Sur les chemins du réenchantement #ChroniqueDuMycellium

19 Juil, 2022 | PHILOSOPHIE, TEMOIGNAGES

Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute, propose régulièrement une chronique du Mycelium, réflexion axée sur l’écologie humaine. Il propose aujourd’hui les pistes n° 13 et 14 de sa réflexion sur le « réenchantement du monde », ainsi qu’un piège à éviter.

Piste n°13 : le voyage à Ithaque

Il y a un peu plus d’un an, après avoir lu Un été avec Homère dans lequel Sylvain Tesson nous livre une très belle analyse poético-philosophique de l’œuvre homérique, j’écrivais à peu près ceci : Dans l’Odyssée qu’a chantée Homère et qui suit l’Iliade, Ulysse a fait son choix : quels que soient les obstacles et malgré le « chant des sirènes », il est déterminé à rentrer à Ithaque, pour retrouver sa femme, son fils Télémaque et le royaume dont il est responsable. Homère nous invite avec ce récit à un « retour » à la paix après la guerre, à poursuivre ce qui a été construit et à renouer avec un engagement plus précieux que la gloire et les conquêtes. 

Je me propose aujourd’hui de développer ce thème du « retour », le voyage à Ithaque étant comme la façon d’accomplir notre « mission » sur terre, en d’autres termes de « faire notre part » dans le monde qui nous accueille. Allons encore plus loin : retrouver Ithaque est un retour à « qui nous sommes au fond de nous ». En effet, emmenés vers un « ailleurs » par l’influence de la société et aussi par nos propres ambitions nous avons à nous « retourner » et à prendre du recul : Mais où est le chemin de ma vie, de celle que j’aspire à vivre profondément ? Quelle est ma destination ? Qui suis-je ?

Ces trois interrogations n’en font qu’une : c’est en effet quand « il s’est connu lui-même » en tant qu’époux, père et souverain qu’Ulysse a connu sa destination. Pour nous la réponse n’est ni évidente ni immédiate. Vivons patiemment avec cette question porteuse pour sentir un jour intuitivement la direction à prendre. Nous nous mettrons alors en marche et « le chemin se fera en cheminant » à condition d’apprendre de nos essais et erreurs. Ainsi Ulysse mettra dix années à rentrer à Ithaque. Ce n’est pas si long quand nous comprenons qu’Ithaque et le chemin vers Ithaque sont la même chose : un temps de vie pour créer, porter nos fruits et semer.

Je vous propose maintenant d‘écouter le poète chanter cette quête.

Ithaque

Quand tu partiras pour Ithaque,
Souhaite que le chemin soit long,
Qu’il t’offre de nombreuses péripéties
Et qu’il soit riche en expériences

Ne crains ni les Cyclopes ni les Lestrygons,
Ni même la colère de Poséidon
Ta route sera sûre si ton âme se laisse effleurer
Par des émotions sans bassesse

Tu ne rencontreras ni les Cyclopes ni les Lestrygons,
Ni le farouche Poséidon
Si tu ne les portes en toi-même,
Si ton cœur ne les dresse pas devant toi

Souhaite toujours que le chemin soit long,
Et que nombreux soient les matins d’été
Où avec délice tu vogueras, où avec joie
Tu pénétreras dans un port pour la première fois

Fais escale aux comptoirs de la Sicile et de la Phénicie,
Rapportes-en de l’ambre et de l’ébène,
Visite les cités égyptiennes et leurs augustes sages.
Embrasse leurs antiques savoirs

N’oublie jamais Ithaque et garde-la sans cesse à ton esprit,
C’est vers elle que tu vas, vers elle que ton cœur bat
Mais surtout n’écourte pas ton voyage
Qu’il dure de longues et nombreuses années

Tu aborderas ton île aux jours de l’âge avancé
Riche de tout ce que le chemin t’a apporté
Car c’est Ithaque qui t’a offert ce beau voyage
Sans elle tu ne l’aurais pas entrepris

Mais aura-t-elle encore quelque chose à te donner ?
Non, car Ithaque est pauvre et ne t’a jamais trompé
Toi qui es devenu sage au fil des aventures
Tu as enfin compris ce dont Ithaque est le nom

Adapté très librement par moi de Constantin Cavafis, 1910, dans sa traduction du grec par Marguerite Yourcenar

Vous l’avez compris : trouver notre Ithaque et la rejoindre est l’affaire d’une vie. Beaucoup d’entre nous sont déjà en chemin vers leur Ithaque, et souvent même sans le savoir. D’autres ne sont pas prêts mais il n’est jamais trop tard. L’important, c’est de se mettre en route même si le but parait lointain et incertain, l’important, c’est d’être déterminé tout en acceptant les aléas inévitables du voyage et les détours imposés par la vie. Tout ce qui nous arrivera lors du voyage y compris ce que nous n’avons pas souhaité nous enseignera, nous rendra plus fort, nous enrichira.

Si aller vers Ithaque est un « voyage intérieur », c’est nécessairement aussi un voyage extérieur, un engagement mobilisant des ressources et entraînant des choix et des changements. 

On peut dire qu’Ithaque est en même temps notre destination et notre source, car rejoindre Ithaque est rejoindre qui nous sommes depuis l’origine. Le Cantique des cantiques ne propose-t-il pas : Va vers toi-même ma bien-aimée ? En même temps source, destination et lieu d’incarnation de nos aspirations et de nos dons : Ithaque nous attend.

Piste n°14 : nous sommes gens du voyage

En écho à l’Odyssée à portée universelle, voici les propos de Christiane Singer, écrivaine et thérapeute ayant vécu de nombreuses vies :

Nous sommes tous gens du voyage
et ce voyage est la vie. 


Nous traversons l’un après l’autre des pays où les perspectives et les aventures ne se comparent pas entre elles, où change jusqu’à la perception que nous avons des choses, du temps et de l’espace

Cette traversée, nous ne l’effectuons pas seuls, 
mais, bon gré mal gré, avec la caravane de la génération avec laquelle nous nous sommes mis en marche et dont les rangs iront s’éclaircissant jusqu’au terme.

Tantôt pleine d’ardeur, elle nous porte dans son élan, 
tantôt rétive et incertaine, elle nous grève de son anxiété. 

Ce texte a l’avantage de nous ramener à notre contexte le plus concret : nous sommes nés dans un monde et une époque donnée et vivons dans une société spécifique. De plus, nous ne sommes pas seuls. Nous avons donc à en tenir compte pour choisir soigneusement notre itinéraire de voyage et nous donner les moyens adéquats et les bons compagnons.

Méditons quelques instants ce que nous offre Christiane Singer.

Piège n°6 : quel piège éviter face au retour ?

Pour terminer cette chronique, je vous propose à chaque fois un piège qu’il vaut mieux éviter.

On peut imaginer bien des pièges propres au voyage… mais, au fond, le principal piège n’est-il pas de ne pas (ou de ne plus) croire en « la possibilité d’Ithaque » ?


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