Redonner de la vie aux sols

21 Déc, 2023 | AGRICULTURE, ENVIRONNEMENT

Pratiques d’agriculture intensive, connaissance parcellaire de l’environnement, réchauffement climatique… : mélange détonnant qui impacte fortement la santé des sols. Sylvie Bombrun, conseillère “prairie et pastoralisme” à la Chambre d’agriculture du Jura, témoigne de l’évolution de sa pratique agronomique pour remettre de la vie dans les sols (et ça marche !).

Un début avec la fertilité chimique

Sylvie Bombrun, conseillère “prairie et pastoralisme” à la Chambre d’agriculture du Jura : “Ma pratique de l’agronomie a beaucoup évolué. J’ai commencé par faire de la fertilité chimique. Le principe ? On regarde les éléments dont une plante a besoin – azote, phosphore, calcium… – et en fonction de ce qui semble manquer sur le terrain, on ajoute ces apports. C’était une méthode relativement simple à mettre en oeuvre, et qui semblait fonctionner ; nous avions des prairies de qualité, suffisamment productive pour nourrir les vaches et, ainsi, fabriquer notre comté. Mais ça, c’était avant…

Quand le réchauffement climatique change ses pratiques

J’ai noté un tournant impressionnant en 2018. Suite à la sécheresse de l’été, j’ai pu constater une très large dégradation des prairies. Passionnée de botanique, je m’étais intéressée depuis longtemps aux plantes – dont les plantes bioindicatrices.

Or, le réchauffement climatique a fait apparaître des plantes que l’on ne voyait pas auparavant dans nos champs.

À force de regarder ce qui se passait au-dessus du sol m’est venu très naturellement l’envie (le besoin ?) de regarder ce qui se se passait en-dessous, dans la terre.

Redonner de la vie aux sols - Sylvie Bombrun

Au sujet de la fertilité physique

La fertilité physique désigne ce qui se passe dans le sol. Pour qu’il fonctionne, qu’il soit accueillant à la vie, 3 paramètres sont nécessaires :

  • Le PH (unité de mesure d’acidité, sur une échelle allant de 1 à 14) : pour qu’il soit optimum, il doit se situer en 6,2 et 6,5 maximum, ce qui correspond a priori au rumen de la vache ; au-delà, il sera trop basique, en-dessous, trop acide, et donc pas en bonne santé.
  • L’humus (terre provenant de la décomposition des végétaux) : il est très important que le sol contienne de la matière organique.
  • L’aération : l’air doit circuler afin de laisser l’eau s’infiltrer correctement et les racines descendre dans le sol.

Malheureusement, le changement climatique a eu un gros impact sur la porosité des sols, au point où certains ne parviennent plus à se réparer seuls, comme cela s’est longtemps fait grâce au gel, l’hiver, notamment.

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La fertilité biologique, découverte après 30 ans d’exercice

Il m’aura fallu trente années – quel dommage d’avoir attendu si longtemps ! – pour découvrir la fertilité biologique. Ici, le vivant est au centre du dispositif. Sans vie dans le sol, on pourra bien apporter tous les éléments nutritifs que l’on veut, la production agronomique ne se fera pas, ou – tout au moins – ne sera pas qualitative.

Lorsque l’on parle de la vie du sol, à quoi cela correspond il vraiment ? C’est assez complexe : on retrouve de la macrofaune – tous les organismes visibles tels que les vers de terre et les décomposeurs (ces petits êtres vivants qui assurent la décomposition de la matière organique, en particulier les feuilles mortes tombées au sol, et la transforment en matière minérale).

Il y a également la microfaune – impossible à voir à l’œil nu car ils sont, comme leur nom l’indique, microscopiques – ce sont toutes les bactéries, absolument essentielles pour la vie des sols.

On trouve aussi des champignons qui vont permettre aux plantes d’améliorer leur capacité d’absorption des éléments minéraux. La nature est bien faite : en échange, grâce à la photosynthèse, la plante apporte aux champignons l’énergie qu’ils ne sont pas en capacité de récupérer seuls.

Le principe de cette fertilité est donc de nourrir la vie du sol pour qu’elle fournisse aux plantes les éléments dont elles ont besoin.

Le jardin de Sylvie Bombrun : photo prise le 30/07/2023, avant ses travaux

Quand Sylvie tente de refertiliser le sol de son jardin

Justement, le sol de mon jardin manquait cruellement de vie. C’est quand même un comble pour une agronome de ne pas savoir faire pousser des légumes dans son propre jardin !

J’ai commencé par un diagnostic des problèmes : le PH était trop basique, l’eau restait en surface, l’aération manquait et les racines, par conséquent, ne descendaient pas en profondeur : tout allait mal !

Pour réacidifier le sol, j’ai ajouté de la tourbe, cette matière combustible spongieuse et légère, qui résulte de la décomposition de végétaux à l’abri de l’air. A contrario, ceux qui ont un PH plutôt acide peuvent remettre du calcaire dans leur sol (via des coquilles d’œuf, par exemple).

J’ai bêché pour aérer, apporté du fumier de cheval pour nourrir les bactéries et tenté ce que recommande Eric Petiot : apporter du basalte – roche volcanique paramagnétique, riche en silice – au sol. Elle serait en capacité de ramener les conditions d’accueil de la vie dans le sol. Puis j’ai apporté des extraits fermentés de consoude pour ramener de la vie. Une bonne couverture pour protéger le sol de la chaleur et des fortes précipitations (herbes sèches) et le tour est joué !

J’avais fait le pari avec un ami que j’aurais des tomates avant l’hiver. Il pensait que c’était impossible ; je peux vous dire que je les ai eues, mes tomates !

Cela étant dit, il va sans doute falloir renouveler ces opérations quelques années avant que mon sol ne se remette vraiment en fonctionnement.

Ce que je voudrais dire ici, c’est qu’il n’y a pas de recette miracle, il existe tellement de contextes et de sols différents qu’il n’est pas possible d’apporter une solution universelle. C’est aussi cela qui est intéressant : analyser, essayer de comprendre, trouver des solutions localement…

Deux enjeux majeurs

Pour moi, actuellement, les deux grand enjeux sont : l’eau et la vie des sols. Tout simplement parce que nous, êtres vivants, auront toujours besoin d’eau de qualité pour boire et manger. L’eau de pluie devrait être récupérée au maximum. Par ailleurs, un sol qui fonctionne bien est un sol qui va faire pousser des plantes de qualité et donc des aliments de qualité pour nous et notre bétail, dans un deuxième temps.”

Jardin de Sylvie Brombrun. Photo prise le 26/09/2023

Pour aller plus loin, nous vous proposons de découvrir le témoignage de Vincent Vignon, écologue : Aménagement vs préservation du territoire : un mariage impossible ?

Découvrez la version podcast : Redonner la vie aux sols – Sylvie Bombrun, conseillère prairie et pastoralisme

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