Les Gens que l’on appelle les Français – N°9

5 Déc, 2016 | Non classé

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Par Anne Battestini. « Les Gens que l’on appelle les Français » est une étude née d’une série de questionnements sur la recherche de ce qui unit les Français aujourd’hui : les valeurs, les images, les histoires qu’ils partagent…

Des questions telles que :
1. De qui parle-t-on et à qui parle-t-on quand aujourd’hui on évoque les Français ?
2. Comment se construisent-ils ?
3. Quelles sont les représentations auxquelles ils restent attachées et qui donnent sens à leur mode de vie ?

En effet, les classements par sexe, âge, classe sociale ne rendent pas toujours compte de ce qui construit la collectivité identitaire nommée « Les Français » et comment les individus eux-mêmes construisent leur identité culturelle et sociale.
L’intérêt est donc ici de redonner des clés de compréhension de la société actuelle. En sillonnant divers lieux de France (en termes de région, structure de foyer, âge, profession…) pour repérer les invariants de ce qui constitue une forme de cohésion sociale et culturelle, au travers d’entretiens et d’un décodage sémiologique, cette analyse aborde des thématiques comme la manière dont la classe moyenne se représente culturellement, la manière dont ils conçoivent la structure sociale, leur rapport à l’argent, au travail, à la consommation…

 

N° 9. Quels engagements possibles ?

Les attentes des Français sont très fortes : ils aimeraient des réels changements pour une vision plus optimiste et engageante du monde. Des attentes qui selon eux, sont plus faciles à réaliser individuellement que collectivement. 

En effet, l’engagement à l’extérieur de l’intime est de plus en plus limité. Ils ont le désir de :

  • S’ouvrir aux autres, être à l’écoute, dans l’empathie, …
  • S’engager à grande échelle

Mais n’y parviennent pas, par manque de temps, de disponibilité, de force… Et essentiellement par la difficulté à trouver des moteurs, des guides, des valeurs qui les aident à trouver une place dans la société, qui les reconnaissent … Ils ont le sentiment d’avoir perdu pied…

« On est des enfants qui ont baigné dans une société de consommation. Génération télé, activité, vacances. On ne s’est pas posé de questions sur la valeur des choses ; on s’est laissé porter par nos parents qui avaient acquis des choses. A plein, on ne leur a pas montré la valeur des acquis, la bataille qu’il a fallu faire pour avoir des acquis sociaux. Les enfants de notre génération, certains n’ont pas eu à se battre, ils s’affolent, ils s’abritent derrière leurs parents. »

 

L’engagement collectif n’est plus de mise : les  « révolutions sociales » passées ont été vaines.

  • La société s’est ouverte à plus de consommation : une notion de combat collectif qui s’est affaiblie au profit de plaisirs individuels.
  • Une crise qui révèle de façon claire des inégalités et prouve que les révolutions sociales précédentes ont été vaines.
  • Une prise de distance par rapport au politique qui n’offre ni de solutions optimistes, ni d’exemple d’éthique, ni de cohérence entre les discours et les actes.
  • Un monde environnant devenu de plus en plus dangereux : catastrophes naturelles et humaines, crises, guerres…

 

En effet, le politique, source d’idées et de paroles fédératrices, est décevant. Une usure plus qu’une défiance s’est installée… Des politiques qui :

  • Sont plus suivistes qu’avant-gardistes, pas assez innovants pour imaginer et construire un nouvel avenir
  • Usent de facilité de langage et d’effets médiatiques.
  • Ont trop affiché leur aisance statutaire et/ou pécuniaire
  • Semblent loin des préoccupations de la classe moyenne et de son avenir.
  • Le trop fort usage de la médiatisation par les politiques et des codes de mise en scène trop visibles pour des individus éduqués aux techniques de communication.
  • La trop grande ostentation matérielle est devenue inappropriée dans des situations d’inégalités sociales trop visibles.
  • Un déséquilibre entre le pouvoir et les citoyens qui, selon les personnes interrogées, a toujours existé mais qui est devenu plus difficile à entendre.
  • Il n’existe plus de porte-parole charismatique.

 

Ils ont le sentiment d’une trop grande société de l’image. Des rhétoriques et des stratégies politiques surannées qui ne savent pas prendre en considération les changements de la société et la conscience des individus à être dans un cadre de surexpositions

« A droite comme à gauche, c’est une collusion trop flagrante avec les puissants. Cette collusion a toujours existé sauf que là elle est visible. »

« Les politiques ne savent plus trop remettre en question les modèles et ils savent très bien le transmettre. Ils manquent peut-être d’imagination. »

 

Face à ces constats pessimistes, le changement semble une nécessité qui s’actualise plus de façon individuelle que collective. Deux populations sont identifiées.

