Connexions Familiales : accompagner le trouble borderline

21 Nov, 2022 | FAMILLE, SOLIDARITES & SOCIETE, TEMOIGNAGES

Connexions Familiales est une association qui accompagne les proches aidants de personnes qui souffrent de dysrégulation émotionnelle. Témoignage de sa présidente d’honneur, Muriel Rosset, co-autrice de Dix ans en psychiatrie : une spirale infernale avec sa fille Hélène, qui souffre d’une maladie méconnue et pourtant très répandue, le trouble de la personnalité limite borderline.

Quand une famille doit faire de la place à la maladie psychique

Hélène, la fille de Muriel, est atteinte du trouble de la personnalité borderline. Un Tsunami dans une vie de famille.

Muriel Rosset, présidente d’honneur de Connexions Familiales : “L’impact de la maladie psychique dans une famille est comparable à celui d’un tsunami. Du jour au lendemain, c’est comme si votre enfant avait changé d’identité, on ne la reconnait plus et on ne le retrouvera plus comme avant.

Nous avons vu notre fille sombrer dans un univers inaccessible où elle était en grande souffrance. Brutalement, sans comprendre pourquoi ni comment, on s’est retrouvé aux urgences psychiatriques. Ce n’est que des années après qu’un bilan complet de centre expert a permis de mettre un nom sur la maladie d’Hélène : le Trouble de la Personnalité Limite (TPL), désigné aussi par le terme borderline.  Depuis, des personnes qui appellent notre association ont parfois un diagnostic dès la sortie des mêmes urgences… Je ne peux que me réjouir de cette avancée significative.

La maladie borderline est l’une des maladies psychiques les plus répandues : elle touche autant de personnes que la schizophrénie et la bipolarité réunies. Certains psychiatres vont jusqu’à estimer que la moitié des jeunes hospitalisés sont atteints de TPL.

La maladie borderline est un trouble de la personnalité sévère caractérisé par une très forte vulnérabilité émotionnelle et une incapacité à réguler ses émotions, ce qui impacte fortement les relations. Ces relations sont en effet binaires et sans nuances. Ainsi, le moindre mot, geste, silence ou regard peut provoquer une réaction explosive de la part de la personne souffrant de TPL : tentatives de suicide, automutilations, retrait de la relation, fugues… On dit que les personnes borderline sont comme des brulés vifs au second degré sans peau.

Cette maladie méconnue est aussi réputée comme étant une des plus difficiles à accompagner par les proches et les soignants, du fait de l’instabilité et de la violence relationnelles qu’elle implique.

Une décennie de troubles borderlines, à l’aveugle

En couple et avec ses trois garçons, Muriel Rosset a dû attendre des années avant de pouvoir progressivement accéder à des ressources et des aides.

Au début, nous n’avions aucune idée de ce qu’avait notre fille. Notre vie était complètement chamboulée mais on ne savait pas de quoi il retournait ; les médecins n’en avaient pas la moindre idée non plus. Ils ont d’abord soupçonné une dépression. Mais les symptômes ne collaient pas. On voyait bien que c’était beaucoup plus grave. C’est finalement un psychiatre, qui, au détour d’une phrase, a mentionné un trouble de la personnalité, sans toutefois poser de diagnostic : « si c’est une dépression cela durera un an, si c’est un trouble de la personnalité cela prendra des années. » Nous n’avons pas compris l’allusion, nous n’avons pas perçu que derrière cette phrase, il y avait peut-être un diagnostic, ça ne ressemblait pas à un nom de maladie et on ne nous a rien dit d’officiel. Le mot trouble fut trop trouble et trop flou pour nous, il ne reflétait pas l’ampleur de ce qu’Hélène souffrait, ni celui de ce à quoi nous étions confrontés.

Or la première chose qu’on aurait aimé c’est un diagnostic, avec le nom et l’explication de cette maladie.

