L’esprit paysan : interview d’un cultivateur dans la Drôme

14 Déc, 2017 | Non classé

Dominique Grève est cultivateur. Sa ferme de 40 hectares, près de Valence, comprend notamment un élevage de 2000 poules pondeuses. Dans le cadre du parcours Cap 360°, pour le thème “cultiver et produire”, nous l’avons interviewé sur ce qu’est, selon lui, l’esprit paysan.

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« L’expérience de travailler la terre forme un homme. Notamment par sa rudesse, car le métier d’agriculteur est difficile. Mais aussi car il est très “élevant”. Cette expérience de quelques années d’agriculture me permet de dire que la vie est un cadeau, cultiver la vie est un don qui s’acquiert avec beaucoup de patience, de volonté. Ce métier exige d’avoir l’humilité de se remettre en question souvent.

L’esprit paysan, c’est avant tout reconnaître que ce qui est entre nos doigts est particulièrement fragile.

L’esprit paysan, c’est la faculté d’accompagner le vivant. On se trouve tout petit devant cela : on ne fait que poser la graine au fond du sillon. Tout le reste ne dépend plus de nous. S’il n’y a plus de soleil pendant un an, il n’y aura pas de culture. De même s’il ne pleut pas pendant six mois.

On est mis devant l’obligation de reconnaître que l’on ne mène pas – ou peu – le bateau. On participe à la continuité, à l’élaboration d’un produit consommable, mais qui est un cadeau permanent pour nous et pour ceux qui nous entourent.

Le plus intéressant, le plus réconfortant, c’est de s’apercevoir que l’on est co-acteur : les cultures poussent, que l’on dorme, que l’on travaille, que ce soit la nuit, le jour… C’est une réalité qui est constante à nos yeux. C’est comme un bouton floral sur des arbres fruitiers. Par exemple, sur un poirier, on a sept fleurs pour un bourgeon. Sur ces sept fleurs, seulement deux vont donner des poires. Le reste est pour les abeilles et les yeux. C’est magnifique !

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La vie de paysan apprend la volonté dans le sens de l’effort ; nous sommes obligés de participer à cette difficulté  d’« enfantement » de la vie. L’accouchement se fait dans la douleur pour une majorité de personnes dans le monde. Le métier d’agriculteur ne peut donc pas s’envisager sans une certaine collaboration, par une souffrance physique, voire, parfois, morale . Mais c’est une obligation pour donner la vie que l’on cultive ; la vie des plantes, des animaux, cela implique une peine.

La souffrance fait partie de la vie ; notre société tâche de l’enlever au maximum – mais c’est impossible car la vie est faite ainsi. Un proverbe chinois dit qu’une feuille morte tombant dans un ruisseau va toujours à la descente, seul l’être vivant est capable de remonter le cours d’eau. Nous ne sommes pas faits pour suivre le courant mais pour aller à l’envers de celui-ci. L’effort, la souffrance, font partie de l’existence de l’Homme.

Être paysan est le plus beau métier du monde. Ce métier qui fait découvrir que ce n’est pas l’indépendance qui rend l’Homme heureux mais, bien au contraire, le fait d’être dépendant, dépendant du plus grand, de l’origine, de la terre, du soleil…

J’ai un père qui n’est pas de très grande taille, c’est essentiellement dû à l’effort. C’est fou : ce que l’on a vécu n’est rien par rapport à ce qu’ils ont vécu. Et, à 85 ans, il laboure encore avec un tracteur. Il ne faut pas dire que l’effort fatigue ou tue : la capacité de l’être humain – la résilience de la vie – est impressionnante ! C’est le problème du numérique, d’ailleurs : à force d’être assis devant leurs écrans, les gens deviennent amorphes.

Il faut concevoir que l’essentiel ne s’arrête pas à l’économique. Je pense que l’on a le devoir de vivre la vie, et de la vivre à pleines dents ! La vie doit se croquer !

Etre agriculteur, c’est que du bonheur ! Il faut le voir comme cela, même si parfois, quand on a le nez dans le guidon du tracteur, c’est difficile. Mais il faut absolument voir le fond des choses, c’est tellement beau de voir le but, la finalité de toutes choses. C’est pareil pour la vie humaine, d’ailleurs. S’arrêter sans descendre du tracteur, c’est dommage ! »

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