D’une part, la population mature pour le changement. Ceux qui ont déjà été amenés à changer plusieurs fois de profession de façon volontaire ou subie. Ceux qui connaissent autour d’eux des exemples de mobilité professionnelle qui leur servent de modèle.

  • Une recherche de vision qui allie un équilibre entre vie personnelle et adéquation à un idéal de vie plus proche du concret (versus les idées déçues).
  • Ces comportements sont des signaux faibles de la société qui pourraient devenir des faits de société.

 

D’autre part, la population non mature pour le changement. Ceux qui apprécient le caractère et la satisfaction d’une vie telle qu’elle est. Ceux qui ont un confort installé et/ou une difficulté à sortir de son individualisme. Ceux qui sont dans une certaine fatalité quant à la situation actuelle et un sentiment d’être dans « les mieux lotis ».

 

Au-delà de cette dichotomie sommaire, nous avons identifié quatre profils

  1. Les agissants
    • Ils mettent en place des projets et modèlent leur espace.
    • Ils trouvent une nouvelle manière de vivre.
    • Ce sont plutôt : les personnes se sentant porteuses d’un héritage de luttes sociales, les caractères indépendants mobiles.
    • Ils sont silencieux, agissent…
  2. Les épicuriens
    • Ils prennent les plaisirs du moment, s’investissent dans la création, les rencontres…
    • Ils profitent.
    • Ce sont plutôt : les actifs dans une situation professionnelle agréable, les indépendants, les créatifs, en cessation d’activité sans souci économique.
    • Ils revendiquent leur droit au plaisir immédiat.
  3. Les stoïciens
    • Ils vivent le moment présent et regardent le monde avec distance.
    • Ils préfèrent arrêter le temps et discourir sur les faits de société.
    • Ce sont plutôt : les salariés dans une situation tendue, les précaires qui veulent prendre du recul, ceux qui se satisfont de leur vie.
    • Ils sont sceptiques.
  4. Les isolés contraints
    • Ils se sentent distanciés par rapport au monde qui les environne.
    • Ils préfèrent ne pas trop se poser de questions.
    • Ce sont plutôt : les précaires angoissés, les personnes en situation de contrainte de vie, peu disponibilité d’esprit et/ou de temps, des caractères ou étapes de vie fragiles.
    • Ils cherchent un porte-voix.

 

D’autres alternatives se mettent en place en quittant les lieux de concentration, en travaillant à distance, avec des rapports sociaux resserrés plus lointains des instances autoritaires. L’absence de perspective et de reconnaissance amène les cadres à choisir une forme de déclassement volontaire pour être moins stressés. D’autres, cadres ou non, choisissent des situations de repli, tout en restant en poste.

 

Anne BATTESTINI
Docteur en Sciences du Langage, Anne BATTESTINI a été enseignante-chercheure à (Université de Paris III et Paris XII) et directrice conseil au sein d’instituts d’études (Sorgem, A+A Healthcare, Ipsos Media). En 2010, elle a créé une offre d’études et de conseils indépendante : Iconics.biz.
Directement auprès d’annonceurs ou en partenariat avec des instituts d’études, régies publicitaires et agences media, elle conçoit et réalise des investigations qui cherchent à déceler ce qui créé aujourd’hui du sens et révèlent les freins et les leviers à l’adhésion d’un produit, d’un service, d’une marque.
Elle a depuis toujours à cœur de replacer l’humain au centre des problématiques. Ce qu’il ressent, ce qu’il pense, comment il se comporte, comment il se créé des quêtes, comment il se relie aux autres… et de quelles manières se construit son identité personnelle, sociale et culturelle.

En lire plus :

1 – Modèle de vie et légendes personnelles : entre pessimisme collectif et optimisme individuel

2 – sous le signe du lien, entre complexité individuelle et mixité sociale

3 – Le social et le besoin de solitude

4 – La société française sous l’œil des Français, les grands écarts

5 – Ce que les 24-35 ans apportent comme enseignements sur l’époque

6 – Trouver sa place ou la prendre

7 – Media, savoirs et connaissances

8 – La liberté existe-t-elle encore ?

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