Un diagnostic permet à la fois d’exister par rapport aux autres et d’avoir des soins adaptés. Pouvoir dire ce que l’on vit, nommer le trouble, cela permet de mesurer la gravité de la situation tout en saisissant que c’est un état qui peut se comprendre, s’étudier, s’accompagner, se soigner.

« Pourquoi voulez-vous absolument un diagnostic ? », demandait la psychiatre d’Hélène. Pendant un temps, elle a prescrit une vingtaine de médicaments de toutes sortes, dans lesquels se trouvaient certains pour soigner les effets indésirables des médicaments donnés. Quand il y a eu un diagnostic, les psychiatres avait bien conscience que ces médicaments ne la soignaient qu’à moitié, tout en la rendant malade en même temps. Mais ils disaient ne pas avoir le choix pour qu’elle reste en vie et supporte un peu mieux ses troubles de l’émotion… En regardant les notices de médicaments, on s’est rendu compte que l’un d’eux pouvait provoquer des pensées suicidaires… Comment peut-on prescrire des médicaments qui donnent des idées suicidaires à une personne qui veut si souvent se suicider et est déjà passée de nombreuses fois à l’acte, parfois même jusqu’au coma ?

Hélène voulait que notre récit à deux voix s ‘appelle “la contention blanche”, celle de l’hôpital, des médecins et de la maladie et du gouffre qu’elle engendre : chambre d’isolement et contention physique forcée des hôpitaux ou contention chimique des médicaments délivrés par les psychiatres… On comprend pourquoi.

médicaments contre le trouble borderline

Il faut savoir que contrairement à d’autres maladies psychiques, il n’existe pas de médicament spécifique pour soigner la maladie borderline, seulement des médicaments pour les comorbidités associées (idées suicidaires, dépression…).

En réalité, les troubles de l’émotion se soignent par des thérapies. Notamment la thérapie comportementale dialectique (TCD), à laquelle malheureusement les psychiatres sont très peu formés. C’est pourtant la deuxième chose dont on aurait eu besoin face à la maladie d’Hélène. Notre association Connexions Familiales, issue d’une même organisation existant depuis 20 ans au niveau international, la NEABPD, a pour mission de faire connaître et développer les thérapies pour les personnes borderline. Nous avons même participé au financement et à l’organisation d’un congrès de psychiatrie dédié à cela.

La troisième aide sur laquelle on aurait bien aimé s’appuyer, ce sont des gens qui comprennent ce que l’on vit et nous soutiennent sans fuir, juger ou minimiser. À l’époque, la maladie borderline était très peu connue. Elle le reste d’ailleurs pour la plupart du grand public, même si les choses avancent au niveau associatif et dans quelques hôpitaux trop peu nombreux : Strasbourg, Montpellier, Versailles, Lyon…

J’étais allée à l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM) pour décrire ce que nous vivions. À l’époque, nous n’y avons pas trouvé de réponse adaptée. Avec mon mari, nous avions tout de même suivi une formation PROSPECT sur l’accompagnement de la maladie psychique. C’était très général, mais aidant tout de même.

Dix ans plus tard, l’UNAFAM, qui avait gardé mes coordonnées, m’a gentiment appelée pour me proposer un congrès au sujet de la maladie borderline. Elle se rappelait de ma désolation face au vide médical concernant la maladie dont j’ignorais encore le nom et les neuf critères de diagnostic, clairement décrits dans le DSM, le manuel officiel de diagnostic et statistique des troubles mentaux. À ce moment-là, ma fille était stabilisée… mais j’avais attendu si longtemps que j’y suis tout de même allée.

Connexions Familiale et la maladie borderline

Connexions Familiales : faire connaître la maladie borderline

L’association Connexions Familiales a été cofondée par une dizaine de personnes formées aux modules de psychoéducation issus de la thérapie comportementale dialectique.

Suite à ce congrès proposé par l’UNAFAM, avec quelques psychiatres et pairs-aidants dont je faisais partie, nous avons décidé de nous former ensemble aux modules de psychoéducation en thérapie comportementale dialectique. Ensemble, nous avons fondé Connexions Familiales.

