Réfléchir à la raison d’être de l’entreprise

20 Sep, 2022 | AGRICULTURE, ECONOMIE, TRAVAIL

Philippe Royer, auteur de S‘engager pour le bien commun, explique pourquoi il est stratégique de se recentrer sur la raison d’être, la vocation, de l’entreprise.

La raison d’être de l’entreprise

Philippe Royer : “J’ai dirigé un groupe qui est engagé aujourd’hui dans la logique d’entreprise à mission. Cela m’a d’ailleurs amené, avec Jean-Dominique Senard (président du groupe Michelin de 2012 à 2019, puis de Renault depuis janvier 2019) et Nicole Notat (secrétaire générale du syndicat CFDT de 1992 à 2002 et PDG de Vigeo Eiris jusqu’en 2020), à devenir acteur de la loi PACTE et du rapport qui l’a précédée.

Notre question de fond était : quel est le pourquoi de l’entreprise ? La vocation de l’entreprise est-elle de produire de la richesse qui sera distribuée aux actionnaires associés, voire aux salariés et qui pourra servir à investir ? Ou est-ce au-delà de ça ? L’entreprise doit réfléchir à sa raison d’être : pourquoi a-t-elle été créée et quel sens cela donne-t-il à son action.

C’est fondamental d’être capable de donner aux salariés le pourquoi de leur réalité quotidienne au travail. Et d’autant plus à l’ère du télétravail, car si les gens se retrouvent chez eux la moitié de la semaine, à travailler sans en comprendre le sens, cela risque de provoquer des dégâts collatéraux.

Le rôle du dirigeant, de l’entrepreneur, est de faire résonner cette raison d’être collective avec l’émergence des raisons d’être individuelles – ce que l’on pourrait appeler la vocation. Quand vous arrivez à les mettre en synergie, vous entrez alors dans l’écosystème de l’entreprise à mission.

Et quand vous vous dotez en sus d’un comité de mission qui écoute les consommateurs, les fournisseurs, les partenaires, vous finissez par ne plus avoir peur de la transparence, ni du fait d’être challengé. Vous vous mettez dans la dynamique de contribution d’amélioration de qualité pour le bien commun.

L’expérience Natur’Elevage

En 1998, j’ai repris la direction d’une PME dans le domaine de l’agriculture, à Laval (Mayenne). Cette entreprise généraient quelques contestations de la part de la population, au regard des méthodes d’agriculture intensive appliquées. Quant aux agriculteurs – qui s’occupaient pourtant du vivant à travers le soin des animaux, du sol, des plantes – ils étaient devenus contre l’écologie (qu’ils résumaient à un parti politique) !

Quand je suis arrivé, nous avons rapidement lancé ce travail sur la raison d’être de l’entreprise. On est remonté aux origines : pourquoi l’entreprise avait-elle été créée initialement ? Et si elle était créée aujourd’hui, que devrait-on faire pour les 50 ans à venir ?

C’est comme cela que nous avons découvert que l’entreprise avait vu le jour dans les années 1960, par un groupe d’agriculteurs désireux de répondre à des enjeux d’autosuffisance alimentaire. L’origine de cette entreprise était donc bonne, l’objectif étant de nourrir le monde. Avec les années, les dérives d’une agriculture trop productiviste sont apparues. Comment régénérer la raison d’être initiale dans un contexte qui a évolué, où il y a eu de significatifs excédents alimentaires en France ?

Un élément de réponse : ne pas fuir la modernité. Il y a toujours un risque à vouloir revenir 50 ans en arrière. Grâce à cette première réflexion, nous sommes devenus leader de l’objet connecté en agriculture. Ainsi, via un collier capable de détecter les éléments de santé de l’animal, nous avons baissé le taux de consommation d’antibiotiques de 80 % dans les élevages qui ont fait appel à cette technologie.

Retrouver du bon sens

J’ai accompagné un grand projet de méthanisation territoriale, composé de 120 agriculteurs. On a trouvé un partenaire industriel, une entreprise laitière, qui a valorisé la chaleur derrière le méthaniseur. On a également récolté tous les déchets verts des communautés de communes. Le compost était repris pour être épandu sur les exploitations agricoles, donc moins d’engrais minéraux.

Et là, nous avons vu que l’industriel, les agriculteurs, les citoyens, les politiques, étaient capables de se retrouver. Ensemble, ils faisaient lien et produisaient de l’énergie.

On retrouve le bon sens paysan que l’on n’aurait jamais dû perdre. Et c’est un deuxième élément de réponse pour affiner la raison d’être de l’entreprise. Ce bon sens paysan, il y aurait besoin de le diffuser dans tous les secteurs de l’économie ; autant il faut comprendre la complexité du monde, autant il est temps de recommencer à prendre des décisions simplement, sur la base du bon sens. On en manque cruellement !”


Découvrez une autre vidéo de Philippe Royer : Trouver sa vocation : oser écouter ses intuitions

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