Résorber la vacance pour habiter la ville

15 Sep, 2017 | Non classé

Les membres de plateau urbain, coopérative d’urbanisme temporaire, propose de réinventer notre conception de la ville, pour toujours plus de vie. Cet article est issu du livre “Société de Bien Commun, pour changer la donne à hauteur d’homme”.

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FÉDÉRER UN RÉSEAU AUTOUR D’UNE MÊME IDÉE

Plateau Urbain, c’est à l’origine l’initiative de Simon Laisney,  alors analyste immobilier, qui rassemble une douzaine de personnes évoluant dans les domaines de l’urbanisme, de l’aménagement, de l’immobilier et des arts vivants, rencontrées au cours des études, de stages et premiers postes, toutes interpelées par un état de fait dérangeant :  la vacance de 4 millions de m² de bureaux en Île-de-France, dont 800 000 m² inoccupés depuis plus de cinq ans, l’équivalent de 44 tours Montparnasse. Simon expose une idée simple : « inventer une sorte d’Airbnb  de la vacance immobilière. Faire en sorte qu’occuper des immeubles vides, moyennant le prix des charges, devienne légal, en créant une boîte  à outils pour l’occupation éphémère ».

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 SOUTENIR LA CRÉATION ET AINSI L’ÉNERGIE DE LA VILLE

Au fondement de cette ambition de développer l’occupation éphémère en lui donnant des cadres légaux, c’est un projet social qui est visé : permettre à de petites structures, aux moyens limités – artistes, associations, entreprises de l’économie sociale et solidaire – d’occuper des locaux bon marché en pleine ville pour y héberger leurs activités et ainsi, soutenir la création au sens le plus large possible.  L’objectif est d’inclure ceux qui ne trouvent pas toujours leur place dans la ville traditionnelle : les acteurs artistiques et culturels, que plus personne ne peut financer mais que tout le monde souhaite avoir auprès de soi ;  les jeunes entreprises, aussi utiles que fragiles en ces temps de crise économique ; les acteurs associatifs, dont l’action quotidienne, locale, désintéressée, contribue à faire tenir une société ébranlée par cette crise.  L’objectif est également d’offrir le terreau le plus propice au développement d’activités créatives, inattendues, d’usages alternatifs qui font l’énergie de la ville, dans des lieux momentanément délaissés, non valorisés.
Les acteurs et usagers de l’urbanisme temporaire portent collectivement des valeurs à la fois urbaines, sociales et politiques. Ils mixent les usages et les publics. Ils savent s’adapter au contexte, ils assument l’incertitude, ils réfléchissent en permanence à la mutabilité, à la réversibilité, à la résilience de leurs actions. Ils ne coûtent pas cher et parviennent souvent à s’extraire des impératifs de rentabilité à court terme, ce qui favorise la création. Dans ce contexte, tous ces usagers continuent à prétendre à la subversion de l’usage et à fabriquer du détournement. Leur indépendance assumée vis-à-vis de l’espace physique, auquel ils préfèrent le projet collectif, leur confère finalement un surplus de liberté.
Mixité, résilience, création, liberté… Tous ces ingrédients constituent peut-être le fondement de la ville proprement dite. Ils constituent en tout état de cause l’ADN de Plateau Urbain.

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UN NOUVEAU PARADIGME IMMOBILIER UTILE

Le discours de Plateau Urbain aux promoteurs est qu’ils ont tout à gagner à faire occuper un bien temporairement inexploité. En effet, la vacance est coûteuse (frais d’entretien, charges de copropriété, taxe foncière et, lorsque la surface est importante, portes anti-squat ou maîtres-chiens), un immeuble vide nuit à la dynamique d’un quartier, à son image et en définitive, à sa valeur. Les promoteurs peuvent également trouver valorisant de soutenir des artistes, de rendre des projets et expériences inédits possibles et de faire revivre des friches, selon une conception renouvelée de la culture urbaine française, à rebours de la ville mondialisée guettée par une certaine standardisation.

