De son premier origami à l’école à sa reconnaissance par la Nippon Origami Association, Junior Fritz Jacquet a bâti une œuvre singulière où le papier devient matière vivante. Maître du pli et de la récupération, il signe aujourd’hui des installations monumentales qui questionnent notre rapport au monde et à sa fragilité.
Les propos ci-dessous sont extraits de l’interview vidéo.
Une vocation née d’un regard différent
Je n’ai pas vraiment d’étapes qui m’ont amené à devenir artiste… C’est la vie, tout simplement, dit-il en souriant.
Junior Fritz Jacquet raconte son parcours avec un naturel désarmant : J’ai la chance d’être dyslexique et ça m’a permis de voir et de comprendre les choses autrement.
Pour lui, ce “regard autrement” a tout déclenché. Là où les enfants plongent dans les livres, lui plonge dans le sport, le geste, la matière. Et un jour béni, dans le papier.
Le premier pli : une découverte qui change tout
Il avait sept ans, venait d’arriver en France et apprenait tout juste le français en classe d’adaptation : ma maîtresse nous a fait faire un origami. J’ai fini dans les premiers alors que j’étais loin d’être le meilleur élève…
Une petite victoire qui ouvre une porte.
Quelques années plus tard, à douze ans, un bibliothécaire de Saint-Ouen rallume l’étincelle : il m’a dit : “Va voir ce livre sur l’origami et amuse-toi”. Et c’est là que ça a vraiment commencé.
Cette fois, le geste rencontre l’esprit : ma forme de dyslexie, c’est un repérage tridimensionnel accru. Je vois la forme à plat et dans ma tête, elle se met en volume.
L’origami devient alors un langage naturel. On réduit son monde à une simple feuille de papier… et avec un peu d’imagination, ça devient un univers.
Hermès : un nouveau regard sur la matière
En 2024, Hermès sélectionne Junior Fritz Jacquet pour son Académie des Savoir-Faire consacrée, cette année-là, au papier. Une expérience décisive.
On a voyagé un week-end par mois pour voir le papier sous toutes ses formes : fait à l’ancienne, ou dans des usines totalement robotisées. J’ai vu comment étaient fabriqués la monnaie, le papier Canson… C’était passionnant.
Ce qu’il en retient ? Une révolution silencieuse.
J’utilisais le papier pour ses qualités techniques. Mais maintenant, j’ai une vision à 360 degrés de cette matière. J’ai découvert l’histoire du papier ; ça m’a rendu plus complet, en tant qu’artiste. Et ça va probablement m’ouvrir de nouvelles façons de pratiquer l’origami.
Maître origamiste : une tradition réinventée
La Nippon Origami Association lui décerne le titre de maître origamiste. Une consécration rare, pour célébrer une révolution de cet art de papier.
L’origami est très anguleux. Moi, les choses trop carrées, ça ne me plait pas. Alors j’ai commencé à arrondir, froisser, modeler…
Sous les doigts de Junior Fritz Jacquet, le papier devient sculpture et l’origami est propulsé dans la modernité : ça faisait des années que la technique n’avait pas évolué. Je crois que c’est ça qui les a décidés à me décerner ce titre. J’ai apporté quelque chose de nouveau.
Créer d’un seul tenant : une contrainte qui libère
Junior Fritz Jacquet aime travailler d’une seule feuille, sans découpe ni collage : ce n’est pas une contrainte. Mon esprit fonctionne comme ça. Une seule feuille, ça réduit le champ des possibles… et ça me garde concentré.
Mais pour ses installations monumentales à travers le monde, il a néanmoins dû s’adapter : une raie manta de huit mètres… c’est mieux en deux morceaux. Sinon il faut une feuille de la taille d’un terrain de basket !
L’Odyssée de Léa : plonger dans un océan de papier
Son exposition immersive, L’Odyssée de Léa, grandit d’un hangar à l’autre. Elle est passée de 24 m², à 40… jusqu’à 4 000 m² !
Le titre de départ – “L’Océan de Léa” – a évolué en odyssée, dans cet espace du Pavillon vendôme de Clichy : les visiteurs commencent dans les abysses, puis remontent jusqu’à la lumière. Il faut fournir un petit effort, grimper les escaliers recouverts de papier… et enfin respirer ! C’est une odyssée !
Ce qu’il veut transmettre ? Je ne suis pas là pour pointer du doigt. Je me suis dit : si je recrée la fragilité de l’océan de façon artistique, avec un matériau qui devait partir à la poubelle, peut-être que ça touchera les gens. Et quand on est touché par quelque chose, on en prend généralement mieux soin.
L’art de transformer les déchets en trésor
Les tonnes de papier utilisées pour l’Odyssée de Léa proviennent d’une usine en faillite. Du papier sulfurisé, impossible à recycler. Frôler la poubelle, et finir admiré par tous… J’ai trouvé ça magnifique, comme message !
Puis il rappelle une phrase qu’on lui a dite un jour et qui l’a touchée : on se balade dans des déchets… mais ce sont des trésors. Nos rebuts sont parfois des ressources pour d’autres.
La beauté pour éveiller les consciences
Junior Fritz Jacquet croit profondément en la force du beau. La beauté pourrait sauver le monde… si les gens prenaient le temps de regarder.
Ce qu’apporte la contemplation ? Un apaisement. Une reconnaissance, une forme de gratitude. On se dit : on a de la chance de vivre dans un monde magnifique.
Un dernier message : vivre (de) son art
Aujourd’hui, Junior Fritz Jacquet vit pleinement de son art : avec une simple feuille de papier, j’ai l’impression que tous mes sens sont comblés. C’est un cadeau incroyable.
Et s’il y a un message à transmettre, c’est celui-ci : si on arrive à émerveiller ne serait-ce qu’une personne avec quelque chose que l’on créé, c’est déjà beaucoup. Alors arrêtez de vous demander si l’on peut vivre de sa passion. Faites ce que vous avez envie de faire. Créez du beau. Le monde en a besoin.
Où peut-on voir les oeuvre de Junior Fritz Jacquet ? Découvrez cela sur le site de l’artiste.
