Reconstruire une filière laine en France : récit d’un engagement – Pascal Gautrand, Collectif Tricolor

24 Nov, 2025 | ÉCONOMIE

À l’heure où les fibres synthétiques dominent le marché mondial, la laine française apparaît comme une solution durable, locale et sous-exploitée. Avec le Collectif Tricolor dont il est délégué général, Pascal Gautrand œuvre à revaloriser cette ressource issue de l’élevage et à bâtir une filière résiliente capable de répondre aux enjeux environnementaux et économiques contemporains.
Les propos ci-dessous sont extraits de l’interview vidéo.

« La laine, ce n’est pas qu’une fibre : c’est un lien. »

D’une enfance à la ferme à la reconstruction de la filière laine

Pascal Gautrand, Délégué général du Collectif Tricolor : “Je suis issu d’un territoire, d’une ferme, d’une culture du vivant.
Grandir avec un grand-père éleveur et un père qui travaillait dans l’industrie, sur un matériau local – la pierre – m’a sensibilisé très tôt à la valeur des matières. Sans que je sache bien pourquoi, le design m’a attiré. Et, dans ce champ, c’est le textile qui m’a happé.

J’ai travaillé plusieurs années dans la mode, surtout sur le développement produit et sur des systèmes qui permettaient de récupérer des vêtements pour leur donner une nouvelle vie. C’est là que j’ai compris que ce qui m’intéressait vraiment, c’était moins l’objet que l’écosystème qui le rend possible.

J’ai eu la chance, pendant plus d’un an, au début des années 2000, d’être accueilli en résidence à la Villa Médicis. Ce séjour m’a permis de me concentrer sur la manière dont les matières circulent et sur les métiers qui les transforment. C’est ce qui m’a conduit à fonder Made in Town, une société de conseil et d’accompagnement sur les écosystèmes, axée spécifiquement sur la valorisation des savoir-faire liés aux territoires.

Faire de la laine un matériau du futur : naissance du Collectif Tricolor

C’est une rencontre dans le Tarn qui a tout déclenché, celle d’un tisseur près de Mazamet. Un atelier discret, deux personnes, des toisons locales, naturellement colorées, et une démarche d’une pureté incroyable. Rien à voir avec l’image générique de la laine blanche, standardisée, produite par d’immenses troupeaux de mérinos élevés sur de lointains territoires.

Là, au contraire, on était sur une démarche de proximité avec des races choisies spécifiquement. J’y ai d’ailleurs appris que nous avons 59 races en France et à peu près 250 au niveau européen ; chacune a des spécificités de toisons : finesse, longueur, douceur, couleur…

Cette démarche de tissage, plutôt confidentielle, m’a semblé d’une modernité incroyable. Cela m’a donné envie de mobiliser des marques en vu du salon “Made in France Première vision” de 2019 : et si on faisait de la laine le thème majeur de cet événement ? Les marques contactées ont joué le jeu : 130 pièces en pure laine française ont pu être présentées !

Des acteurs de la filière laine française étaient donc prêts à se mobiliser pour la redynamiser, collectivement.

La problématique laine, en France, en 2025

Aujourd’hui, en France, les moutons sont élevés essentiellement pour la viande ou le lait.

Il faut pourtant bien les tondre, une fois par an ; notre cheptel génère alors plus de 10 000 tonnes de toisons ! Cette laine, qui est une ressource naturelle, renouvelable et locale, n’est plus suffisamment valorisée. Elle est souvent achetée à un prix qui ne couvre même pas le coût de la tonte, ou bien elle reste simplement stockée dans les fermes, faute de débouchés.

La laine, co-produit de la filière agro-alimentaire, n’est donc plus intégrée dans un modèle économique cohérent. Pour changer cela, il faut raisonner avec une approche collective ; développer une vision globale qui permette à chaque acteur de comprendre les enjeux de chacun des maillons : éleveurs, transformateurs, distributeurs…

Au sein du Collectif Tricolor, nous avons également l’ambition de mettre en place un outil digital de traçabilité de la matière, de favoriser un paiement à la qualité vis-à-vis des éleveurs, de générer un calcul d’impact spécifique aux laines françaises pour l’affichage environnemental, d’innover sur des solutions de transformation adaptées, d’ouvrir des marchés pertinents. Aucun éleveur, aucune entreprise ne peut porter cela seul : la cohérence ne peut venir que d’une vision partagée par tous.

Une matière aux usages variés, presque infinis

On pense souvent à la laine pour l’habillement. Mais on peut faire bien plus avec ce matériau : literie, décoration, isolation, packaging, paillage agricole, solutions techniques résistantes au feu…

La laine peut relier la ferme à la ville, le local au global ; elle peut redevenir omniprésente autour de nous, valorisant cette créativité française reconnue mondialement, que ce soit en mode, en design, en décoration d’intérieur…

Le mouton, au cœur de nos cultures et nos identités

Le mouton est un animal qui traverse toutes les cultures et les religions.

C’est un animal qui a toujours accompagné l’homme et qui s’est adapté à des environnements très différents. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons autant de diversité de races !

Issu du mouflon – qui, lui est un animal sauvage et qui le restera – le mouton dépend aujourd’hui de l’élevage pour vivre ; ne serait-ce que pour tondre sa laine, il a besoin de l’homme. Ce lien très ancien entre l’homme et l’animal mérite qu’on regarde le mouton avec attention : il structure une partie de nos paysages, de nos pratiques, de nos savoir-faire agricoles et artisanaux. Bref, il fait partie intégrante de notre culture et, par-là même, de nos identités.

Au fond, la laine est une sorte de fil qui relie le vivant : le territoire, l’économie locale, la culture… Quand on parle de laine, on parle autant d’un matériau que d’une manière de vivre ensemble. Elle nous ramène à quelque chose de très fondamental : la coopération, l’attention portée aux ressources, une forme d’équilibre entre l’homme et son environnement.

Et si on transmettait les savoir-faire de la laine à notre jeunesse ?

Au début de la filière, à l’épicentre de la matière laine, il y a l’élevage. Derrière une toison, il y a des gestes de soin, des choix de races, des métiers que peu de gens connaissent. De la tonte à la collecte, du lavage au cardage, du peignage au tissage : chaque étape est un monde, souvent méconnu, souvent en danger.

La filière laine, c’est beaucoup d’humain, beaucoup de savoir-faire artisanaux, liés aux territoires. Si l’on ne suscite pas le désir de s’y intéresser auprès des jeunes générations, on perdra quelque chose d’essentiel : un rapport à l’artisanat, au territoire, au vivant. Ce retour aux métiers manuels est, à mes yeux, profondément politique.

Nous pouvons tous être acteurs de cette filière

Ce qui me semble important aujourd’hui, c’est que chacun prenne conscience qu’il peut jouer un rôle, même sans être éleveur ou transformateur. La laine française, c’est une matière locale, renouvelable, qui existe déjà : il suffit de la considérer et de l’utiliser pour la revaloriser. Et cela passe aussi par nos choix en tant que consommateurs.

On vit dans une époque où il est parfois difficile de faire des choix de consommation. La laine française, elle, offre une vraie transparence : on peut identifier les territoires, comprendre les métiers, suivre les étapes. C’est une matière qui raconte d’où elle vient.

La filière laine française n’est finalement pas seulement une question de transformation textile : c’est une opportunité collective de renouer avec une ressource, avec des gestes, avec une intelligence du territoire qui fait partie de notre identité.

Recevez tous les mois,

des informations positives, fraîches, inspirantes