Notre association a divers objectifs, dont le tout premier est bien évidemment de sensibiliser à la maladie, en diffusant la connaissance scientifique, créant un réseau de professionnels et favorisant la recherche. De fait, il y a eu 26 265 articles scientifiques entre 1980 et 2002 sur la schizophrénie. Pour la maladie borderline, pourtant beaucoup plus fréquente, il y en a eu 2000. Les fonds de recherche pour la schizophrénie ont été de 300 millions de dollars sur la même période… Et de 6 millions de dollars pour la maladie borderline.

Il faut dire que la multiplicité de noms de cette maladie n’aide pas à la faire mieux connaître : troubles de la personne émotionnellement labile, troubles de la personnalité limite, borderline…

Proposer des modules de formation en psychoéducation

Connexions Familiales propose des modules de psychoéducation aux proches et soignants de personnes atteintes du trouble de la personnalité borderline.

Le premier objectif de Connexions Familiales reste de faire connaître la maladie et de soutenir les proches qui se sentent généralement terrassés, épuisés dans l’accompagnement de leur « être cher ». C’est ainsi en effet que nous parlons de notre enfant ou conjoint malade pour qui nous voulons tant que la santé et la vie s’améliorent et s’adoucissent.

Pour ce faire, nous formons sur 12 semaines les pairs-aidants, les psychiatres et psychologues. Pour chaque rencontre, nous avons :

  • une présentation de données théoriques,
  • un partage d’expérience,
  • des exercices à faire une semaine sur l’autre.

Les familles qui s’adressent à nous sont complètement démunies et en grand souffrance. Les premiers sujets abordés avec elles sont leurs “droits” :

  • prendre soin de soi dans un “sain égoïsme”, pour tenir dans la durée face à la maladie,
  • apprendre à dire non, à fixer des limites dans notre accompagnement,
  • se créer un réseau de soutien affectif,
  • accepter de ne pas être tout puissant et de ne pas pouvoir résoudre tous les problèmes de la personne atteinte du trouble,
  • accepter parfois de craquer, s’énerver, se mettre en colère…

Dans un deuxième temps, on enseigne les bases de la thérapie comportementale dialectique : mindfulness et compétences relationnelles de pleine conscience, mieux comprendre et réguler les émotions, mise en place d’une communication efficace, apprendre à valider les émotions de l’autre, gérer les crises, gagner en efficacité interpersonnelle.

Nous travaillons beaucoup l’acceptation radicale, sachant que face à une situation très difficile, on a plusieurs possibilités :

  • Résoudre le problème,
  • Si on ne peut pas résoudre les problèmes, changer de regard sur le problème,
  • Rester malheureux.
  • L’acceptation radicale.

L’acceptation radicale consiste – quand on ne peut plus rien, quand ce que l’on traverse est au-delà de l’entendement – à accepter.

Mieux accompagner les malades psychiques dans la société

Mettre en place des lieux d’accueils des personnes atteintes de maladies psychiques.

Le handicap psychique est difficile à accompagner car il n’est pas visible : on peut passer deux heures avec une personne atteinte d’une maladie psychique sans s’en rendre compte. C’est une grande différence avec la plupart des handicaps mentaux et physiques.

De plus, une maladie psychique se déclenche en cours de vie, ce qui signifie qu’on a connu une personne que soudain on ne reconnaît plus. C’est difficile à expliquer à ceux qui ne vivent pas avec vous et peuvent avoir du mal à vous croire.

C’est aussi un trouble qui fait fuir parce qu’il fait peur : par exemple, des amis ne vont pas vouloir inviter votre enfant à déjeuner, de peur de perturber leur propre enfant, ses amis le fuient parce qu’il plombe l’atmosphère, nous racontait Hélène ; des proches vont avoir peur de l’accueillir une nuit de peur d’être confrontés à une tentative de suicide…

Des lieux d’accueil – pour un moment ou quelques jours – seraient bienvenus pour les familles…

Ne plus vivre dans la peur de la mort

Pour pouvoir vivre, vraiment vivre, il est nécessaire de ne plus craindre la mort.

