Pourquoi soigner encore en fin de vie ?

6 Oct, 2017 | Non classé

Anne-Marie Trébulle, Directrice des soins dans un établissement de soins palliatifs, travaille depuis trente ans dans l’univers hospitalier (cancérologie, chirurgie, réanimation). Témoignage sur un métier fort en sens.
Cet article est issu du livre “Société de Bien Commun, pour changer la donne à hauteur d’homme”.

Soignants

CHOISIR DE DEVENIR SOIGNANT

Choisir de devenir soignant peut être inspiré par des motifs aussi variés que le besoin d’action, l’envie de pouvoir bouger ou la nécessité de choisir un métier où le chômage est moindre que dans d’autres branches.  Mais quel que soit ce motif, on ne peut pas devenir soignant sans avoir viscéralement la volonté d’aider les autres. Et pour certains d’entre nous, cette volonté va jusqu’à choisir d’aider les plus vulnérables, ceux pour qui on pourrait croire qu’il n’y a plus rien à faire.
Travailler dans une unité de soins palliatifs, c’est accompagner, soigner, soulager sans chercher à guérir. La mort vaincra, mais nous aurons rendu par nos soins les dernières semaines, les dernières heures, plus paisibles. Les accompagner et les soulager permet aux personnes en fin de vie, en diminuant leurs douleurs physiques, en écoutant leurs souffrances psychologiques ou existentielles, de continuer à vivre ces instants.

LitsHopitaux

LES SPÉCIFICITÉS DES SOINS PALLIATIFS

Quelle différence existe-t-il entre les services de soins palliatifs et les autres, plus traditionnels ? Quelques points présentés factuellement et sans jugement de valeur :

• Tout d’abord, le temps n’est pas le même. Actuellement, dans les services hospitaliers traditionnels, la durée d’hospitalisation est réduite au minimum, à la fois pour protéger le malade des infections possibles mais aussi pour diminuer les coûts. Dans les unités de soins palliatifs, le temps est celui du malade. La mort n’est ni précipitée ni retardée.  Et on ne peut anticiper les admissions puisqu’elles dépendent des départs. Le patient peut, s’il le souhaite, se recentrer sur ses besoins, réfléchir parfois au sens de sa vie, faire le point avec les siens…

• La volonté commune est aussi différente. Ici, les médecins sont « formatés » pour guérir, là ils savent qu’ils pourront soigner mais ne gagneront pas contre la maladie. L’équipe peut alors avancer dans la même direction, tous unis par cette certitude que l’échec n’est pas le décès du patient mais son non-accompagnement. Lorsque tous ensemble, quelle que soit notre fonction dans l’équipe, nous agissons dans le respect mutuel, en plaçant le malade au centre de nos préoccupations, le travail de chacun prend tout son sens.

• La composition et le fonctionnement de l’équipe sont différents.  Ici, chacun avance à son rythme et, en caricaturant, le malade suit. Là, il n’est pas question de déranger le malade pendant son repas par exemple, et si le médecin souhaite faire sa visite, il repasse après le petit-déjeuner. Dans les unités de soins palliatifs, il y a aussi des bénévoles d’accompagnement formés qui appartiennent à l’équipe. Leur regard est complémentaire à celui des professionnels. Ils représentent la société qui visite les malades et leur dit implicitement : « Vous avez encore du prix à nos yeux ; Quel que soit votre état physique ou cognitif, je prends du temps gratuitement pour vous l’offrir ». On est alors très loin de la rentabilité et du consumérisme.
Toute cette prise en charge commune, très succinctement décrite ici, va permettre aux personnes hospitalisées de trouver ou retrouver une relative sérénité. Elle va permettre aux familles de se recentrer autour de leur proche, de crier parfois leur colère ou leur souffrance. Tout simplement d’exister. Le patient n’appartient plus à l’hôpital mais, sujet jusqu’au bout, il retrouve une place dans son environnement social. L’implication des professionnels et des bénévoles dans cette voie n’est pas anodine. Elle demande un engagement profond qui va au-delà du simple travail. La personne malade n’aura peut-être pas de demain,  il faut lui consacrer toute notre énergie aujourd’hui.

Vieille

CE QUI SE PROFILE

Quel avenir nous prépare-t-on ? Comment assurer, assumer ces prises en charge en payant décemment les salariés quand les tarifs diminuent sans discontinuer ? Quel message envoyons-nous aux équipes soignantes, aux malades, à la société, en méprisant tellement le travail fourni, qu’un aide-soignant dans un hôpital est moins bien traité qu’une personne faisant le ménage chez un particulier ? Le grave défaut de reconnaissance financière est révélateur. Qui peut dire l’impact psychique que constitue l’accumulation de toilettes mortuaires ? Et pourquoi ? Pour la joie de finir sa journée en se disant qu’elle a été riche de sens et tournée exclusivement vers le bien de l’autre. Le travail a été accompli avec conviction. Mais pour tenir dans la durée, il ne faut pas être rongé par les soucis du quotidien.

