Sur le déclin généralisé de l’acquisition de savoirs

23 Sep, 2023 | EDUCATION & ENSEIGNEMENT, TEMOIGNAGES

D’aucun imagine que nous vivons dans une société du médiocre, une société moyenne qui se contente de consommation passive de contenus abrutissants, une société où l’habileté à dénicher l’information prendrait le pas sur la conquête de la connaissance, la soif de vérité. Tout est-il foutu ? Solweig Dop, Déléguée générale du Courant pour une écologie humaine, répond à cette question à travers le récit d’une jolie rencontre.

Aveyron, Julien, charpentier, boulanger

“Je vous le dis tout de go, sans même tenter de ménager le suspense : non, tout n’est pas foutu ! Il existe encore des êtres qui se coltinent la vie à pleines mains, s’y plongent tout entier, du corps à l’âme, et s’en délectent malgré – ou grâce – aux difficultés qu’ils affrontent sans ciller. Ces êtres d’exception, quand on en rencontre, ça électrise.

C’est précisément ce que j’ai ressenti en rencontrant Julien : un éblouissement. Compagnon charpentier, il a vadrouillé de chantier en chantier pour percer à jour le mystère du bois. Épine après épine, lui est entré sous la peau le cœur de la matière, son essence ; et la solive bien comprise est devenue soutien, le chevron, la panne et tout le reste sont devenus toit, protection, beauté.

Et en domptant la matière, le regard de Julien sur la vie s’est forgé. Toute cette expérience compacte et dure l’a fait réfléchir. Que faire de sa vie ? Qu’est-ce qu’une vie digne, debout, gagnée ? De quoi l’homme a-t-il besoin pour y accéder ? Qu’est-ce que l’homme, au fond ?

Alors, il a fallu lire. Lire ce que les grands d’avant ont cumulés, comme trésors de philosophie, pour nous, ceux de la dernière pluie.

Et déjà, une autre passion point. De la même façon qu’il a triomphé des mystères du bois, Julien se met à décortiquer l’art du levain. Comment faire du pain, gourmand, qui dure ? Quelle farine choisir pour nourrir l’Homme au mieux ? Quels conseils partagent les meilleurs boulangers pour persévérer dans cet artisanat exigeant ?
Julien rencontre, expérimente, progresse. Et se détend, jazz fusion ou bourdonnements d’abeilles dans ses oreilles – car oui, Julien est aussi apiculteur à ses heures perdues.

Ainsi, petit à petit, une vision de la vie digne, debout, gagnée, se dessine. Une poésie joyeuse du quotidien, dans un réel parfois piquant, un réel qui réveille, qui ouvre, qui assouplit.

Ces connaissances et savoir-faire maîtrisés rendent fort. Appuyé sur ce capital confiance, Julien ose un projet. Sous ses yeux, une vieille grange aux allures de chapelle, au bord d’un ruisseau, à deux pas d’un hameau aveyronnais qui compte 5 maison, 2 âmes à l’année et 1 four à pain. Ce dernier nécessite quelques réparations, mais quelle merveille ! Il pourra devenir un outil de travail et un commun pour les habitants du village accroché en surplomb du hameau.

C’est décidé : cette grange, qui ne protège plus de bétail depuis trente ans, il la fait sienne. Il va la retaper, seul ou avec ceux qui, au fil des rencontres, voudront bien l’aider. Et s’y installer, quand son laboratoire sera opérationnel, pour faire de la boulange. Trois fournées par semaine – de quoi subvenir aux besoins des habitants de la vallée. Et le reste du temps, il proposera ses services de charpentier, il cultivera son potager, il bichonnera ses ruches et continuera à tisser des liens chaleureux avec Rosy et Alain, mère et fils, uniques voisins, qui l’ont accueilli avec une générosité sans pareille.

Une vie solide, branchée sans filtre au réel. Julien a 38 ans. C’est un homme debout, libre, en paix. Notamment parce qu’il a eu l’audace de conquérir des connaissances – artisanales et intellectuelles – à la sueur de son front.

Cet exemple de vie de Julien est un cadeau. De quoi sortir d’une certaine médiocrité, si on la ressent effectivement et que l’on ne s’en satisfait pas. De quoi déployer ses ailes et se désolidariser du déclin généralisé de l’acquisition de savoirs, en s’adonnant à son passe-temps favori, en laissant passer le temps, en vivant à contre-temps, en respectant le temps de chaque chose, en osant l’errance et l’accueil d’un destin non-bétonné…”

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