Sur les chemins du réenchantement #ChroniqueDuMycelium

31 Oct, 2021 | PHILOSOPHIE

Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute et membre du CEH propose régulièrement une « chronique du Mycelium », réflexion axée sur l’écologie humaine. Il propose aujourd’hui la piste n° 7 de son texte sur le « réenchantement du monde », le complétant de deux nouvelles pistes, ainsi que d’un piège à éviter.

Piste n° 7 : voir l’enfance du monde

L’autre jour dans une pharmacie de campagne, j’ai été frappé par l’allure décidée d’un enfant faisant ses premiers pas et accompagné par sa mère. C’était bien lui qui dirigeait et elle qui suivait. Ce petit avançait… à la « découverte du monde », toujours plus loin, encore et encore. Il propulsait son buste et ses petites jambes suivaient. À l’évidence, habileté et maladresse pouvaient aller de pair et faisaient bon ménage ! Cela m’apparut comme une image de nos vies avançant par « essais et erreurs » avant de trouver leur voie. J’ai été, je l’avoue, ému et émerveillé, un peu comme devant le premier « matin du monde » d’une vie toujours renouvelée.

Voilà une image classique du « monde de l’enfance ». Mais, derrière cette image je « voyais » pourtant autre chose. Au fond, je voyais ce que j’appelle « l’enfance du monde » : comme si notre monde, celui dont nous nous occupons tous les jours avec raison (et parfois déraison), avait encore « un pied dans l’enfance ». Ce que j’ai perçu ce jour-là était comme une invitation lancée à toute notre humanité à avancer comme le duo de cette mère et son enfant, envers et contre tout, malgré et avec les erreurs et maladresses inévitables :

  • À certains moments, ne sommes-nous pas comme l’enfant porté par sa passion de découvrir au risque de chuter et de se faire mal… avant de reprendre des forces pour repartir ? J’aime ce monde parfois impulsif et même imprudent, porté par une vie qui vient de loin et cherche à se déployer… au risque de l’erreur. Peu importe si des milliards d’êtres humains ont déjà suivi ce chemin et vécu cette expérience. Cette vie est toujours « jeune », elle est innocente et ne peut avancer que par essais et erreurs.
  • À d’autres moments, nous serons plutôt comme cette mère cherchant juste à accompagner les jeunes générations qui découvrent le monde complexe, plein de promesses et aussi d’inévitables dangers qui leur a été transmis.

Piste n° 8 : accueillir le sens caché des choses

Je vous propose maintenant un exercice « d’accueil ». Cherchant à comprendre, nous allons, me semble-t-il, souvent un peu trop vite pour « projeter » un sens sur ce qui nous est inconnu au lieu de nous laisser l’accueillir pleinement.

Alors, quand vous lirez cette petite poésie que j’ai eu le bonheur d’écrire lors du premier confinement, je vous suggère d’accueillir simplement le ou les sens qui vous viendront… comme une surprise envoyée par la vie.  

Le puits

Le puits est là
Le silence aussi
Et si je rêve
La source écoute

Quand l’eau s’endort
Elle coule encore
Elle fait silence

La pierre chaude
Est une sieste
Fraiche en est l’eau
Comme un baiser

Les baisers dorment
Et puis se donnent
Du fond du puits
Monte un sourire

Vieux est le puits
Jeune le silence
Les deux s’entendent

En robe de lierre
Le puits est là
Le silence aussi

Piège n° 3 : l’idéalisme déçu

Des personnes porteuses de grandes espérances se découragent parfois lorsque le « spectacle du monde » ne répond pas à leurs attentes. Plus grande étaient celles-ci, plus forte risque d’être la déception. Ce piège dans lequel nous pouvons tous tomber peut nous entrainer dans un doute sur l’humanité entière et nous amener à désinvestir nos engagements sociétaux. Lisons ensemble ces extraits d’une lettre écrite par un officier d’aviation pendant la guerre de 39-45 :   

Je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine… Je hais mon époque de toutes mes forces, L’homme y meurt de soif… Deux milliards d’hommes se font robots… La substance même est menacée, mais, quand elle sera sauvée, alors se posera le problème fondamental qui est celui du sens de l’homme et auquel il n’est point proposé de réponse. Si je rentre vivant, ne se posera pour moi qu’un problème : que faut-il dire aux hommes ?

Vous n’avez probablement pas reconnu la plume d’Antoine de Saint-Exupéry, ce « chevalier du ciel », noble et audacieux. On peut certes se dire que sa lettre est écrite dans un contexte où l‘occupation était vécue comme désespérante. Ces temps sombres peuvent décourager ceux qui ont soif d’une dimension spirituelle pour éclairer le monde. Mais, quoi qu’il en soit, voilà un homme de valeur qui doute profondément et de façon dépressive des ressources de fond et même de ses aspirations profondes de l’humanité. Il ne voit plus dans le présent et l’avenir que « matérialisme ». Pourtant nous savons que ce sont aussi des temps où l’humanité a résisté, s’est redressée, s’est déployée ! Parfois, en effet, les ressources de cette humanité sont en friche ou restent cachées. Elles peuvent avoir besoin d’une étincelle d’espoir, d’un exemple entraînant, d’une épreuve peut-être pour apparaître ! Il a été reconnu, et c’est réjouissant, que pendant la dernière guerre mondiale, il y a eu paradoxalement beaucoup moins de dépressions dans les populations française et anglaise qu’en temps ordinaire.

Mais, quand Saint Exupéry se demande : « comment parler aux hommes ? », il aborde une question essentielle, qui me semble être en réalité de toutes les époques. Il ne s’agit pas d’une parole pour « sauver » ses semblables, mais mieux pour aller les chercher, les éveiller, allumer leur flamme intérieure, en particulier en ayant foi en eux.

N’est-ce pas ce qu’ont fait, souvent à la surprise générale, ces grands entraîneurs à la dimension temporelle et spirituelle qu’ont été Gandhi, Mandela ou Martin Luther King ? Ils sont passés eux aussi par des crises de doute, de désespoir et peut-être de colère. Pourtant leur force et leur leadership s’alimentent à leur foi dans les ressources profondes de leurs « frères humains ». Je garde ainsi la belle image de Nelson Mandela, qui, lors de sa longue captivité s’est mis progressivement à apprécier ses gardiens et à inciter ses co-détenus à faire comme lui. L’idéalisme déçu apparait comme une tentation bien humaine. Apprenons à en sortir, cela nous fera avancer car c’est comme ouvrir à nouveau notre porte et notre cœur.


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