Pour tenir dans la durée, il ne faut pas non plus avoir à combattre les personnes. Quelles personnes me demanderez-vous ? Celles qui arrivent en brandissant le droit à une sédation profonde et continue comme un étendard, sans se soucier de l’esprit de la loi. La pratique de la sédation transitoire est fréquente en soins palliatifs, lors de certaines situations aiguës, mais ces sédations sont discutées entre le patient et le médecin. Les exigences de sédation profonde et continue que nous voyons apparaître aujourd’hui entraînent les médecins et leurs équipes dans des explications, voire des controverses inédites. La loi propose cette solution dans certains cas précis mais nous voyons déjà les risques de dérives. Dérives venant des malades eux-mêmes qui ne supportent plus leur état et exigent une sédation immédiate, des familles pour lesquelles la situation est insupportable, et même des professionnels qui peuvent être fatigués. Faire taire un malade qui souffre en l’endormant est une solution de facilité. Plus besoin d’écoute, d’échanges, puisqu’il dort !  Mais ne plus l’entendre, est-ce vraiment résoudre ses problèmes ?

Dans les unités de soins palliatifs, où le sens des actes est réfléchi et posé, ces situations ne sont déjà pas faciles à gérer. Mais que penser de l’avenir de ces demandes dans les services traditionnels où le temps, qui est pourtant un des axes incontournables de la loi, est compté ? La sédation telle que prévue dans la loi Clays-Leonetti demande d’avoir pris le temps d’essayer de soulager les patients, temps qui n’existe plus dans la réalité hospitalière actuelle, où il faut limiter au maximum les durées de séjour…

Quel avenir nous prépare-ton ? Oserais-je pousser la provocation jusqu’à affirmer qu’il vaut mieux avoir un cancer en région parisienne, qu’en province ? Pourquoi ? Tout simplement parce que les régions sont très largement sous dotées en lits de soins palliatifs. Oserais-je pousser la provocation jusqu’à affirmer qu’il vaut mieux avoir un cancer qu’une maladie dégénérative liée à l’âge ? Pourquoi ? Parce que, quel que soit le lieu de vie dans l’Hexagone, les malades porteurs de dégénérescences neurologiques ne peuvent être accueillis en soins palliatifs faute de place. Doit-on en conclure que c’est une chance d’avoir un cancer ?

Et la solution n’est certainement pas d’abandonner ces malades. Laisser la situation se détériorer, c’est encourager la peur de la mort qui envahit tant de nos compatriotes. Et cette peur engendre l’envie de maîtriser, de « choisir » sa mort. Personne n’a envie de souffrir, personne n’envisage sereinement sa propre dégradation physique. Et on croit que la solution est de mettre fin à la vie. Or de nombreuses années passées auprès des malades et des familles me permettent d’affirmer que ces moments sont riches et que les accompagnements « réussis » ont des conséquences positives pour les survivants. Les témoignages des familles et des proches le prouvent quotidiennement.

Il faut réfléchir, ensemble pour comprendre comment nous pouvons avancer. Pour devenir encore plus créatifs et trouver le moyen de poursuivre dans cet accompagnement.
La personne malade  est au centre, favoriser  les moments de plaisir  est une injonction institutionnelle.  Pas de systématisme,  mais du soin adapté  et personnalisé.

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QUELQUES MESSAGES

Je vous affirme, à vous, familles et proches qui souffrez à l’idée de perdre celui ou celle que vous aimez, qu’à de rares exceptions, vous trouverez dans l’accompagnement proposé au sein des unités de soins palliatifs, l’écoute et la reconnaissance de votre souffrance (parfois pour certains d’entre vous, celle de votre colère) autant que celle de celui qui va partir.

Votre malade sera pris en charge dans la globalité de sa personne et restera un sujet, ne sera pas réduit à n’être qu’un objet de soins.  Et une fois encore, sans faire d’angélisme, je vous affirme qu’en voyant ses souffrances reconnues et réduites à un seuil acceptable, vous retrouverez ensemble le sens de ses moments à partager. Sauf en de rares cas motivés par des raisons idéologiques, les malades que nous prenons en charge ne demandent plus d’euthanasie dès lors qu’ils sont soulagés. Et vous, familles et proches, pourrez vivre pleinement ce temps qui vous reste à partager.
Je vous demande instamment, à vous, hommes et femmes politiques qui construisez notre avenir, de réfléchir à une société qui prend en charge les plus vulnérables. Elle seule est une société qui a de l’avenir. Que voulez-vous pour vous-même ? Ne sommes-nous pas les malades de demain ?

 

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Comment faire advenir une Société de Bien Commun ? Cette question passionne le Courant pour une écologie humaine, qui lance le premier volume d’une collection dédiée à la recherche des conditions et des moyens nécessaires pour faire émerger cette société. Pour changer la donne, à hauteur d’homme.

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