“À la française tour” : marcher en duo sur les routes de France

18 Déc, 2021 | TEMOIGNAGES, TOUR DE FRANCE

À la fin de leurs études, Hermine de Kerangat et Magdeleine Boullault se lancent dans un tour de France. L’objectif ? Découvrir les savoir-faire de l’Hexagone, dans une démarche écoresponsable. Aujourd’hui jeunes professionnelles, elles font le point sur cette épopée, les rencontres qui les ont marquées et tout ce que ça leur a apporté, humainement, intellectuellement, voire même professionnellement. Une vidéo qui invite au voyage !

Nous retenons surtout de ce tour de France, l’accueil et la disponibilité des Français.

Un duo de choc

Hermine et Magdeleine sont amies d’enfance. La première a suivi une double licence en Lettres et Sciences Politiques à l’IRCOM (Angers) puis un Master en Économie Sociale et Solidaire à l’Institut Catholique de Paris (ICP), qui la pousse à se questionner sur l’écologie. La seconde, quant à elle, poursuit une double licence de philosophie à l’IPC et d’histoire à la Sorbonne. Alors qu’Hermine prépare un long voyage d’études au Chili, elle prend conscience qu’elle s’apprête à partir de l’autre côté de la planète alors qu’elle ne sait pas ce qui se passe près de chez elle. Rapidement, les deux jeunes femmes réalisent qu’elles partagent une envie commune : visiter leur pays, la France. La décision est prise : partir sac au dos dans un tour de France à pied et en stop, à la découverte des savoir-faire régionaux. Leur périple dure un peu moins de 8 mois (le Covid arrêtera plus tôt que prévu cette odyssée), au cours desquels découvertes et rencontres se multiplient.

Le grand départ

Hermine de Kerangat & Madeleine Boullault : “Nous sommes parties le 19 août 2019 de chez Hermine, au Pays de Retz. Notre but initial était de réaliser un tour de France en onze mois, pour rencontrer des acteurs de l’économie locale (monde agricole, artisanat, Made in France, etc.). Au total, nous sommes passées par quatorze régions (celles d’avant la réforme de 2015) avant le premier confinement. Coté matériel, nous avions pour seuls bagages nos sacs à dos, une tente et deux tenues de rechanges. Pour assurer nos finances, nous avons investis nos économies, bien sûr, mais nous avons également bénéficié d’une cagnotte de financement participatif : 10 000€ qui nous ont permis de financer une caméra (photo et vidéo) pour partager facilement notre aventure au fil des jours via une newsletter et des photos.

Deux rencontres marquantes

M. B. : Nous restions généralement deux semaines dans chaque région. Nous faisions en sorte de suivre des recommandations d’habitants pour découvrir les savoir-faire régionaux. Nous avons toujours bénéficié d’un accueil chaleureux, notamment dans le monde agricole.

Une des rencontres la plus marquante pour moi a été celle du directeur de la Fondation de l’Œuvre de Notre-Dame, à Strasbourg. L’Œuvre date du XIIème siècle, concomitante à la construction de la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, et a perduré dans le temps. Aujourd’hui, elle est en charge de la restauration de sculptures et de pierres de la cathédrale. Extraordinaire : nous avions contacté ce Monsieur seulement deux jours avant notre rencontre et il nous a très vite répondu positivement. C’est un compagnon du Devoir : assez naturellement, notre tour de France l’a intéressé ! Il nous a accordé une après-midi pendant laquelle nous avons visité les ateliers et assisté au processus de la mise en place d’un projet de restauration. Nous avons également découvert cette passion de l’artisanat, cet esprit de transmission qui date du Moyen-Âge et qui a su traverser les siècles. Pour l’historienne que je suis, ce fut particulièrement parlant. Cette rencontre m’a beaucoup apporté : non seulement par la générosité, le temps qui nous a été accordé mais aussi par cette passion de la transmission. Très inspirant !

H. K. : De mon côté, une autre rencontre qui m’a particulièrement marquée est celle du dernier artisan ciselier de France ! Cet homme était d’une grande humilité ; il fabrique des ciseaux à la main et ce sont de véritables œuvres d’art. Sa passion pour ce métier manuel lui est venue alors qu’il était à la retraite. Lorsqu’on est arrivées chez lui, il nous a montré son tout petit atelier. Il s’est mis à travailler tout en nous parlant, ce qui a provoqué un échange unique et hors du temps. Cette rencontre nous a fait prendre conscience du risque que représente la perte des savoir-faire. Dans son cas, si personne ne souhaite se former au métier alors même que c’est le dernier artisan et qu’il est à la retraite, ce savoir-faire exceptionnel disparaitra de France.