Je pense à un psychiatre qui enseignait la saine impertinence : « vous voulez vous suicider, disait-il à son patient…Dois-je comprendre que je dois décommander notre prochain rendez-vous de mon agenda ? »

De mon côté, pour continuer d’élever sereinement mes autres enfants et faire en sorte que toute ma famille ne sombre pas, j’ai appris peu à peu à ne plus trembler en permanence face au risque mortel, malgré les si nombreuses tentatives de suicide et comas déjà traversés. Sinon, on ne vit plus. Le risque, c’est en effet que les autres enfants soient éprouvés dans leur santé psychique et que le couple se sépare, ce qui, hélas, est très fréquent dans ces situations.

Dans mon livre, je raconte notre chemin de l’ombre à la lumière, du silence à la parole, de la peur à l’abandon à la providence, de l’isolement au partage. Hélène y partage en parallèle, et par des mots brefs et percutants, toute sa souffrance.

Face au tsunami de la maladie psychique, le fond du fond est toujours plus profond qu’il n’y parait, plus solitaire qu’on ne le voudrait. J’ai voulu que mon récit soit un appel à choisir la vie en toutes circonstances.

J’y décris cette peur à chasser de notre quotidien pour la paix et la sérénité de chacun, le malade en premier lieu, qui a besoin d’une famille en bonne santé :

Muriel Rosset - 10 ans en psychiatrie

Chaque jour, tout peut réellement arriver : le meilleur comme le pire, la vie comme la mort et ce n’est pas une simple formule, car la maladie fait son travail de destruction pendant que l’amour accomplit son œuvre de création.

Chaque jour, je dois tout entreprendre pour faire reculer le mal et affronter la vie comme un risque, une urgence, une victoire, une récompense, un doute à surmonter.

Chaque jour, l’affection demeure le seul rempart de la tentation qui rode ; elle me pousse à choisir entre me comporter en super-héroïne qui tient le fil de la vie ou m’en remettre totalement à la main du Seigneur qui me protège,

Chaque jour, je dois recommencer ma quête de la veille, témoigner auprès de mes proches du goût d’aimer, de ma foi en la vie toujours plus forte, de ma certitude que tout est possible, alors que je mesure le mystère insondable de l’existence, belle et dure, étonnante et incertaine, donnée et à mériter.

Chaque jour, vivre est un miracle renouvelé, qui vient du plus profond de l’humanité, du plus profond de mon être, du plus profond de l’amour.

Chaque jour, je me surprends à être encore debout après tant d’échecs, de rebondissements, de modestes réussites. Je regarde près de moi mes enfants que j’aime, qui s’envoleront un jour vers leur indépendance et leur destinée, et je leur offre ma gratitude et mon attente.

Chaque jour, je dois prévoir et organiser l’incertain, alors que seule la mort est sûre, et que je suis appelée à lutter pour vivre ma vie telle qu’elle m’a été confiée, à mon échelle, avec mes défauts et mes qualités, mon passé déjà écrit, mon avenir à découvrir, et mon présent à habiter.

Chaque jour, je contemple le chemin parcouru à travers rencontres et découvertes, et je prie pour trouver le courage, la force et la patience d’affronter ce qui m’attend.

Je réalise combien la vie de chacun de ceux qui m’aiment est précieuse, rare et unique, et je crois que malgré toutes les difficultés innombrables, nous pouvons nous en sortir. Je ne sais pas comment, je ne sais pas quand, mais ma vie est offerte à cet inconnu que j’accepte. Désormais, je n’ai plus peur d’assumer ce que j’ai vécu avec tant d’effroi : il suffit d’une seconde pour mourir, et cela va faire beaucoup de secondes à affronter pour que mon enfant vive.

Muriel Rosset – 10 ans en psychiatrie : une spirale infernale.


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