Accompagner les mourants : une affaire de société – Thierry Praud

28 Oct, 2025 | FAMILLE, SOLIDARITÉS & SOCIÉTÉ

Depuis près de vingt ans, Thierry Praud dirige l’association Être-là, association Pierre Clément à Strasbourg avec une conviction chevillée au corps : « une personne fait partie de la société jusqu’à son dernier souffle ». À travers un récit vivant, intime et vrai, avec des mots qui claquent, il livre sa vision de l’accompagnement des mourants, entre engagement personnel et enjeux de société.

Origine de l’association Pierre Clément

« L’association est née d’un besoin d’humanité »

Thierry Praud dirige l’association Être-là, association Pierre Clément : “L’association a été créée en 1986. L’origine de l’histoire, c’est la rencontre d’une infirmière et d’un jeune patient atteint d’un cancer en phase terminale : Pierre Clément Kalis. Profondément touchée par ce qu’il vivait et au vu d’un contexte particulier – Pierre Clément n’avait pas une vie facile – elle le prit en charge chez elle jusqu’à son décès en 1985. Cette démarche s’insérait dans le mouvement naissant des soins palliatifs.

Lorsque la maladie enferme une personne dans l’univers hospitalier, cela peut devenir extrêmement pesant et rendre la fin de vie particulièrement difficile. Voilà pourquoi l’association Pierre Clément – qui a rejoint le réseau Être-là en 2021 – a pour vocation de recréer du lien avec les personnes en fin de vie et de leur redonner une vraie place dans la société.

Voilà la genèse de l’association et cette vision est portée au quotidien par la centaine de bénévoles qui accompagnent la fin de vie en soins palliatifs depuis plus de 35 ans en Alsace-Moselle.

Un engagement devenu vocation

« Je ne suis pas devenu triste, je suis devenu plus vivant. »

Mon engagement au sein de l’association remonte à 1996. J’ai perdu mon beau-père d’un cancer du pancréas. C’était violent et douloureux, non seulement pour mon beau-père, évidemment, mais également pour tous les membres de la famille.

À l’époque, j’étais restaurateur, en reconversion, un peu paumé. Et j’ai été traversé par cette histoire. Je me suis dit : “On ne peut pas laisser les gens mourir comme ça.” Alors je suis rentré dans l’association Pierre Clément, presque par erreur. Une belle erreur, en vérité parce que je suis toujours là, 25 ans plus tard !

Ce que j’ai trouvé ici, c’est une forme d’apaisement. Cet engagement m’a rendu plus tolérant, plus calme, plus attentif aux autres. Je ne suis pas devenu triste, je suis devenu plus vivant. Ce que j’ai trouvé ici, c’est une forme de paix intérieure. Ça m’a appris à ne pas tout vouloir contrôler, à m’émerveiller des petites choses, à mieux vivre, tout simplement.

Qui sont les bénévoles qui accompagnent la fin de vie ? Pourquoi viennent-ils ?

« On ne se lève pas un matin en se disant qu’on va accompagner les mourants »

C’est toujours une histoire personnelle qui pousse à s’engager ; on ne se lève pas un matin en se disant qu’on va accompagner les mourants ! Donc, les bénévoles viennent parce qu’ils ont été traversés par quelque chose : une perte, une rupture, une question qui ne les lâche pas.

Notre rôle, au sein de l’association est de former ces bénévoles pour qu’ils puissent effectuer des missions à l’hôpital ou à domicile, auprès de la personne en fin de vie, en totale complémentarité des équipes soignantes.

Chaque bénévole est unique. Il n’y en a pas deux pareils. Et c’est tant mieux, parce que les personnes qu’on accompagne ne sont pas stéréotypées non plus. C’est la vraie vie ! Il y a des rencontres qui marchent, d’autres non. Parfois, c’est magique. Parfois, c’est plat. Et on fait avec. C’est de la chimie organique et humaine !

Je leur dis souvent : soyez vous-mêmes. C’est tout et ce n’est pas rien. C’est prendre le risque d’être maladroit, de faire des bourdes et des lapsus. Mais cette sincérité est le seul chemin pour qu’une vraie relation se crée.

C’est pour ça que je parle d’anti-communication. On n’est pas là pour faire de la belle parole ou sortir des phrases toutes faites. On est là pour être vrai. Et parfois, ça veut dire se taire. Parfois, ça veut dire se tromper. Mais ce n’est pas grave. Ce qui compte, c’est d’être présent, entier, sans masque.

Comment considérer la personne en fin de vie ?

« Un patient en fin de vie n’est pas un malade, c’est une personne ! »

Je le dis toujours, et je le répéterai autant de fois qu’il le faudra : un patient en fin de vie, c’est pas un malade. C’est une personne, un être humain avec une histoire, des liens, une place dans la société. Et cette place, il devrait pouvoir la garder jusqu’au bout.

Notre mission est justement de faire en sorte qu’ils restent dans le village des vivants. C’est ça, le cœur de l’association depuis le début. La mort, c’est pas un moment technique ou un truc médical. Ce qui est médical, c’est la prise en charge de la douleur. Nous, ce qui nous importe, c’est d’accompagner l’humain, qui doit être respecté, reconnu comme tel, du premier au dernier souffle.

Et face aux débats actuels sur la fin de vie ?

« Sortons du simplisme binaire »

Je suis athée. Et pourtant, régulièrement, on me colle l’étiquette de catho intégriste parce que je suis prudent sur l’euthanasie. Je pense que c’est une réponse rapide et prématurée à une question complexe qui mérite de la lenteur, de la nuance, du temps et de l’écoute. Ce n’est pas un débat à trancher en une phrase ou un tweet.

La dignité, la liberté… On en fait des slogans. Mais on oublie de penser. De discuter. Nous, les associations, on fait ce travail de terrain, on écoute. Mais on est mal compris. Mal soutenus. Et pourtant, on tient. Parce que c’est ça aussi, faire société. C’est penser la vie jusqu’au bout. Sans fuir.

Un dernier message

« N’écoutez pas les slogans, écoutez les personnes qui sont en lien avec la fin de vie. »

Prenez deux heures et allez rencontrer des bénévoles et des associations qui font le même type d’action que Pierre Clément. Posez des questions. Faites-vous une idée par vous-même. La fin de vie, ce n’est pas une question médicale, politique ou religieuse. C’est une question de société. Et la réponse ne se trouve pas dans un “pour ou contre” binaire d’une grande médiocrité intellectuelle. Elle se construit. Ensemble.”


Découvrir le site de l’association Pierre Clément.

Pour aller plus loin sur le sujet, découvrez l’interview de Faroudja Hocini et Bruno Dallaporta : Faut-il faire tomber l’interdit de donner la mort ?

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