Une fois, une seule, la porte est restée fermée

M. B. : Il faut savoir que chaque soir, nous frappions aux portes des lieux où nous nous trouvions pour demander un petit bout de jardin afin d’y planter notre tente. Globalement, nous avons reçu un accueil très chaleureux. Un soir, cependant, en Normandie, après avoir frappé à quinze ou vingt portes, tout le monde nous a dit non. Pour la première fois, je voyais dans le regard des personnes que je pouvais être une menace. Ça a été difficile à vivre. En onze mois, c’est le seul soir où cela nous est arrivé. Cette nuit-là, nous nous sommes résolues à faire du camping sauvage…

Cette soirée en Normandie m’a fait réaliser que tous les autres soirs, j’ai été reçue parce que des personnes sont allées au-delà de leur peur. Ils ont écouté leurs seules bonté et générosité.

H.K. : Expérimenter le fait d’être perçue comme une menace est assez violent. Mais encore une fois, cet épisode reste un cas isolé. Nous retenons surtout de ce tour de France, l’accueil et la disponibilité des Français. Sur la route, nous n’avons jamais eu peur, nous avons toujours été bien accueillies, même en stop. S’il y a bien quelque chose de général en France, c’est que les gens sont accueillants ! On parle souvent de ce qui fâche dans le pays, mais on souligne peu les belles histoires qui s’y déroulent.

M.B. : Notre devise pendant le tour était : il n’y a jamais de problème, il n’y a que des solutions. Lorsque le Covid nous a obligé à mettre un terme à notre tour de France en mars 2020, nous étions donc déjà dans une démarche d’abandon. Je pense que cet état d’esprit nous a préparé à vivre cette période de confinement sereinement et sans inquiétude. Toutes ces leçons apprises au travers de rencontres plus ou moins faciles, nous essayons aujourd’hui des les mettre en pratique : ne pas se fier à la seule première impression que nous avons d’une personne ou d’une situation. Ne pas se laisser guider par ses peurs. Régler les problèmes les uns après les autres, sans se laisser submerger.

On en parle, de la Franche-Comté ?

M.B. : Une semaine avant notre arrivée en Franche-Comté, je disais à Hermine qu’on arrivait à la moitié de notre tour de France et que passer cet anniversaire dans cette région, précisément, ne m’inspirait absolument pas. En tant que Nantaises, la Franche-Comté est le point le plus éloigné de chez nous ! J’étais incapable de citer une grande ville de la région ou un type d’artisanat. Je me disais qu’avec ce nom, il devait sûrement y avoir un peu de fromage, mais cela mis à part, je ne connaissais rien de la région. Grâce à des personnes rencontrées dans le Nord, nous sommes arrivées par Montbéliard. Là, nous avons d’abord rencontré un couple de guides touristiques, qui nous a fait visiter pleins d’endroits superbes. Puis nous sommes allées chez un éleveur, fabricant de comté et ex-député à la chambre d’agriculture, lequel, à son tour, nous a amené à rencontrer énormément de monde. De fil en aiguille, nous avons été hébergées chaque jour dans une nouvelle famille qui nous envoyait chez leurs amis pour la nuit d’après. Nous avons découvert la vie industrielle de la région : automobile, casserole ; mais également les métiers de bouche : comté, vin jaune ; et l’artisanat, au travers de la rencontre d’un luthier notamment. Au final, j’ai adoré la Franche-Comté et je ne regrette pas du tout d’y être passée !

H.K. : Partir à l’aventure permet aussi de se laisser surprendre, et pour le coup nous avons vraiment été (heureusement) surprises par cette région !

