Sur les chemins du réenchantement #ChroniqueDuMycelium

13 Juil, 2021 | L'ECOLOGIE HUMAINE, NATURE & ENVIRONNEMENT, PHILOSOPHIE

Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute et membre du CEH propose régulièrement une « chronique du Mycelium », réflexion axée sur l’écologie humaine. Il propose aujourd’hui la suite de son texte sur le « réenchantement du monde », le complétant de deux nouvelles pistes, ainsi que d’un piège à éviter.

Pistes n°3 et n°4 : « notre planète et nos enfants »

Exceptionnellement, je choisis cette fois-ci de fusionner les pistes 3 et 4. 

Vous allez comprendre pourquoi. Vous avez évidemment tous entendu cette exclamation : « Quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ? ». Cette question dite d’un ton désabusé sous-entend deux constats :

  • (1) notre planète terre est en voie d’être abîmée, voire mise en danger,
  • (2) c’est notre responsabilité, à nous, adultes, de mettre en place les solutions pour la sauver, nous qui sommes les « parents » des générations à venir. 

D’autres abordent de façon différente la question de l’avenir de l’humanité en demandant : « Quels enfants allons-nous laisser à notre planète ? ». 

N’avons-nous pas intérêt à faire de ces deux interrogations légitimes un seul questionnement ? Cela nous aiderait à agir à partir d’une motivation profonde en chacun de nous, liée à l’amour naturel que nous portons à la vie, à nos enfants et à notre environnement, qui est bien notre « maison commune ». 

Nous nous appuierons alors sur des forces mobilisables dans la durée, habitées d’une dimension personnelle tout en restant ouvertes à la solidarité collective nécessaire. Ce serait un chemin difficile mais plus heureux et plus efficace que celui que nous empruntons dans la contrainte et les hésitations. Ce chemin demanderait bien évidemment tout un apprentissage !

En effet, le militantisme écologique qui a depuis trente ans éveillé nos esprits sur le danger de prolonger indéfiniment notre civilisation « thermo-industrielle » n’a pas encore abouti à une véritable mobilisation de la population ni engendré des mesures suffisantes. On comprend bien qu’il y ait une forte « résistance au changement » aussi bien de la part des particuliers que des acteurs économiques, bousculés dans leurs habitudes et leurs intérêts. Mais la résistance au changement n’explique pas tout. Ainsi, je crois pour ma part que le mouvement écologique a trop fait entendre une musique angoissante et culpabilisante aux dépens d’une musique entrainante. Les décisions pour enrayer le réchauffement demandent une nouvelle « pédagogie collective » d’autant plus nécessaire que nombre d’entre nous perdent confiance dans la classe politique et même dans les régimes démocratiques.

Comment aller dans cette direction ?

Plusieurs chercheurs contemporains (Jacques Lecomte, Steven Pinker, Pablo Servigne, Rutger Bregman) osent remettre en question la vision de l’homme qui serait avant tout mû par des intérêts égoïstes ou du moins par un calcul bénéfices/risques. Cette vision dominante a servi de modèle à nos systèmes politico-économiques modernes (vision propagée avec beaucoup de succès par l’anglais Hobbes au 17ème siècle et ses successeurs). 

Les travaux de ces chercheurs contemporains, qui s’appuient sur de multiples observations factuelles, montrent que l’entraide et la coopération ont été plus importantes que la compétition dans la réussite et le développement des sociétés humaines. On le constate aussi dans les situations dangereuses et dramatiques : fort esprit de cohésion en temps de guerre ou d’épidémies, actes spontanés de solidarité en cas de catastrophes naturelles (tsunami, inondations, cyclones). 

Ne serait-il donc pas judicieux de miser plutôt sur ce que le néerlandais Rutger Bregman nomme nos « motivations intrinsèques » pour chercher à résoudre nos problèmes collectifs que sur l’obéissance passive, le conformisme, ou les calculs égoïstes ? Un certain nombre d’entreprises et d’écoles alternatives et même quelques prisons ont ainsi pu abolir les anciens systèmes de notation, de récompenses et de punitions en s’appuyant en premier lieu sur la créativité, le goût d’apprendre, le goût de bien faire et l’entraide. Il y a urgence à développer un nouvel art et une pédagogie de gouvernement – sans manipulation – dans nos sociétés modernes.

Alors, ne serions-nous pas plus efficaces en promouvant une sorte d’« écologie amoureuse » ? La question de la planète ou des enfants se poserait autrement car elle serait à l’évidence la même. La planète « appartient à nos enfants » et on peut dire que nos enfants « appartiennent à la planète » car nous avons à consentir à notre appartenance à ce tout qu’est « la nature » : comme le dit joliment Hubert Reeves, ne sommes-nous pas « poussières d’étoiles » ? Nous oublions trop que nous sommes aussi faits de « glaise » comme le dit l’ancien testament.

Piège n° 2 : « La culture de la carotte et du bâton »

Pour conduire et faire évoluer nos sociétés ou plus modestement tout groupe humain, la plupart des acteurs traditionnels de pouvoir recourent à la stratégie de la carotte (récompenses, promesses, appât du gain) ou du bâton (sanctions, interdictions, menaces). Bien sûr, nous ne vivons pas dans un monde idéal et on ne peut se passer d’une dose de carotte et de bâton… dans certains cas. Mais en y recourant trop systématiquement, nous pérennisons une forte dépendance à cette culture plutôt que de nous appuyer sur les « motivations intrinsèques positives » dont parlent Bregman. Il s’agit en effet d’une véritable « culture » dans le sens où au-delà des pratiques, elle continue à diffuser la croyance que l’homme est d’abord égoïste et irresponsable et que c’est l’éducation, le pouvoir et la civilisation qui le rend honnête et meilleur avec les autres. Cette culture s’auto justifie car en traitant de cette façon les citoyens, les employés ou les élèves, on les encourage en fait dans leur « part » d’égoïsme et d’irresponsabilité plutôt que dans leur « part » de motivations intrinsèques positives. De nombreuses études sociologiques récentes le démontrent.

Il est donc temps pour chacun de nous de sortir de ce piège, sinon nous le reproduisons autour de nous, avec nos enfants, nos collaborateurs, nos voisins, nos proches, etc. Et finalement nous nous habituons à ce système, pourtant peu conforme à notre humanisme, qui pollue notre vision de l’humanité et aussi nos esprits et nos cœurs. 

Comment en sortir, chers lecteurs, sans une foi renouvelée dans l’être humain à aller chercher au fond de nous, sans idéalisation et sans naïveté ?

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