, la décoration…. Et cela lui est toujours resté.

Je peux aussi vous parler de cette histoire, qui pourrait s’appliquer à plusieurs de mes élèves. Il s’agit d’un enfant des symptômes autistique, qui avait été déclaré visuel par les tests. Il ne parlait qu’à sa mère, son père par onomatopées et l’un de ses frères. Lors de sa première séance de remédiation, il était un peu bousculé : notre accompagnement est fondé sur la parole ! Mais il savait quoi dire et comment parler simplement des choses qu’il faisait, ça s’est donc bien passé. En donnant place à cette parole sur trois ans, une fois par semaine – ce qui est un accompagnement long – la communication et la lecture se sont débloquées pour lui. Cet enfant qui n’aimait pas lire, a été testé au bout de trois ans et déclaré auditif. La lecture est devenue une passion dans sa vie, et particulièrement celle des grands auteurs de philosophie.

C. B. : De mon côté, j’ai commencé par aider des lycéens. Mais aujourd’hui, j’accompagne aussi des personnes de 40 et 50 ans, comme cette secrétaire d’université qui ne parvenait pas à écrire sans faute d’orthographe, ni à se souvenir de ce qu’elle lisait. C’était devenu un handicap dans son travail. À partir de là, nous avons commencé un travail sur les bases : les cinq sens, l’espace et le temps, la grammaire, tout cela mis en mots. La parole a dénoué énormément de choses. Au point qu’elle m’a envoyé sa propre fille en accompagnement !

 

Croître et être heureux

B. R. : Évidemment, notre métier est sympa : il se passe de belles ouvertures, de beaux déclics. Mais il faut garder en tête qu’il n’y a rien de magique. L’objectif n’est pas de voir tout se transformer : nous essayons d’aider un enfant, tel qu’il est ; il restera celui qu’il est. Il existe bien des choses qui semblent être des inconvénients mais qui sont, en fait, des qualités. Tout dépend de nos attentes et du point de vue adopté. L’idée est de donner les moyens à la personne de faire du mieux qu’elle peut, en étant la plus heureuse possible avec ce qu’elle est.

Si l’on rejoint la personne là où elle en est, on est à peu près certain d’avoir du résultat. Chacun a envie de croitre et d’être heureux !

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