Reprendre sa vie comme avant… ou pas

H. K. : Notre objectif initial était un tour de France de 11 mois. Mais le 15 mars 2020, le Covid-19 sonnait la fin du tour. Nous avons vécu notre confinement ensemble, chez ma sœur, dans le Var. Or, grâce à ce périple, j’ai trouvé ma vocation : en rencontrant des apiculteurs, je me suis découverte une passion pour l’apiculture. Avant cela, je n’avais jamais vu de ruche. Ce qui est incroyable, c’est qu’à notre arrivée à la Sainte-Baume pour le confinement, nous découvrons que nos voisins sont apiculteur ! Alors même que j’étais en plein questionnement sur un potentielle reconversion professionnelle, ces voisins nous proposent d’achever notre tour en réalisant deux mois d’apiculture à leurs côtés. Ces deux mois m’ont permis de confirmer ma nouvelle vocation. J’ai toujours voulu un travail en lien avec la nature ; aujourd’hui, c’est chose faite puisque j’exerce en tant qu’apicultrice depuis un an maintenant.

Les pépites ramassées sur la route

M. B. : J’aime à dire que ce tour de France ne m’a pas changé : il m’a révélé. Rien que le fait de marcher, prendre le temps de retrouver un rythme naturel, nous a permis de nous poser et de réfléchir. Certains jours, nous n’avons fait que marcher, sans rencontres et c’était aussi agréable. Dans ces moments-là, nous prenions le temps de digérer ce que nous étions en train de vivre.

À mon retour, j’ai initié quelques changements dans mon quotidien, notamment au niveau de mes habitudes de consommation. J’essaie de consommer local, de façon plus responsable et réfléchie.

Etonnamment, notre aventure a changé le regard de certaines personnes de mon entourage. Sur le stop, par exemple, ou sur le fait de partir à l’aventure. Beaucoup autour de moi ont réalisé qu’avec peu, on peut être heureux. J’ai notamment vu le regard de mes parents changer, eux qui étaient pourtant réticents à l’idée de me laisser partir, en observant combien j’étais heureuse sur la route. Je n’avais pas grand chose matériellement mais humainement, j’étais riche de ces rencontres et de notre belle amitié.

Aujourd’hui, j’essaie de vivre le moment présent, de me dire qu’il y aura toujours des solutions aux problèmes – sans les nier, évidemment, mais en évitant de leur donner une place trop importante. Je crois profondément que l’homme est capable de répondre à de nombreux défis, qu’ils soient écologiques, économiques ou encore sanitaires. Il dispose de ressources insoupçonnées en lui-même. Je souhaite apporter un message d’espérance à cette jeune génération qui a traverse la crise du Covid. Il ne faut pas qu’ils oublient que le monde tourne encore, qu’ils ont plein de véritables richesses en eux et que l’enfermement ne permet pas de s’en sortir.

H. K. : Ce tour de France m’a également rendue encore plus fière d’être Française. Nous avons une chance incroyable de vivre dans un pays riche en savoir-faire. Je pense que l’on ne se rend pas assez compte de l’or et du génie que nous avons entre les mains. J’ai été impressionnée de voir le travail de nos agriculteurs, dans les micro-fermes, en permaculture mais aussi en agriculture conventionnelle. L’agriculture est un secteur très critiqué et controversé, avec plusieurs défis à relever. Les Français ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont d’avoir de la nourriture française. Je suis tombée amoureuse du milieu agricole pendant ce tour de France ! Ces rencontres ont créées en moi un profond respect pour les gens qui cultivent la terre, qui nous nourrissent, qui ne comptent pas leurs heures et qui participent au rayonnement de la France ; comme tous les artisans qui travaillent de leurs mains le bois, la pierre, etc. On dit souvent que le bien ne fait pas de bruit, j’ai pu le confirmer durant ce tour. Tant de belles choses à mettre en avant et à sauvegarder !

Le mot de la fin (parce qu’il en faut un)

Pour ceux qui veulent partir, les conseils que nous pouvons vous donner, serait de bannir la peur. Évidemment, partir demande un minimum de préparation et d’organisation mais finalement pas autant qu’on le croit. Il ne faut pas se poser trop de questions mais y aller, simplement. La force de notre projet a été de définir très clairement ce qu’on voulait faire, donner un cadre à notre projet. Cela nous a évité mauvaises surprises et déconvenues et nous a permis d’être vraiment libres, disponibles à la rencontre et à l’imprévu.

Nous avons énormément reçu pendant ce tour de France, ce si beau pays. Comme vous pouvez le voir, malgré la conjoncture actuelle, il est possible de voyager et d’être dépaysé sans quitter la France !”


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