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UN IMPORTANT POTENTIEL FACE À UNE DEMANDE… TOUT AUSSI IMPORTANTE 

D’un côté, des promoteurs, des collectivités, des établissements fonciers possèdent des espaces vacants, de l’autre, des artistes, des entreprises émergentes et des associations recherchent des locaux pour leurs activités. Mais ces deux mondes s’ignorent. Les fondateurs de Plateau Urbain ont l’intuition qu’il y a peut-être là un dialogue à inventer.  L’association naît de cette intuition qui a trouvé un écho. L’association a été créée en 2013. De beaux projets et importantes concrétisations, le lancement d’une plateforme numérique permettant de mettre efficacement en relation ces deux mondes, les multiples propositions d’engagement (stages, bénévolat, services civiques), l’apparition de salariés pour suivre les différentes opérations ont convaincu les membres de la transformer en coopérative. Si le statut d’une coopérative est résolument entrepreneurial, une forte vocation sociétale demeure dans son mode de fonctionnement, d’implication et de redistribution. Plateau Urbain compte désormais six salariés,  gère une plateforme numérique qui facilite les candidatures pour l’occupation de locaux disponibles en Île-de-France et est impliqué dans une quinzaine d’occupations légales via des baux précaires qui s’étirent de quelques jours à quelques années.
La plus spectaculaire de ces occupations est sans nul doute le site des « Grands Voisins », 3,2 hectares désaffectés de l’ancien hôpital Saint Vincent-de-Paul (Paris 14ème) au sein desquels 130 structures cohabitent, 1000 actifs, pour 17 euros par mois du mètre carré, aux côtés de 600 personnes hébergées d’urgence grâce à l’association Aurore, et en tout par jour 1500 actifs, résidents riverains et curieux qui viennent profiter des multiples activités et services déployés dans les lieux et ouverts à tous. Il est également à citer : l’OpenBach, anciens bâtiments de SciencesPo Urba situés dans le 13ème arrondissement de Paris, vides et en attente de démolition, qui ont été confiés au collectif d’artistes le Labolic par le bailleur social Lerichemont (propriétaire) ; l’Hôtel d’activité Serpollet, occupation temporaire d’une partie de l’hôtel d’activité Serpollet situé dans le quartier Python-Duvernois (Paris 20ème) ; la Plate-forme culturelle Spinoza, occupation temporaire d’un an dans un centre de formation désaffecté à Paris 11ème ; l’usine Lacépède, occupation temporaire d’un ensemble immobilier de 4700 m² dans le 5ème arrondissement comprenant hôtel particulier et locaux industriels sous verrière ; la Boutique des Frissons, concept urbain culturel et sportif concrétisé dans un local commercial au 56 avenue Jean Moulin dans le 14ème arrondissement de Paris et un local commercial au 143 boulevard Lefebvre dans le 15ème arrondissement de Paris ; ou encore l’accompagnement de Pauline Perplexe, résidence d’artistes, qui a permis de développer de nouveaux projets et renforcer la gestion collective du lieu.

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METTRE EN VALEUR LES VERTUS DE L’URBANISME TEMPORAIRE

Le 24 novembre 2016, toute l’équipe de Plateau Urbain s’est mobilisée, à la demande de la Mairie de Paris, pour concevoir et animer une demi-journée d’échange, de rencontre et de présentation d’expériences dédiée à l’Urbanisme Temporaire. Tenu au Pavillon de l’Arsenal, ce « meet-up » a réuni plus de 700 personnes, impliquées ou simplement intéressées par l’urbanisme temporaire, ses acteurs et problématiques. À l’heure où la ville se cherche de nouveaux usages, fonctions et modèles économiques, de nouvelles solidarités aussi,  l’urbanisme temporaire s’impose comme une évidence pour profiter des bâtiments vides, obsolètes, en marge du marché immobilier et y abriter des projets sociaux, culturels, économiques. Il s’agit bien de restituer leur valeur d’usage à des espaces temporairement dépourvus de valeur d’échange et ainsi, d’instituer un droit à la ville pour les artistes, jeunes entrepreneurs et associations.

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DEMAIN, GÉNÉRALISER LA PRATIQUE DE LA PROGRAMMATION

Aujourd’hui, Plateau Urbain réfléchit aux coopérations, à l’échelle métropolitaine et même nationale, qui permettraient de généraliser la pratique de l’occupation temporaire. Cela passe par la mise en réseau des acteurs, professionnels du réemploi et du recyclage de matériaux, spécialistes de la réhabilitation, des aménagements légers, modulables, de l’architecture itinérante en tête, mais également par la conception et la mise en œuvre d’outils adaptés, au service des usagers : diagnostics techniques, montages juridiques, modèles économiques, etc. La notion de « programmation ouverte », chère à Plateau Urbain, résume bien cette posture : celle d’un urbanisme qui rend la ville possible sans pour autant la déterminer. Trois années après sa création, Plateau Urbain est fier d’avoir porté des pratiques temporaires encore marginales et contribué à dépasser l’opposition entre le provisoire et le pérenne. L’urgence et une temporalité réduite peuvent donner davantage d’occasions d’inventer des alternatives et in fine, de se réapproprier l’urbanisme.
C’est en tout cas ce que défend Plateau Urbain : le droit à la ville devra sans doute en passer par là.

 

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Comment faire advenir une Société de Bien Commun ? Cette question passionne le Courant pour une écologie humaine, qui lance le premier volume d’une collection dédiée à la recherche des conditions et des moyens nécessaires pour faire émerger cette société. Pour changer la donne, à hauteur d’homme.

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