Sur les chemins du réenchantement #ChroniqueDuMycellium

6 Jan, 2022 | PHILOSOPHIE

Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute, propose une « chronique du Mycelium », réflexion axée sur l’écologie humaine. Il propose aujourd’hui les pistes n° 9 et 10 de son texte sur le « réenchantement du monde », ainsi qu’un piège à éviter.

Piste n°9 : en quête de beauté… fragile !

Dans ce coin de campagne que nous aimons se tient une vieille abbaye devenue hôpital psychiatrique. La chapelle y accueille actuellement une exposition de photos intitulée « Portraits fragiles ». Le projet est né à l’initiative d’artistes plasticiens voisins qui ont proposé à des patients de l’hôpital une « mise en lumière » de leurs visages. Ces patients, tous volontaires, ont accepté d’être maquillés très simplement puis photographiés avant d’avoir leur visage modelé dans de la cire. Chacun d’entre eux a dit en quelques mots recueillis par l’artiste son vécu du moment.
Spontanément, j’ai rephotographié certains de ces « portraits ». Alors, aujourd’hui, je vous propose ceux de Frédérique, Jean et Marie. Pour moi, les contempler est à chaque fois une invitation à fraterniser avec ces inconnus qui ont osé se mettre à nu. Ils me deviennent plus familiers. Et puis… une question m’est venue : ne sommes-nous pas tous des êtres aux « regards fragiles » ?

Laissons la parole à Frédérique 

C’est au tour de Jean 

La parole est maintenant à Marie 

Attention : fragile !

La beauté n’est pas exempte de tristesse ou de sensations de solitude et d’impuissance, la beauté peut côtoyer les manques, être pénétrée de chagrins… Et quand notre regard  « rencontre vraiment » un autre regard, c’est au risque d’éprouver nous-mêmes quelque chose de la peine dont il peut être porteur. 

Piste n°10 : mon frère le héron

Ayant une place privilégiée dans la nature, nous oublions souvent en tant qu’humains que nous habitons la même « maison commune » que nos compagnons « non humains ». Or, ne sommes-nous pas tous des « peuples du vivant » ?

Je vous propose cette poésie inspirée par ma rencontre avec un héron au cœur de la forêt.

Mon frère le héron

Tu voles où je ne puis
Te suivre
Altier

Je demeure où tu ne peux
Me suivre
Entier

Tu planes au ciel
D’azur
Je vis sur la terre
Impure

Fiers nous sommes, mon frère !

Toi, frère solaire
En ton royaume solitaire
Tu vois depuis là-haut
Toutes choses d’ici-bas

Moi, plus terre à terre
En mon âme solidaire
Je vois depuis bien bas
Les choses de là-haut

Fiers nous sommes, mon frère !

Demain,
Tes ailes tu me prêteras, tu me feras voler,
Demain,
Chez nous tu dormiras, je te ferai rêver,

Fiers nous sommes, frères nous serons, mon frère !

Piège n°4 : oublier ceux qui éclairent notre chemin

Pour terminer cette chronique, je vous propose comme d’habitude un piège qu’il nous vaut mieux éviter sur nos chemins du réenchantement.

Je pense en particulier à Pierre Rabbi, décédé tout récemment, et qui a éclairé notre chemin depuis au moins trente ans, à la manière d’un « guide » qui nous précède. Pierre Rabbi nous a en effet ouvert à une écologie respectueuse à la fois des hommes et de l’environnement. La première association qu’il a créée ne s’appelait-elle pas « Terre et humanisme » ? N’a-t-il pas inspiré et conseillé des femmes et des hommes un peu partout, que ce soit en Ardèche, en Provence, au Sahel, en Bretagne, en Roumanie, pauvres et riches, tous jardiniers de notre terre commune ?

Au-delà de l’introducteur de l’agro-écologie, retenons son audace de pionnier et sa créativité, portant une mission d’amour pour notre humanité. Il en fallait en effet de la foi et de l’amour pour se lancer dans cette aventure, lui qui était né si loin dans une petite oasis du Sahara algérien puis venu en France quasi par obligation. Lisez ou relisez sa très belle autobiographie intitulée « Du Sahara aux Cévennes », plus passionnante qu’un roman d’aventures pour ceux qui aiment les déterminations peu communes comme la sienne.

Retenons aussi sa foi en lui-même, sa foi en sa femme et sa famille puis dans tous ceux qu’il a su éveiller. Ainsi, il appelait chacun à une « insurrection des consciences » devant l’usage et les mésusages avec lesquels nous traitons notre planète, parlant avec fermeté mais aussi beaucoup de bonté. Il s’exprimait franchement et souvent dans un langage neuf, mais sans jamais tomber dans une écologie punitive ou culpabilisante.

Je m’arrête aussi sur son invitation à créer et faire rayonner des « oasis en tous lieux ». Il entendait par là la création de lieux-sources où, comme dans les oasis, la gestion des principales ressources (l’eau dans le désert) est nécessairement une affaire commune pour assurer la survie de tous à long terme. L’oasis est également symbole d’un lieu de passage et de rencontre, voire de ressourcement. Créer des oasis en tous lieux, c’est, chez nous, développer une culture vitale de la durabilité et la faire rayonner largement.

Au fond, ne pourrions-nous pas faire de nos propres personnes et de nos foyers de petits « oasis » se reliant en réseau les uns aux autres ?

Chacun se souvient enfin qu’il nous incitait individuellement et collectivement à une « sobriété heureuse ». Cet appel, malgré les apparences, fait son chemin : on le retrouve aujourd’hui bien au-delà des milieux écologiques.


Découvrir les pistes 7 & 8 de réenchantement du monde

Découvrir les pistes 5 & 6 de réenchantement du monde

Découvrir les pistes 3 & 4 de réenchantement du monde

Découvrir les pistes 1 & 2 de réenchantement du monde

Je soutiens le Courant pour une écologie humaine

 Générateur d’espérance