Du lit à l’ordi #ChroniqueLLY

16 Juil, 2021 | SCIENCES & TECHNOLOGIES, TRAVAIL

Face à la prolifération des écrans et aux problèmes de société posés par l’hyperconnexion, l’association Lève Les Yeux (LLY) part à la « reconquête de l’attention ». Yves Marry, cofondateur, propose des chroniques sur l’impact de la technique dans nos vies. Ci-dessous, il traite de la numérisation de la société et de l’usage excessif, voire omniprésent, des nouvelles technologies chez les employés, aussi bien au travail qu’en dehors du cadre professionnel.

Aujourd’hui, vous nous parlez du droit à la déconnexion au travail

Oui, avec cette expression venue du collectif Écran total, engagé de longue date dans la critique de la numérisation de la société, et pour qui il faut désormais remplacer « métro, boulot, dodo » par « du lit à l’ordi »… !

On a parlé la dernière fois de la souffrance des étudiants confinés derrière des écrans et de la prise de conscience grandissante au sein de la société à propos des effets négatifs de la surexposition aux écrans. À l’évidence, le mal touche aussi les salariés qui, pour une grande majorité, travaillent derrière un écran et donc, désormais de chez eux, dans des vies qui oscillent entre le lit… et l’ordi.

D’après Eurofund, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie, qui a publié en juillet dernier une étude sur le sujet, on est passé de 5 % à un tiers des salariés en télétravail… 

L’étude ne s’en arrête pas à ces chiffres, et démontre, témoignages de salariés Européens à l’appui, l’impact de l’hyperconnexion sur la santé, la sécurité, la vie privée, ou encore le stress.

Thierry Venin, docteur en sociologie, alertait dès 2015, dans son ouvrage issu de sa thèse « Un monde meilleur ? Survivre dans la société numérique », sur les conséquences psychosociales du travail devenu essentiellement informatique. Les salariés interrogés ressentaient pour la plupart des conséquences sur le stress, sur le trouble entre vie privée et vie professionnelle, sur la distraction permanente et le sentiment d’inefficacité… 

Même du côté des dirigeants, des initiatives ont été prises, parmi lesquelles on peut citer celle de notre actuel Commissaire européen Thierry Breton qui, lorsqu’il dirigeait ATOS, avait lancé le « zéro mail interne », à partir du constat de la perte en productivité induite par les innombrables sollicitations numériques au travail.

Mais le sujet restait largement derrière les radars et loin des préoccupations, jusqu’au développement récent du télétravail, qui le remet au goût – un peu amer – du jour. 

Et il y a une bonne nouvelle venue du Parlement européen ?

Oui, le parlement de Strasbourg, sur la base de cette étude d’Eurofund, a adopté une résolution fin novembre visant à introduire un droit à la déconnexion à l’échelle de l’Union européenne.

La résolution le définit ainsi : « le droit des travailleurs de s’abstenir d’effectuer des tâches, des activités et des communications électroniques liées au travail, telles que les appels téléphoniques, les courriels et autres messages, en dehors de leur temps de travail, y compris pendant les périodes de repos, les congés officiels et annuels et autres types de congés, sans subir de conséquences négatives ». 

La France fait un peu figure de modèle car c’est l’un des rares pays à avoir adopté une loi dédiée au « droit à la déconnexion », en 2016. Les entreprises de plus de 50 salariés sont invitées à « négocier des règles de conduite sur la communication numérique » entre dirigeants et salariés, ou, à tout le moins, à rédiger une « charte pour encadrer les usages numériques »

Et donc quelles améliorations pouvons-nous attendre de cette initiative européenne ?

Et bien si elle n’est pas détricotée d’ici son adoption par la machine législative européenne, on peut en espérer une amélioration décisive, c’est son application !

En effet, le droit français est très théorique, il « invite » les entreprises à négocier ou à rédiger une charte, mais sans contrainte, et il n’est donc appliqué à peu près nulle part.

Tandis que la résolution européenne, comme le rappelle la CFE-CGC sur son site internet : «  prévoit aussi d’assortir ce droit de sanctions et d’un droit de recours pour « toute conséquence préjudiciable liée à l’exercice de ce droit ».

Vivement l’entrée en vigueur donc ! 

Même si bien sûr, dans les faits, il faudra voir comment les salariés s’en saisissent. Oseront-ils faire valoir leur droit, au risque de perdre des points dans l’estime de leurs supérieurs hiérarchiques ?

En attendant, et même si c’est théorique, si vous n’en pouvez plus d’aller directement du lit à l’ordi et de rester connecté au travail le soir et le week-end : sachez-le, vous avez le droit de déconnecter !


Cette chronique a été diffusée dans la matinale du 8/02/2021 sur RCF.

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