Mystérieux Chat-Renard

26 Sep, 2021 | NATURE & ENVIRONNEMENT

Entre le poisson d’avril et l’histoire corse se faufile un félin sauvage endémique de l’Ile-de-Beauté, c’est-à-dire qu’on ne trouve nulle part ailleurs. C’est à l’homme qu’on le doit !

Quand la presse a annoncé la découverte, en Corse, d’une nouvelle espèce de mammifère, le « chat-renard », j’ai cru à un poisson d’avril, mais on était en juin. Ce nom hybride, qui sentait la farce, était sérieux. Partout, on jubilait de cette apparition au milieu de tant de disparitions !

L’étrangeté de ce chat corse, c’est son histoire avec l’homme. Depuis des siècles, il occupe les conversations des bergers montagnards, à la façon du loup garou : près des troupeaux rode une bête à tête de chat et à queue de renard. Elle est passée par ici, elle repassera par là… Nommée en langue corse « gattou-volpe », elle s’accrocherait de toutes ses dents aux mamelles de brebis… Telle était la légende. Quelques attaques nocturnes de chiens, de renard, peut-être de chats errants ont-elles accrédité le mythe ? On aime se faire peur, se vanter de menaces imaginaires.

Or, voilà qu’en 2016, un chat est pris au piège d’un poulailler corse. Les naturalistes peuvent enfin l’observer : la vérité rejoint la fiction ! Non seulement c’est un chat sauvage, et non pas un chat domestique errant ou retourné à l’état sauvage, mais il semble bien qu’il s’agisse d’une sous-espèce jusqu’ici inconnue. Les captures qui suivront valideront l’hypothèse ; la population du « chat-renard » est caractérisée : un pelage roux dense, qui lui permet de grimper jusqu’à 2500 mètres d’altitude, une queue touffue inhabituellement longue, terminée par un fourreau sombre, évoquant celle du renard, des socquettes noires au bout des pattes, sans compter les larges oreilles et les longues canines d’un prédateur aguerri. D’après les premières analyses ADN, notre chat Corse diffère du chat sauvage continental – felix sylvestris – et se rapproche d’un chat sauvage africain, le chat ganté. D’où l’hypothèse qu’il aurait débarqué sur l’Ile de Beauté avec l’homme, il y a 6500 ans, comme animal familier, avant de retourner à la liberté et de se différentier de ses cousins d’Afrique. 

Rendue publique en 2019, la « découverte » du Chat-Renard remet quelques pendules à l’heure. 

D’abord, la science n’aurait pas dû mépriser l’avis populaire. Le berger corse avait de bonnes raisons d’inclure dans son cosmos l’animal qui interagissait avec son troupeau.

Ensuite, l’anthropocène – ce temps si décrié marqué par l’emprunte et les dégâts de l’homme sur la biodiversité – offre une rare occasion de constater qu’une espèce sauvage est née de l’action – certes involontaire – de l’homme. Alors que j’ai déjà souligné à quel point l’irruption du chat sur une île – à cause de nous – peut ruiner sa biodiversité, force est de saluer ce réjouissant contre-exemple : la Corse est bien décidée à reconnaitre et protéger son désormais mythique chat-renard. 

Enfin, sa « découverte », qui a fait couler tant d’encre, mérite une prise de recul. Non seulement, le chat-renard était connu des vieux corses, même s’il faut encore attendre la confirmation de sa spécificité par la génétique, mais j’ai aussi « découvert » en creusant l’affaire, que notre chat avait déjà été répertorié dans les années 50, par un certain Maurice Blanchet. Ce naturaliste suisse en avait même offert un spécimen au muséum d’histoire naturelle de Genève. Les progrès de l’humanité sont chaotiques. Ce que nos anciens savaient, nous l’oublions parfois pour le redécouvrir hébétés. Invitation à l’humilité.


Cet article est tiré de la Chronique Des Animaux et des Hommes (19/05/2021), produite et diffusée sur ktotv.

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