À Deux Mains : développer le “sport-études des savoir-faire” dans le cadre scolaire – Adélaïde

24 Sep, 2025 | ÉDUCATION & ENSEIGNEMENT

Et si les collégiens apprenaient à coudre, à jardiner ou à réparer une voiture sur le temps scolaire ? Adélaïde et son associé Vincent, fondateurs de l’association À Deux Mains, font le pari que développer la passion du travail manuel 
peut changer des vies.

« Nous sommes nés avec des mains, ce n’est pas pour rien ! »

Adélaïde, vous êtes la co-fondatrice de l’association À Deux Mains. Quelle est l’origine de cette initiative ?

Adélaïde, co-fondatrice d’À Deux Mains : “L’intuition de départ vient de Vincent, mon associé. Dès son plus jeune âge, il a suivi des classes à horaires aménagés de chant choral et a suivi un parcours musique-études. Plus tard, il en a d’ailleurs lui-même dirigé. C’est là qu’il a pris conscience de l’intérêt d’intégrer la passion à la scolarité des jeunes : en termes d’implication, de déploiement, de motivation de l’élève… ça fait toute la différence.

Il se trouve que l’une de ses filles s’est révélée passionnée de cuisine. Il a donc cherché l’équivalent des classes à horaires aménagés dans ce domaine spécifique… mais rien n’existe en France en voie générale !

Face à ce constat, nous avons décidé d’agir : voilà comment est née À Deux Mains. Rendre la pratique des savoir-faire, sur temps scolaire, accessible à tous les élèves.”

Concrètement, comment fonctionne À Deux Mains ?

“Nous aidons les établissements scolaires à créer ou à pérenniser des ateliers manuelle sur temps scolaire sur un format similaire à celui d’une option. Nous couvrons plusieurs familles de métiers :

  • les métiers de la terre,
  • les métiers de la mode,
  • les métiers de l’ingénierie-industrie,
  • les métiers de la construction,
  • les métiers de bouche.

Un jeune va pouvoir s’inscrire à une ou deux familles de métiers dans l’année, pour découvrir différents univers. On crée tout de façon clé en main pour l’établissement. Et comme nous ne sommes pas experts en cuisine ou en mécanique, nous nous adossons à des artisans pour créer les programmes.

On va également gérer l’équipement des établissements scolaires, en installant des machines à coudre, en fournissant des pelles, des brouettes… en bref, tout le matériel nécessaire pour déployer ces activités. Et on va identifier – et rémunérer – un artisan ou un professionnel pour transmettre son geste devant les élèves.”

Vous jouez aussi un rôle dans le financement de cette mise en place ?

“Oui, c’est d’ailleurs mon métier ! Aller chercher des financements auprès de fondations d’entreprises, de donateurs privés… auprès de toute personne souhaitant  soutenir l’ouverture d’une ou plusieurs sections manuelles, où que ce soit en France.”

Comment se déroule une année pour un élève qui suit les ateliers À Deux Mains ?

“Une année scolaire se divise en plusieurs modules. Cela peut être, par exemple, un trimestre dédiée à la pratique du bois, puis un autre à la couture. C’est au choix du chef d’établissement.

Chaque module dure le temps nécessaire à la fabrication ou à la réparation d’un objet. Nous rythmons ces séances pratiques avec des visites d’entreprises, d’usines, d’ateliers et d’écoles dans le supérieur permettant aux élèves de démystifier ces métiers, et parfois de se projeter.

Nous concluons l’année par une remise de diplômes, généralement au moment de la fête de fin d’année. En effet, il nous semble essentiel de célébrer non seulement les compétences techniques, mais aussi relationnelles et intellectuelles acquises au travers de ces ateliers.”

Des histoires de jeunes qui vous ont marquée ?

“Je pense à Philippa, une collégienne de sixième qui a appris à coudre un sac. Elle le portait sur son dos lorsqu’une de ses amies l’a interpellée : « Tu es contente ? » Philippa a aussitôt répondu : « Non. Je ne suis pas contente, je suis fière. »

J’en ai eu les larmes aux yeux. Nous étions en plein dans notre mission : permettre à des jeunes de développer l’estime d’eux-mêmes à travers le travail manuel.

