L’irascible rouge-gorge familier

12 Jan, 2022 | NATURE & ENVIRONNEMENT

Compagnon des jardiniers, le rouge-gorge est l’un de nos oiseaux les plus agressifs vis-à-vis de ses congénères, en raison de son caractère « territorial ». Il est à la fois casanier et migrateur.

Tugdual Derville, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine : “Un féroce tueur solitaire vit dans nos jardins : le rouge-gorge. On aurait dû le nommer « orange-gorge » mais l’orange – le fruit – est arrivé trop tard chez nous pour préciser la couleur de son plastron… Le rouge-gorge familier – c’est son nom complet – fait partie des animaux peu farouches, qui aime la compagnie des hommes. Les jardiniers l’ont repéré : dès qu’ils sortent un râteau ou une bêche, sa silhouette ronde sort de son buisson et se poste à proximité. Quand il se sent en sécurité, le rouge-gorge va prélever à terre son lot de vers et de larves. En somme, il nous utilise à la perfection, même si nos chats – ses pires ennemis – font des ravages dans ses rangs, l’oiseau nichant souvent au sol. Les Anglais lui offrent donc des nichoirs surélevés.

Grâce à son œil noir surdimensionné, le rouge-gorge peut travailler dans la semi-pénombre d’un sous-bois, les soirs d’hiver.

Cette fois, mâles et femelles se ressemblent. Ce sont les juvéniles qui n’ont pas encore de plastron coloré. Les deux sexes sont très « territoriaux », sauf au moment de la reproduction ; chacun veille jalousement sur un domaine délimité, dont les congénères sont chassés avec brutalité. Au début, sommation d’usage : le propriétaire se contente de signaler par son joli chant qu’il a détecté l’intrus. En principe, ce dernier obtempère. Sinon, c’est une féroce bataille, à coups de becs et de griffes, dont le vaincu peut sortir en piteux état et trépasse plus souvent qu’on ne l’imagine.

Si un rouge-gorge se met à cogner du bec sur votre fenêtre comme un fou furieux, ce n’est pas parce qu’il veut entrer chez vous. Il est abusé par son reflet où croit voir un étranger. La dispute peut se prolonger, toute tentative pour intimider son double étant vouée à l’échec.

Le chant du rouge-gorge qui nous ravit tant, même en plein hiver, est surtout l’exposé détaillé de son titre de propriété. Il ne lésine pas sur les moyens : les spécialistes ont compté un répertoire de mille trois cents éléments agencés en 300 motifs.

Un animal aussi peu farouche a pris place dans notre cosmos depuis des siècles. Sa compagnie a généré maintes légendes. En chrétienté, notre ami était protégé. Sa couleur originale viendrait… du vendredi saint ! L’oiseau aurait soulagé le Christ en personne en retirant avec son bec des épines de sa couronne, ensanglantant son plastron. Le meurtre d’un rouge-gorge était donc mal vu, et l’on s’interdisait aussi de le mettre en cage. En certains lieux, une superstition prétend que l’irruption d’un rouge-gorge dans une maison est un mauvais présage : un décès est imminent ! Avec le retour de l’ésotérisme, des personnes croient encore que l’oiseau signale la « présence » d’un défunt, par exemple en apparaissant près de sa tombe. J’ose une explication : l’attitude recueillie d’une personne rassure le volatile, qui, d’expérience ou d’instinct, espère trouver à manger grâce à elle.

Ce qui est plus incontestable, c’est que le rouge-gorge casanier qui vous tient compagnie en hiver n’est pas toujours le même que celui que vous rencontrerez en été. Grâce au baguage de nombreux spécimens, on sait que ses migrations sont un chassé-croisé complexe. Hélas, notre pollution électromagnétique et lumineuse y fait obstacle. À Lacanau, en octobre 2020, cinquante rouges-gorges ont été trouvés morts au pied des lampadaires du front de mer.”


Cet article est tiré de la Chronique Des Animaux et des Hommes (08/12/2021), produite et diffusée sur ktotv.

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