Autre exemple, à Bobigny. Nous y avons ouvert une section mécanique pour des jeunes gros décrocheurs scolaires. L’un d’eux, dont le parcours scolaire paraissait particulièrement chaotique, s’y est inscrit et, dès la première séance, se fait repérer par l’artisan qui décèle en lui un vrai talent. Nous venons d’apprendre que ce jeune avait choisi de poursuivre un cursus dans une filière pro mécanique auto. Ça, pour moi, c’est un vrai succès”

Pourquoi ramener le travail manuel dans le cadre scolaire, pour tous, est-il si important selon vous ?

“Aujourd’hui, les jeunes passent a minima plus de 26 heures par semaine devant des écrans. C’est énorme ! Cela impacte négativement la concentration, la capacité à s’épanouir dans le travail, la quête de sens…

À l’inverse, travailler avec ses mains, engager son corps entier dans l’action, c’est retrouver un ancrage. C’est voir concrètement ce que l’on est capable de créer, étape par étape. Une couture, une étagère, une pâte qui lève : des gestes simples qui peuvent donner du sens aux apprentissages théoriques tels que le calcul, la chimie, etc. 

Le travail manuel favorise la présence, la dextérité, la fierté. Cela rend capable. Et chez beaucoup de jeunes, ça change tout.”

C’est une initiative révolutionnaire !

“Je pense que oui. La vraie révolution d’À Deux Mains est de généraliser l’apprentissage des savoir-faire sur temps scolaire, pour tous les élèves. Qu’ils soient bons ou mauvais, lents ou rapides. Dès le plus jeune âge. Ainsi, certains jeunes pourront développer un talent, sans se sentir enfermés dans un métier. D’autres pourront révéler une future vocation professionnelle.

Cela fait également écho à notre époque, où l’une des priorités est d’apprendre à connaître notre environnement pour le respecter, à limiter le gaspillage. Apprendre à coudre, c’est apprendre les matières, apprendre à réparer et donc, à sortir d’une logique de consommation de masse. De la même manière, quand on travaille le bois, le moindre défaut entache l’objet fini. Il faut respecter la matière, le vivant.”

Il y a une vraie dimension pédagogique dans votre approche.

En effet. La mission d’À Deux Mains est avant tout éducative. J’ajouterais que le rapport à la matière réajuste également le rapport à l’échec. À l’école, en France, nous insistons sur la notation des élèves, souvent perçue comme un jugement de la personne. Il y a les “bons” et il y a les “mauvais”. Quand vous travaillez un objet, au contraire, vous êtes sanctionné pour ce que vous faites, pas ce que vous êtes. L’artisan va vous faire reprendre votre geste. Vous allez constater vos progrès avec le résultat de votre ouvrage, tout simplement. Cette différence de jugement me semble fondamentale.

Vous accompagnez les établissements de A jusqu’à Z ?

“Tout à fait. Nous facilitons le plus possible le travail du directeur d’établissement dont on sait qu’il manque souvent de temps et de moyens financiers. Mais jamais d’intérêt pour le travail manuel, ça, c’est certain !

L’équipe d’À Deux Mains va donc d’abord chercher des financements nationaux et locaux, puis accompagner les établissements sur toute la partie logistique, la plus “clés-en-mains” possible, notamment en matière d’équipement matériel, repérage d’artisans, mise en place d’assurance, etc. Sur le plan pédagogique, nous ne créons pas les contenus nous-mêmes mais nous nous appuyons sur des experts-métier ayant la double casquette savoir-faire et transmission.”

Comment fait-on appel à votre association ?

“Nous pouvons être contactés par un chef d’établissement, un enseignant ou même un parent d’élève. 
Nous proposons une réflexion en plusieurs temps : nous démarrons par une étude de faisabilité, suivie d’une période de concrétisation du projet adaptée à la réalité du terrain. Enfin, si tout est au vert, nous signons une convention de partenariat sur une première année test, puis sur plusieurs années. Les établissements peuvent postuler directement depuis notre site internet entre juillet et fin novembre pour l’année suivante.”

Un mot pour ceux qui voudraient s’engager avec vous ?

“Si vous avez des enfants, des neveux, des élèves, si vous croyez aussi que cette intelligence de la main existe, alors, contactez-vous !

Il nous faut trois mois pour ouvrir une section dans un établissement. Et ça peut vraiment changer la trajectoire d’un jeune, lui permettre de découvrir ses talents, d’être reconnu… et de devenir un adulte plein de ressources et d’épanouissement !”


Découvrir le site de l’association À Deux Mains : adeuxmains.org /  contact@adeuxmains.org

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